«J’ai ouvert mon cabinet en fin 2006 et je ne le regrette pas du tout…»
Psychologue clinicien installé à Bron. Vous avez un cabinet depuis 3 ans. Racontez-nous comment tout ça s’est passé?
Ça c’est une longue histoire! En fait, j’ai suivi mon premier cycle de formation en psychologie à l’université de Yaoundé1, jusqu’en licence. Une formation que j’estime de bonne qualité et qui a largement contribué à construire le professionnel que je suis aujourd’hui. Je suis venu en France pour continuer en maîtrise, à l’université de Chambéry. J’avais alors choisi le cursus recherche en psychologie clinique en menant par ailleurs de petits boulots pour subvenir à mes besoins, comme la majorité des étudiants africains ici. Mais arrivé en thèse, je me suis vite rendu compte qu’il fallait bien que je vive de ce métier que j’aimais, et que je passe des stages à l’exercice réel de la profession. J’ai donc passé le concours à l’université de Grenoble pour un mastère professionnel en 2004, que j’ai obtenu. Il s’en est suivi une année d’étude et un dernier stage au CHU de Grenoble, couronnés en 2005 par l’obtention du diplôme de psychologue, mention clinicien, spécialiste des pratiques psychothérapiques. J’étais major de ma promotion.
Apparemment cela n’a pas suffit?
Je me suis fixé le délai d’une année pour trouver un emploi. Douze mois ont passé sans que rien n’arrive. J’ai passé plusieurs entretiens sans succès. Par chance, je suis tombé sur trois recruteurs qui m’ont laissé percevoir que mes origines pouvaient être un obstacle pour aspirer à un poste de cadre. Le premier m’a envoyé une lettre disant que mon profil correspondait à ce qu’ils recherchaient et m’a orienté vers un site internet pour m’enquérir des modalités d’embauche. Tout heureux, je m’y rends, mais à mon grand regret, la première condition est d’être de nationalité française. Le second me dit que c’est ok pour lui, puis me rappelle une semaine après pour changer d’avis : «je suis peiné, vous aviez tout ce qu’on recherchait et même plus, mais la commission a préféré votre concurrent pour son ancienneté». Le troisième jury me demande en plein entretien quelle est ma nationalité. «Camerounais», je réponds. «Vous n’êtes pas un peu franco? Franco au début puis, mettez tout ce que vous voulez après». Je suis Camerounais, je reprends. Il me promet de se renseigner auprès de la plus haute hiérarchie. Dix jours plus tard, je reçois un courrier qui me dit avoir «un dossier d’excellente qualité» qu’ils ne peuvent retenir «à cause d’une impossibilité administrative». J’ai eu deux semaines de colère contre la France, mais comme ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, cette colère a réveillé la rage de l’immigré, la rage de réussir. Je disais souvent à mes camarades que la première structure qui me prendrait ne le regrettera pas, alors j’ai pensé cette fois-ci, autant que ce soit la mienne. J’ai commencé à travailler mon business plan, j’ai ouvert mon cabinet en fin 2006 et je ne le regrette pas du tout…
Votre cabinet en plus d’être clinique, est aussi un organisme de formation
En effet, le Cabinet de Psychologie Clinique ESSEMNEME (CPCE) est axé sur trois pôles d’activités: Les bilans et soins psychologiques aux particuliers (enfants, adolescents, adultes, couples et famille); La supervision d’équipes professionnelles des établissements médico-sociaux et éducatifs; La recherche et la formation continue en santé et travail social. Le cabinet a obtenu son agrément d’organisme de formation en janvier 2008 et regroupe à ce jour 5 collaborateurs formateurs.
Qui sont vos patients ? Au bout de 3 ans; quel retour avez-vous de vos patients?
Mes patients sont des gens de toutes races, de toutes origines (puisque Bron et Lyon sont des villes cosmopolites) qui pour des tas de raisons souffrent mentalement ou n’arrivent plus à avancer dans leur vie. Le bouche-à-oreille fonctionne bien entre patients. Mais quand on travaille sur l’humain, il faut savoir rester humble. Je crois que je parviens à les aider parce qu’ils me le permettent et parce qu’ils sont prêts à mobiliser leurs ressources pour que mon intervention soit utile. Le mérite du rétablissement est donc le leur.

En plus de votre vie professionnelle, vous avez une vie associative marquée. On va commencer par Cameroun développement que vous présidez. Parlez-nous-en?
L’Association Internationale Cameroun-Développement (AICD) est une structure loi 1901 basée à Lyon que nous avons créée avec d’autres compatriotes dans le but de promouvoir le développement socioculturel et économique de notre pays. Nous intervenons dans les secteurs agropastoral, éducatif, culturel, sanitaire et touristique en soutenant les initiatives locales.
Et les autres associations?
Avec l’association «Les Enfants d’Abanga» de Lorient, nous construisons une école dans le village Abanga dans l’arrondissement de Nkol-Afamba.
De nombreux camerounais vivent en communauté sans être forcément membre d’une association. Votre avis?
C’est une autre façon de vivre dans la convivialité l’esprit associatif, sans nécessairement formaliser les relations. On a besoin de cette chaleur, de ces souvenirs nostalgiques partagés, de cette solidarité que nous offre la communauté. Pour le reste chacun est libre de ses engagements.
Musicien à ses heures de loisirs. Vous jouez au balafon. Depuis très longtemps?
Oh oui! Depuis l’âge de 7 ans. J’ai commencé dans une chorale de la paroisse Ste Anne d’Efok. J’ai aussi joué avec pas mal de chorales à Yaoundé dont celle d’Obili. A présent je suis membre du Kiss-Kiss Balafons à Grenoble. Vous avez dû écouter au moins un de nos albums, sinon jetez un coup d’ il à www.kisskissbalafons.com . C’est une excellente coupure après le boulot.
Pour ceux qui ne connaissent pas le balafon. Décrivez-le!
Ouh là! C’est une journée de master-class que vous me demandez. Pour faire court, je dirais que c’est l’ancêtre africain du xylophone, une percussion mélodique constituée d’un clavier de notes faites de lames en bois, sous lesquelles sont suspendues des calebasses (courges sauvages séchées et vidées) qui servent de caisse de résonance. Il en existe plusieurs types. On pourra en parler plus longuement une autre fois si vous le voulez bien.
Et le Cameroun; vous y allez très souvent?
Au moins une fois par an.
Des projets au Cameroun?
Avec l’AICD, le principal projet en étude en ce moment est la construction d’une Maison de la Solidarité et du Développement (MSD) dans l’arrondissement d’Obala, c’est un centre de formation agropastoral intégré. Sur le plan professionnel, j’envisage fortement m’inscrire dans le processus de transfert des savoirs en direction du Cameroun. C’est à voir dans le temps.
Qu’aimez-vous manger qui vienne du Cameroun?
Tout plat camerounais ici en France me fait le même effet enthousiasmant et appétissant. Il faut dire qu’on a l’assiette vraiment délicieuse dans notre pays. Ndolè, poisson braisé, bitosso, okok, sauce jaune au taro pilé, folong, folléré à la boule de mil, kpwem, Kirichi, Eru. J’aime la table camerounaise.
Et s’il fallait faire un v u pour vous?
La santé et l’audace de mes rêves et projets.
