Cameroun : Que vive le roi en république !

Par Michel Tagne Foko, écrivain camerounais.

Au détour d’une conversation, lors d’un moment de beuverie, on m’a dit : « Michel, c’est pour quand que tu écris pour soutenir ton pays ? ».

Au tout début, j’ai cru que c’était une blague. Oui, comme ces mots que l’on peut prononcer sans vraiment donner une importance majeure à la portée. Un peu comme lorsqu’on rencontre quelqu’un en chemin et qu’on lui lance « ça va ? ». Et que très souvent, on ne prête pas attention à ce qu’il va répliquer…

Ensuite, cette phrase m’a tourmenté. Je me suis longuement demandé ce que ça voulait dire « écrire pour soutenir son pays ». Après tout, qui écoute vraiment les écrivains dans ce monde ? J’ai amplement philosophé. Écrire pour dire quoi ? Scander, tel un propagandiste, que le Cameroun est le plus beau pays ou que les Camerounais sont les plus heureux, même si c’est un mensonge, et pour quel résultat, à part celui de satisfaire l’ego de certains ? Je trouvais l’expression un peu extrapolée, un peu comme ces mots qui résonnent bien, et que tout le monde aime employer, mais qui ne veulent en réalité rien dire. De plus, j’ai toujours soutenu la thèse selon laquelle un pays est une fiction, dans la mesure où on peut finalement le faire changer de nom, d’espace, de culture, etc.

J’ai finalement renoncé à travailler sur ce genre de texte, je trouvais cela tellement risible que ça ne méritait pas que j’y prête mon temps. J’ai décidé de passer à autre chose. J’ai continué à militer. J’ai lu des livres. J’ai écrit des chroniques. Je me suis mis à réviser les épreuves de mon prochain ouvrage sur Lègba…

Il y a eu l’annonce de l’arrestation au Cameroun de l’écrivain Patrice Nganang, pour outrage, entre autres, au Chef de l’État. Je l’ai senti sur ma chair. Lorsqu’on décide de militer pour les droits de l’homme, on est exposé à ce genre de situation scandaleuse. Plusieurs personnes ont demandé sa libération. Il y a eu des articles, des pétitions, etc.

J’ai écrit un papier que je n’ai pas publié. Je me suis dit : puisqu’il a la chance d’être de nationalité américaine, et qu’il est innocent, et que tout le monde le sait, il va s’en sortir. Très souvent, au Cameroun, le riche ne va pas en prison, on le sait, la geôle est réservée aux pauvres, même quand ils n’ont rien fait.

Est considéré comme riche celui qui a les moyens de sa politique : de quoi prendre un bon avocat pour résister au système qui essaye de le broyer, graisser la patte des juges, attirer l’attention des médias, etc. De plus, nous savons tous que les Européens et les Américains ne laissent pas tomber les leurs…

Et très vite, il a été libéré. On l’a expulsé vers les États-Unis. Désormais, il lui est interdit de retourner au Cameroun. Et pourtant, il est aussi Camerounais. Comment peut-on interdire à quelqu’un de rentrer chez lui. De rentrer à l’endroit où sa personne s’est forgée ? Comment peut-on en toute quiétude condamner un être humain à l’exil ? Comment est-on arrivé à expulser un Camerounais du Cameroun ? Le rêve des gens, qu’est-ce qu’on en fait ? …

Il y a eu les propos de l’ambassadeur américain au Cameroun, Peter Henry Barlerin. Il accusait l’État du Cameroun de mener des assassinats ciblés dans les régions anglophones. Tout le monde lui est tombé dessus. Les intellectuels et les hommes politiques. Qu’il énonce une vérité ou un mensonge n’intéressait personne. Pour eux, se questionner sur les êtres humains abattus n’était pas le sujet, il était plus important de crier au scandale, de dire qu’un diplomate a un droit de réserve, qu’au travers de ces déclarations, les Américains veulent remplacer le président Paul Biya, etc.

Dans le même temps, on observait défiler, sur les chaînes de télévision du pays, des propagandistes, l’endoctrinement allait de plus belle… On croirait que tout va bien et que les militaires sont des saints. On fait mine de ne rien voir, alors qu’on sait qu’il y a des morts. Oui, des morts. Des enfants, des femmes, des hommes… des personnes d’un certain âge tabassées jusqu’à ce que mort s’ensuive. Oui, au Cameroun, dans la zone anglophone, on meurt dans un silence absolu. Mais où sont donc passés les intellectuels ? Pas la moindre compassion. Le sort de ces gens n’intéresse personne. L’humain se fait tuer dans l’indifférence totale. Ça convient, très bizarrement, comme ça, à tout le monde. Et voilà que, subitement, au Cameroun, il n’existe plus d’intellectuel. Tout le monde est devenu muet. Oui, muet. Et même aveugle. Personne n’a rien vu. Personne n’a rien entendu. Chacun se complaît dans le silence. Chacun mène sa petite vie dans l’indifférence totale. Les morts ? Quels morts ? Il n’y a jamais rien eu. Tout est rose. La vie est belle. Que vive le roi en république…

Achille Mbembe: « le Cameroun va droit au mur »

Selon cet historien camerounais, le fait que le ministre des Relations extérieures, Lejeune Mbella Mbella, somme l’ambassadeur Peter Barlerin de s’expliquer sur sa récente sortie ne constitue qu’une fuite en avant.

Il y a quelques jours, l’Ambassadeur des États-Unis a été reçu par le Président de la République, Son Excellence M. Paul Biya, au pouvoir depuis novembre 1982 et l’un des Chefs d’Etat les plus âgés de la planète.
En un mot, l’Ambassadeur a relayé auprès du Président de la République le sentiment du gouvernement américain selon lequel le moment était arrivé : les États-Unis ne verraient pas d’un bon œil sa pérennité au pouvoir. Le temps, a clairement fait savoir l’Ambassadeur, est venu de passer la main.
On imagine mal qu’il se soit exprimé en son nom propre. Et le fait, pour le Ministère camerounais des affaires étrangères de le sommer de s’expliquer  relève, à maints égards, de la fuite en avant.
Il est vrai, des élections présidentielles se préparent. Tout ayant été verrouillé et au vu de la faiblesse de l’opposition et de sa fragmentation, le Président Paul Biya est assuré de l’emporter. Au demeurant, d’ores et déjà, tout est mis en branle pour qu’il en soit ainsi.
Victoire inutile, cependant, et pour plusieurs raisons. Le dévoiement des élections en contexte autoritaire fait que ce genre de consultations reflète rarement le consentement des gouvernés ou leur adhésion à l’individu déclaré vainqueur. Elles ne constituent pas non plus un plebiscite. La réelle désaffection des électeurs potentiels, le bourrage des urnes et autres obstacles consciemment inventés pour décourager le plus grand nombre ont fini par ôter a l’exercice toute teneur autre que celle d’un coup de force à peine  masqué.
Plus grave encore,  le pays n’a jamais autant été en conflit avec lui-meme. On connaissait Boko Haram et la politique de destruction aveugle pratiquee par ce groupe terroriste dans la partie nord du pays  soumise à ses coups de boutoir. Pique-nique, en vérité, si l’on prend en compte la sale guerre en cours dans les régions anglophones – l’incendie de villages entiers, la fuite des civils dans les forêts, des dizaines de milliers d’exilés au Nigeria, la ponction des soldats, les multiples exactions, la violence prédatrice de l’armée et l’autre violence, lumpen et non moins sanguinaire des sécessionnistes, les enlèvements, décapitations, mutilations et autres formes d’evisceration. Des deux côtés, l’on assiste à l’apparition de petits seigneurs de la guerre, maîtres de trafics de toutes sortes, et qui se servent de la violence débridée pour amasser des profits.
Le tournant sanglant de ce conflit inutile, totalement auto-infligé – et qui aurait pu être évité – constitue un moment décisif de l’histoire postcoloniale de ce pays, et sans doute la plus grande menace au contrôle que le régime post-Ahidjo exerçait depuis 1982. Il est improbable que le recours à la force suffise à maintenir au sein de l’union ceux qui ne veulent plus en faire partie.
A ceci, il convient d’ajouter l’intensification des antagonismes ethniques. Il est toujours hasardeux de réfléchir en termes généraux, comme si les ethnies formaient effectivement des entités stables ou des blocs tangibles. Toujours est-il que plus que jamais auparavant, nombreux sont ceux qui s’identifient de plus en plus ouvertement en tant que Bamileke ou Beti, deux des pôles belliqueux  désormais les plus marquants dans le débat public.
Pendant ce temps, la corruption, systémique, s’enkyste. La vandalisation du trésor public aussi.  Dans un pays où les niveaux d’appauvrissement sont parmi les plus spectaculaires en Afrique, d’incroyables sommes d’argent sont détournées presque chaque semaine, au vu et au su de tout le monde. Chaque projet est un prétexte pour voler de l’argent public. On ne compte plus le nombre de scandales demeures impunis, ni celui des dépenses somptuaires au milieu d’une misère rampante. Le délabrement des infrastructures de base (bâtiments publics, routes et autres) et le dévoiement des institutions sont  tels que presque plus rien n’échappe désormais au désordre.  Plus de 36 ans de recul dans tous les domaines ont fini par conduire à une grave impasse. Beaucoup ne savent plus ou donner de la tête. “On va faire comment?”, ne cesse-t-on de répéter à qui veut l’entendre.  La prédation s’effectuant à tous les niveaux de la société, chacun s’efforce de l’externaliser et de la faire financer par plus faible que lui. Une domination de type bureaucratique, faite de ponctions de toutes sortes, a abouti à la privatisation pure et simple de la puissance publique et à l’intensification des luttes pour l’accaparement. La plupart de ces luttes ont désormais pris des allures de règlements de compte ouvertement ethniques.
Dans ce contexte, les Américains pour une fois chercheraient-ils à anticiper? Si oui, le chemin est encore long et étroit. En effet, il ne s’agit pas seulement de signifier à un vieux satrape que la récréation est terminée. Encore faut-il préparer la suite. Et si l’on ne veut pas que tout s’achève comme en Centrafrique ou au Congo sous Mobutu, ou encore par des pogroms à géométrie variable (anglophones vs francophones, Bamileke vs Beti etc…), alors il faut le faire le plus rapidement possible.
Et d’abord en mettant sur pied une plate-forme au sein de laquelle les différents acteurs puissent renégocier la forme de l’Etat, puisque tel est le différend majeur.
On le sait, le différend concernant la forme de l’Etat porte en réalité sur la redistribution équitable des pouvoirs et des richesses et opportunités entre toutes les composantes de la nation. Seule une régionalisation radicale peut permettre d’y répondre.
Le chemin est également long parce qu’il n’existe pas de mouvement social véritablement national-iste. Au cours des 36 dernières années, le pays a effectué un grand bond en arrière en matière de développement du sentiment national. La plupart des acteurs politiques sont avant tout des entrepreneurs ethniques. Leur but n’est pas de transformer la nature du système, mais de le capturer et de le redéployer au service d’interets segmentaires.
Élections ou pas, la base sociale du régime au pouvoir continuera de s’effriter. Et plus elle s’effrite, plus le potentiel de conflits explosifs ira croissant. Peu importe le côté d’où on regarde les choses, le Cameroun est en train d’aller droit au mur.  Plus grave encore, l’actuel Président semble avoir perdu toute capacité ou volonté d’enrayer et la spirale du déclin, et l’engrenage sanglant. Les Américains en ont-ils conclu que son maintien au pouvoir constitue un facteur d’aggravation des risques et d’insécurité à l’échelle sous-régionale? La France, qui est une partie intégrante du “problème national camerounais”, a-t-elle une position claire sur cette question? Qu’en pensent les puissances régionales, à l’exemple du Nigeria?
Faute de pouvoir régler leurs différends entre eux, les Camerounais se verront imposer des solutions par d’autres. La rhétorique de la souveraineté nationale ne signifie pas grand chose à partir du moment où l’on se dessaisit de la capacité à mettre ses propres affaires en ordre. Chaque fois que ce pari est raté,  d’autres commencent à s’intéresser à ce qui se passe dans votre maison. L’on n’en a plus le contrôle exclusif.
Faute d’avoir su organiser sa propre sortie, celle-ci risque d’être   imposée au Président Paul Biya par plus puissant que lui.
Et faute d’avoir été à même de pousser Paul Biya à la porte de par sa force propre, le peuple camerounais risque de payer un prix élevé pour son indépendance et ce que certains appellent sa souveraineté.
La partie ne fait que commencer.
Par Achille Mbembé

 

L’ambassadeur des USA au Cameroun aurait été convoqué au Minrex

Selon La Voix de l’Amérique, Peter Henry Barlerin a été convoqué mardi par le ministre camerounais des Relations extérieures. Au menu des échanges, la communication du diplomate après son audience au Palais de l’Unité la semaine dernière.

Une rencontre entre le ministre camerounais des Relations extérieures (Minrex), Lejeune Mbella Mbellla, et l’ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun, Peter Henry Barlerin aurait eu lieu mardi, révèle La voix de l’Amérique sur son site. Le média, qui emploie le terme « convoqué » pour mettre en exergue le ton hostile des échanges, fait également savoir que la récente communication du diplomate sur la crise anglophone et la succession de Paul Biya était le seul sujet à l’ordre du jour.

La communication polémique a été faite à la sortie d’une audience que le président Paul Biya a accordée jeudi à Peter Henry Barlerin. Il s’agit d’une retransmission de la session de questions-réponses à laquelle celui-ci s’est livré avec des journalistes de la presse gouvernementale, au Palais de l’unité.

On apprend de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux que Peter Henry Barlerin aurait demandé au Président de la République du Cameroun – à la tête du pays depuis plus de 35 ans – de penser à sa succession; mais aussi, de la façon dont il aimerait que l’on se souvienne de lui.

On y a appris par la même occasion comment la crise socio-politique qui paralyse les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis plus d’un an est perçue par les Etats-Unis. La description faite des actions militaires sur place est sombre: « assassinats ciblées », « incendies et pillages des maisons », « arrestations sans accès à une assistance juridique« 

Les Etats-Unis posent aussi la responsabilité de certains sécessionnistes dans les violences en cours dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Selon Peter Barlerin, ceux-ci auraient commis des « meurtres de gendarmes », « des incendies d’école » et « des enlèvements d’écoles« .

A Yaoundé,  l’on  dénonce l’ingérence des Etats-Unis dans les affaires publiques camerounaises.