Crise: Afriland First Group en rébellion contre la Cobac

La maison mère du groupe bancaire que contrôle le milliardaire camerounais, Paul Fokam, s’oppose à la surveillance du régulateur d’Afrique centrale au motif qu’elle est «une société de portefeuille»

Les responsables de Afriland First Group, la holding de tête du groupe bancaire camerounais, boudent toutes les rencontres avec la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac). Ils n’étaient pas présents à la première réunion des superviseurs du groupe tenue les 29 et 30 juin 2016 au siège de la Cobac à Libreville au Gabon. Selon le compte rendu de cette réunion disponible sur le site internet du régulateur bancaire de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), seuls les dirigeants des filiales bancaires situées dans la Cemac notamment Afriland First Bank Cameroun, Africa Leasing Company et CCEI Bank Guinée-Equatoriale ont répondu à l’invitation. «Les dirigeants de Afriland First Group, également invités, ont refusé de prendre part aux travaux», précise le secrétariat général de la Cobac. Une issue quelque peu attendue. Car les dirigeants de cette holding basée en Suisse avaient déjà brillé par leur absence à l’atelier préparatoire à cette réunion du collège des superviseurs organisée les 26 et 27 janvier au siège de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) à Yaoundé au Cameroun.

Ces réunions font suite au règlement relatif à la supervision des holdings financières et à la surveillance transfrontière, adopté le 27 mars 2015 par le Conseil des ministres de l’Union monétaire d’Afrique centrale. Ce texte inclut dans le champ de compétence de la Cobac des holdings financières installées dans la Cemac. Il désigne par ailleurs le régulateur comme superviseur sur base consolidée des holdings financières qui ne sont pas surveillées sur base consolidée dans leur pays d’origine, soumet à son accord préalable les implantations hors zone Cemac d’un établissement assujetti et lui octroie la possibilité d’exiger la fermeture d’une implantation à l’étranger. En outre, le règlement consacre la solidarité de l’établissement assujetti dans la zone Cemac aux sanctions infligées à l’entreprise mère au cas où cette dernière serait défaillante.

Menaces
En application de ce règlement, la Cobac a pris une décision incluant Afriland First Group dans son périmètre de surveillance prudentielle. Mais la holding de tête du groupe bancaire que contrôle le milliardaire camerounais, Paul K. Fokam, s’oppose à cette décision : «Afriland First Group, simple investisseur et simple société de portefeuille n’exerce pas d’activité financière, industrielle, commerciale ou de service, donc, ne peut se voir incluse dans le contrôle d’une activité bancaire», soutient la structure.

Dans une lettre datée du 31 mars dernier, la holding menace même de céder ses parts: «Afriland First Group attire l’attention du président de la Cobac sur le fait que si pour une raison ou une autre toutes ses explications et sa volonté manifeste de coopérer ne satisfont pas aux exigences de la Cobac, elle se trouvera dans l’obligation de mettre ses actions à la disposition de tout repreneur qui lui conviendrait, avec l’accord des autorités monétaires des pays concernés». D’ailleurs pour elle, «le règlement relatif à la supervision des holdings financières et à la surveillance transfrontière n’est pas applicable à Afriland First Group, ce qui justifie la nécessité de prendre une autre décision d’inclusion d’Afriland First Group dans le périmètre de la surveillance prudentielle de la Cobac».

A cet argument, le gendarme des banques oppose l’article six du règlement. Cette disposition indique en effet qu’«une décision de la commission bancaire matérialise l’inclusion d’une holding financière dans le périmètre des établissements assujettis. Cette décision est notifiée aux autorités monétaires nationales des pays concernés, à la direction nationale de la Beac des pays concernés, à la holding financière concernée et ses filiales situées dans la Cemac».

En plus, dans le premier article du règlement, la holding financière est définie comme toute «entité qui quels que soient son statut, sa dénomination et le lieu de son siège social, exerce de manière ultime, directement ou indirectement, un contrôle exclusif, un contrôle conjoint ou une influence notable sur un établissement assujetti». Et pour le régulateur, Afriland First Group entre bien dans cette définition. En effet, selon son rapport d’activité 2014, la holding contrôle notamment onze établissements de crédit dont Afriland First Bank Cameroun, Africa Leasing Company et CCEI Bank Guinée-Equatoriale situés en zone Cemac.

Résistance
Au siège d’Afriland First Bank Cameroun, on situe l’action de la maison mère dans le registre de la résistance face à «la toute-puissance du régulateur». Ici, la Cobac est même accusée de freiner l’expansion des champions nationaux aux profits des multinationales étrangères. Deux arguments reviennent pour étayer ces accusations. Le premier est l’«acharnement» contre les établissements de crédit locaux notamment Afriland First Bank et CCEI Bank Guinée Equatoriale. Un memo a d’ailleurs été produit pour le démonter (voir page 11).

Le second est relatif à la gestion par le régulateur de l’affaire Bicec (Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit). Les responsables de cette banque, filiale du français Banque populaire Caisses d’épargne (BPCE), ont fait perdre à l’établissement près de 50 milliards de francs CFA en 12 ans. «Et ce n’est qu’au moins de mars 2016 que la Cobac a donné l’alerte, elle qui est pourtant très regardante sur la gouvernance des banques nationales», fait observer un collaborateur de Paul K. Fokam. Ce dernier est d’ailleurs convaincu au regard des expériences passées, que s’il avait été question d’une banque locale, la Cobac se serait montrée plus agressive.

«La mise en place des nouvelles dispositions réglementaires ne vise pas à freiner vos activités mais plutôt à assainir le cadre d’exercice de votre métier. (.) L’action du secrétariat général de la Cobac à l’égard de tous les assujettis reste principalement guidée par le principe de prudence, de préservation des dépôts de la clientèle ainsi que du maintien de la stabilité bancaire», répond pour sa part Halilou Yerima Boubakary. Le secrétaire général de la Cobac rappelle d’ailleurs que «l’activité bancaire est un métier à risque et c’est pourquoi elle est fortement réglementée pour éviter des périls». Le Camerounais affirme tout de même garder «à l’esprit que la pérennité d’une banque repose aussi sur sa profitabilité» et assure que «l’élaboration de tous les textes réglementaires tient compte de l’exigence de combinaison de tous ces impératifs». Il lui reste à persuader les établissements de crédit locaux convaincus du contraire.


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Ces atouts dont se targue le Cameroun et qui sont mal connus à l’étranger

Croissance moyenne et régulière de 5 %, inflation à 2,7 %, taux endettement relativement maîtrisé à 38 % du PIB…Pour un Français, ce serait Noël!

Pays organisateur de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) en 2019, le Cameroun et ses «Lions indomptables» mettent les bouchées doubles pour attirer les investisseurs privés pouvant changer le visage du pays et accélérer son développement. C’est ainsi que les autorités camerounaises ont organisé, du 17 au 18 mai, à la veille de la fête nationale du 20 mai à Yaoundé, la ville aux sept collines, une conférence économique internationale intitulée «Investir au Cameroun, terre d’attractivités». Avec le concours de Stéphane Fouks, de Havas Worldwide, pour lui donner plus d’audience.

Ouverte par le président Paul Biya, cette conférence a réuni quelque 800 chefs d’entreprise et décideurs du monde politique, économique et financier pour des tables rondes consacrées à mettre en lumière les «perspectives de croissance» et «l’attractivité financière» du pays et des rencontres B to B visant à conclure ou à faire avancer des projets concrets (pré-sélectionnés par l’Agence de promotion des investissements et le cabinet «One2five») dans des secteurs clés et porteurs comme l’agro-alimentaire, l’assainissement de l’eau, le BTP, l’énergie, les infrastructures, les mines, les transports ou l’économie numérique.

Le Cameroun, «une Afrique en miniature»
À 83 ans révolus, le président du Cameroun, qui est apparu en forme pour ce grand rendez-vous économique et médiatique, a longuement mis en évidence les «atouts» du Cameroun «qui est une Afrique en miniature et ne vient pas les mains vides» mais a décidé bien au contraire de faire le maximum pour «attirer la faveur des investisseurs» du secteur privé.

Avec 22 millions d’habitants, le Cameroun est le pays le plus peuplé de la zone CEMAC – la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Le pays compte plus de 1 500 km de frontière commune avec le Nigeria (première économie d’Afrique) et donc la CEDEAO – la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest. Il constitue par exemple la deuxième réserve hydro-électrique d’Afrique et s’enorgueillit d’afficher «l’un des meilleurs taux de scolarisation» du continent et, bien sûr, une «grande stabilité politique» qui – se plait à souligner le chef de l’Etat – est «un atout majeur pour les investisseurs»! Car le Cameroun – dont l’objectif est d’atteindre l’émergence à l’horizon 2035 – «est par-dessus tout déterminé, insiste-t-il, à favoriser l’investissement privé».

Pour donner plus de lustre et d’écho à cette Conférence, le Cameroun avait convié plusieurs personnalités comme le Français Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC, ou le Portugais Jose Manuel Barroso, ancien président de la Commission européenne. «L’Afrique est la grande réserve de croissance mondiale», a ainsi déclaré ce dernier, soulignant que «L’Europe a besoin de plus de croissance» et que celle-ci «peut venir de l’Afrique en raison de sa proximité géographique et culturelle».

«C’est le lieu où il faut investir»
«En ma qualité de banquier, j’ai appris à repérer les bons marchés, et le Cameroun est le lieu où il faut investir», s’amuse à observer le Nigérian Tony Elumelu, dont la banque UBA (United Bank for Africa) revendique aujourd’hui 11 millions de clients dans dix-neuf pays. [i «Nous avons commencé en 2008 au Cameroun et nous y sommes restés [car] nous sommes des investisseurs à long terme [et] avons confiance ici dans l’environnement des affaires»]. Et le chantre de l’«africapitalisme» d’ajouter: «C’est le moment opportun pour le faire car l’Afrique du Sud, le Nigeria ou l’Angola sont en proie à d’énormes difficultés économiques alors que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Cameroun connaissent de véritables booms économiques».

Le ministre camerounais des Finances, Alamine Ousmane Mey observe que son pays connaît «une croissance stable et durable de 5 % de moyenne sur les cinq dernières années», avec un budget 2016 de 4 242 milliards de Francs CFA, en hausse de 13 % par rapport à 2015, et «des finances publiques que l’on peut qualifier de saines» avec une augmentation de 50 % de la collecte d’impôts, en 5 ans.

Ancien patron de BNP Paribas (de 2003 à 2014), Baudouin Prot s’étonne d’ailleurs «que les performances économiques du Cameroun soient aussi méconnues». Une croissance moyenne et régulière de 5 %, une inflation à 2,7 % et un taux endettement relativement maîtrisé à 38 % du PIB, «ce sont des données macro-économiques assez satisfaisantes, qui nous feraient bien rêver », observe-t-il. Pour un Français, ce serait Noël!»

Paul Biya a présidé l’ouverture de la conférence internationale « Investir au Cameroun » le 17 mai 2016 au Palais des congrès de Yaoundé.
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«La locomotive de la zone CEMAC»
«Grâce à la diversification de son économie, le Cameroun est la locomotive de la zone CEMAC», assure pour sa part le Marocain Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa Bank, en se félicitant lui aussi des investissements réalisés dans ce ce pays. Coactionnaire, avec l’État, «pour démocratiser l’accès au secteur bancaire», son groupe très actif en Afrique subsaharienne est aujourd’hui la première banque du Cameroun, avec 54 agences.

Selon Mohamed El Kettani, le Cameroun bénéficie de nombreux atouts, mais il doit aussi relever plusieurs défis: [i «Ce pays est confronté aujourd’hui à une accélération nécessaire dans les réformes et les chantiers pour résorber les déficits en infrastructures, estime-t-il. [Mais] il est conscient qu’il doit améliorer un certain nombre de leviers pour attirer de plus en plus d’investisseurs et, sincèrement, le Cameroun a la capacité de quintupler les investissements directs étrangers par rapport au chiffre actuel qui est de l’ordre de 500 millions de dollars par an en moyenne».] Et de conclure: «En tant que banque marocaine, nous avons confiance dans le pays, dans sa gouvernance et dans son potentiel».

Les grands chantiers du «pays béni de Dieu»
«C’est un pays béni de Dieu!», renchérit le Camerounais Paul Fokam, président-fondateur d’Afriland First Bank, en soulignant que «le Cameroun regorge de beaucoup de trésors» avec son agriculture, la richesse de son sous-sol et son ouverture sur la mer, utile à toute la CEMAC, grâce notamment au port en eau profonde de Kribi, dont le groupe Bolloré Africa Logistics a obtenu la concession en août dernier. Et le Dr Fokam de rêver à voix haute d’une fusion avec le Nigeria voisin, «indispensable pour notre décollage économique» et qui constituerait un marché de 320 millions de consommateurs!

Sans attendre cette grande Conférence, le Français Pierre Damnon, directeur général de Cimencam (Les Cimenteries du Cameroun) avait annoncé dès le 3 mai que le groupe Lafarge Holcim (qui détient déjà près de 50 % du marché) allait investir 23 milliards de Francs CFA pour construire près de Yaoundé une nouvelle usine à béton, dont la capacité de production sera dans un premier temps d’un million et demi de tonnes. Un investissement lourd qui témoigne, lui-aussi, de la bonne santé économique du pays.

Dernier chantier important: la révolution numérique. La ministre des Postes et Télécommunications, Minette Libom Li Likeng, affectueusement surnommée «Maman Androïd», est fière de souligner que le Cameroun dispose déjà à ce jour de 19 millions d’abonnés aux différents réseaux de téléphonie mobile, d’un taux de pénétration d’Internet évalué à 26 % et se lance dans un programme ambitieux de fibre optique: 2 000 km déjà réalisés et 10 000 km en construction. Avant de conclure: «En matière d’innovation, le Cameroun, qui bénéficie d’une population jeune et bien formée, est souvent en tête. Que chacun change donc de logiciel pour transformer la société et réduire la facture numérique».

Reste que le Cameroun, qui se dit une terre d’attractivité et d’opportunités, connaît aussi encore bien des disparités économiques et sociales.


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