Affaire Sankara: mandat d’arrêt international contre Compaoré

La justice militaire burkinabè a lancé un mandat d’arrêt international contre l’ancien chef d’Etat Blaise Compaoré, pour son implication présumée dans la mort de Thomas Sankara

La justice militaire burkinabè a lancé un mandat d’arrêt international contre l’ancien chef d’Etat Blaise Compaoré, pour son implication présumée dans la mort de Thomas Sankara. Ce dernier avait été assassiné en 1987 lors du Coup d’Etat qui avait porté Compaoré au pouvoir.

Un mandat d’arrêt international contre l’ex-président Blaise Compaoré a été établi, selon une source proche du dossier, dans le cadre de l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara. Il a été émis depuis le 4 décembre 2015 et transmis aux autorités ivoiriennes qui n’ont pas encore réagi à la demande de la justice burkinabè.

Selon l’avocat des accusés, ce mandat figure déjà dans le dossier judiciaire. Les principaux inculpés dans cette affaire, dont le général Gilbert Diendéré, qui fut l’homme de confiance de Compaoré, sont poursuivis pour « assassinat, attentat et recel de cadavre ». L’ancien président Blaise Compaoré est visé par les mêmes chefs d’accusation.

Le président ivoirien Alassane Ouattara est attendu à Ouagadougou pour la cérémonie d’investiture du président Roch Marc Christian Kaboré. Il y a de fortes chances pour que ce dossier soit abordé par les deux hommes, ainsi que celui des écoutes téléphoniques. Le directeur de la justice militaire a prévu une conférence de presse mercredi prochain.

« Je pense que c’est l’avancée la plus notable dans l’instruction du dossier Thomas Sankara », a estimé Prospère Farama, l’un des avocats de la famille.

Selon lui, Blaise Compaoré a [i « clairement dit à certaines occasions que [le soir de l’assassinat], il était question de l’arrêter personnellement et que ses éléments à lui avaient pris les devants. »]

Vingt-sept ans d’attente
Ces soir-là, le jeudi 15 octobre 1987, le capitaine Thomas Sankara est en réunion avec des ministres, lorsqu’un commando prend d’assaut le bâtiment du Conseil de l’Entente, le siège du gouvernement. Le capitaine Thomas Sankara et douze responsables sont tués.

Sur le coup, aucune enquête n’est menée. Officiellement, les autorités concluent à « une mort naturelle ». Quelques jours plus tard, Blaise Compaoré, le bras droit de Thomas Sankara, le remplace à la tête de l’Etat.

Il a fallu attendre 27 ans et le départ de Blaise Compaoré pour qu’une enquête soit ouverte, en mars 2015. Car jusque-là, les circonstances de la mort de Sankara restaient un sujet tabou.

Depuis, les restes du corps présumé du capitaine Thomas Sankara ont été exhumés. L’autopsie a révélé que la dépouille était « criblée de balles ». Et ces dernières semaines, la machine judiciaire semble avoir pris un coup d’accélérateur.

L’ancien chef de l’Etat burkinabè, Blaise Compaoré.
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Les tests ADN ne donnent rien
Concernant les analyses pratiquées sur la dépouille présumée de Thomas Sankara, les résultats de ses tests ont été portés lundi à la connaissance des familles. Mais ils n’ont pas permis de détecter un ADN et de confirmer que ces restes appartiennent bien à l’ancien président burkinabè.

L’atmosphère était tendue au tribunal militaire de Ouagadougou ce lundi. A la sortie de l’audience, aucun membre des familles n’a souhaité réagir aux résultats des tests ADN pratiqués sur les dépouilles présumées de l’ancien chef de l’Etat burkinabè Thomas Sankara et de ses compagnons. « Je suis tellement fâchée que je ne peux pas vous parler », a lâché la fille d’une victime.

Pendant que les autres proches quittaient le palais au pas de course, certains avocats ont tout simplement lancé un laconique « les résultats n’ont rien donné », avant de s’éclipser. « Le laboratoire national de police de Marseille a effectué trois essais, pour emprunter un jargon scientifique », a expliqué l’un des avocats de la famille Sankara. « Les premier et deuxième niveaux confortent les résultats de l’autopsie. Mais au troisième niveau, l’expertise scientifique conclue qu’il n y a pas d’ADN détectable » a poursuivi Me Benewendé Stanislas Sankara.

En d’autres termes, l’état des dépouilles exhumées en mai dernier ne permettaient pas au laboratoire de certifier l’existence d’ADN. Les résultats d’expertise ne confirment donc pas que les restes retrouvés dans les tombes sont ceux du capitaine Thomas Sankara et des douze personnes à ses côtés au moment de sa mort. Les familles devront donc se contenter des résultats d’autopsie et des objets retrouvés après les exhumations.

Les inculpés dans le dossier ont assisté à la présentation des résultats. Détenus à la maison d’arrêt et de correction des armées, le général Gilbert Diendéré et les autres sont arrivés ensemble, dans un fourgon sous très haute surveillance. « Les inculpés n’ont pas été entendus. Ils sont venus juste pour la présentation des résultats », a indiqué Me Mathieu Somé, l’avocat du général Diendéré.

L’ancien président du Burkina FasoThomas Sankara, assassiné en 1987.
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Mort de Sankara: les réactions à l’inculpation du général Diendéré

L’enquête sur l’assassinat du premier président du Burkina Faso avait été relancée par le gouvernement de transition après l’insurrection populaire d’octobre 2014

Au Burkina Faso, le général Diendéré a été inculpé de complicité dans l’assassinat du président Thomas Sankara lors du coup d’Etat du 15 octobre 1987. Auteur de la tentative de putsch en septembre, Gilbert Diendéré est déjà incarcéré. Une dizaine de personnes, dont plusieurs soldats de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle, ont été inculpées pour leur implication présumée dans l’affaire Sankara. L’enquête sur l’assassinat du premier président du Burkina Faso avait été relancée par le gouvernement de transition après l’insurrection populaire d’octobre 2014.

C’était l’une des grandes promesses de la transition : faire la lumière sur la mort de Thomas Sankara. Le Premier ministre Isaac Zida avait annoncé peu après sa prise de fonction que « la poursuite des présumés coupables serait entreprise et que justice serait rendue ».

Avec l’inculpation, hier, du général Diendéré, cette promesse prend la voie d’être tenue.

Mariam Sankara, la veuve du président, n’a pas souhaité s’exprimer. Mais elle rappelait en septembre dernier sur RFI que Gilbert Diendéré avait été cité plusieurs fois dans le dossier. « Il semble impliqué. Il était responsable des militaires qui ont été cités dans cette affaire », précisait-elle.

En 1987, le général Diendéré dirigeait en effet régiment des commandos para de Po. C’est lui, le 15 octobre de cette année-là, qui a supervisé l’arrestation du président. En mai dernier, le corps de Thomas Sankara a été exhumé pour tenter d’établir les circonstances de son assassinat. Les rapports d’autopsie font état de plusieurs impacts de balles sur le corps du capitaine. Mais la famille Sankara et leurs avocats attendent toujours les résultats des tests ADN effectués sur les restes retrouvés dans la supposée tombe de Thomas Sankara.

« Pour nous, sankaristes, cela dénote réellement que notre combat depuis 27 ans n’a pas été un combat vain. Donc pour nous, c’est une joie d’avoir le début de solutionnement et de la vérité sur le dossier Thomas Sankara », se réjouit Nestor Bassière, vice-président du parti sankariste UNIR/PS pour lequel cette inculpation n’est qu’un début : [i « aujourd’hui, avec l’inculpation du général Diendéré, nous avons l’inculpation officielle de Blaise Compaoré. Nous voulons tous connaître la vérité sur ce qui s’est réellement passé le 15 octobre 1987. Nous avons demandé aux nouvelles autorités de conduire le dossier jusqu’à terme. Nous attendons du président Roch une justice au service du peuple, une justice où le coupable, quelque soit son rang, doit être puni conformément à la loi. »

Une première étape vers la vérité, c’est également le sentiment d’Alexandre Sankara, secrétaire national chargé de la communication de l’UNIR : « Nous sommes satisfaits de cette inculpation que nous attendions parce que le général Gilbert Diendéré a joué un rôle d’orchestre dans l’assassinat du président Thomas Sankara. Le commando qui a exécuté froidement le président Thomas Sankara était sous les ordres du général Diendéré. Donc c’est une victoire d’étape pour la famille sankariste pour le peuple burkinabè qui attendait depuis 27 ans que la lumière soit faite sur cet assassinat crapuleux. Si le général Diendéré est inculpé, beaucoup de choses au cours du procès seront dites, et on connaîtra enfin ce qui s’est passé avant, pendant et après le 15 octobre. »

Le général Gilbert Diendéré, à Ouagadougou, le 25 juillet 2014.
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Il y a 25 ans, tombait Thomas Sankara

Par Acheikh Ibn-Oumar, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur tchadien aux Nations unies

Il m’est difficile d’oublier cette après-midi du 15 octobre 1987, à Ouagadougou. C’était un peu avant 16 heures, heure locale. Tout baignait dans une torpeur incitant à la sieste. Nous étions six dans la villa où nous logions: trois de mes collaborateurs, le cuisinier et le sous-officier burkinabé affecté à notre service. Puis brusquement, de brèves rafales d’armes automatiques déchirèrent le silence. Quelqu’un remarqua: «Ça vient de la direction du Conseil de l’Entente (quartier général du CNR, Conseil National de la Révolution)!» Puis, le calme retomba. Un calme bien étrange. On pouvait presque ressentir la tension que vivaient, à ce moment-là, tous les habitants de la ville. C’est que depuis quelques semaines, une sourde tension politique régnait au sommet de l’État et, ces derniers jours, les rumeurs les plus alarmantes parcouraient la ville. On parlait de graves divisions chez les militaires et les intellectuels civils, de complots, d’épuration… Mais on ne savait pas encore que ces brèves rafales venaient de faucher le camarade Thomas et six membres de son staff.

Le président Goukouni et moi-même avions été reçus par Thomas Sankara quelques jours auparavant, dans le cadre de ses efforts pour tenter de recoller les morceaux du Gouvernent d’union nationale de transition (GUNT), coalition de mouvements opposés au président Hissène Habré. Quelques minutes après que nous avons entendu les tirs, l’officier de sécurité téléphona à sa hiérarchie. «Il y a des sérieux problèmes et on me demande de vous dire de ne sortir sous aucun prétexte et de passer la consigne à vos compatriotes», nous annonça-t-il. Malgré ses efforts pour avoir un «ton de service», un désarroi mal maîtrisé se lisait sur son visage. Dans une rue avoisinante, le commandant Lingani, numéro 3 du directoire militaire et ministre de la Défense, passa alors à toute vitesse au volant d’une jeep, hurlant des ordres dans son talkie-walkie.

Rumeurs ouagalaises
Les coups de feu entendus et le va-et-vient de véhicules militaires ne laissaient aucun doute. La crise politique, qui couvait, venait de connaître un important développement. Depuis plusieurs semaines, des milieux politiques jusqu’aux « doloteries » et « alokodromes » (restaurants en plein air), il n y avait qu’un seul sujet de conversation. «Ça ne va pas du tout entre les dirigeants. Le mouvement révolutionnaire dans son ensemble est divisé par des luttes d’influence entre factions rivales», entendait-on en ville. A cela s’ajoutaient deux signes annonciateurs. Le premier, le discours lu par le représentant des étudiants à la cérémonie du quatrième anniversaire de la DOP (Déclaration d’orientation politique) et que tout le monde avait interprété comme un message de la fraction opposée à Thomas Sankara. Le second, la circulation de tracts attaquant violemment l’un ou l’autre des hauts dirigeants et attribués tantôt aux partisans de Blaise Compaoré, tantôt à ceux de Thomas Sankara lui-même. Si mes rencontres avec les principaux concernés n’avaient rien laissé paraître, mes discussions avec certains anciens camarades de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) m’avaient permis de toucher du doigt de sérieuses contradictions internes.

D’abord, j’avais constaté que les anciens de la FEANF, bien qu’engagés dans le mouvement révolutionnaire, étaient repartis entre plusieurs organisations, créées au départ dans la clandestinité, selon des postures idéologiques, parfois assez surréalistes par rapport aux besoins de la construction nationale au Burkina. Ils parlaient ouvertement des déviations dans la «Révolution». Les uns accablant le «camarade Thomas», les autres le «camarade Blaise». Au niveau de ces intellectuels, la principale pomme de discorde était «la question du parti » d’avant-garde. On prêtait à Sankara et ses partisans la volonté de vouloir dissoudre toutes les organisations qui étaient représentées dans le CNR, au profit d’une sorte de parti unique acquis à sa personne, et de supprimer la référence à tout système de parti, pour confier le monopole de la mobilisation politique aux Comités de défense de la Révolution (CDR), sur le modèle des comités révolutionnaires libyens. Au niveau militaire, la décision de créer la FIMATS, une force d’intervention au sein du ministre de l’Intérieur, fut interprétée comme faisant partie d’un plan de marginalisation progressive des officiers de l’armée régulière, majoritairement acquis à Blaise.

Acheikh Ibn-Oumar
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Sankara, le «camarade qui s’était trompé», selon Compaoré
Ce 15 octobre 1987, le suspens ne dura pas longtemps. Vers 18h30, un très bref communiqué fut lu par une voix inconnue, au nom d’un mystérieux «Front Populaire» qui commençait par: «Le régime autocratique de Thomas Sankara vient de tomber». Il y était question de «déviation», de «tentative de restauration néocoloniale» par Thomas Sankara et de la nécessité d’un « Mouvement de rectification». Le communiqué s’achevait par «signé Blaise Compaoré». Ce dernier devait expliquer, plus tard, au cours d’une interview, qu’il n’avait pas participé au drame qui s’était déroulé au Conseil de l’Entente et qu’il était chez lui, «en train de dormir»… Une explication plus consistante, sous la forme d’un long discours, fut lue à la radio des jours plus tard par Blaise Compaoré lui-même. Il expliquait que les erreurs s’étaient accumulées et qu’elles avaient conduit au «Mouvement de rectification». Sankara n’était plus traité d’ «autocratique» et de «réactionnaire», mais de «camarade qui s’était trompé». «Une sépulture digne de la place qu’il avait occupée lui serait construite». Pourquoi parler de «sépulture»? C’est que Sankara et ses camarades d’infortune avaient été enterrés à la hâte, à même la terre. Certaines des parties de leurs corps affleuraient même au niveau du sol! La nuit de ce 15 octobre 1987 fut encore secouée par des coups de feu, nettement plus nourris que ceux de l’après-midi. On apprit le lendemain que c’était Pierre Ouedraogo, le coordinateur des CDR qui faisait de la résistance chez lui, pendant plusieurs heures avant de se rendre.

La fin de l’omerta, le début d’une réflexion
L’écho, en Afrique et dans le monde, de l’annonce de l’assassinat de Thomas Sankara fut immense. Jerry Rawlings du Ghana et Yoweri Museveni d’Ouganda, rompant avec le sacro-saint principe de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, l’ancêtre de l’Union africaine) de ne pas critiquer les changements internes aux Etats, condamnèrent officiellement l’événement et décrétèrent un deuil national. Curieusement le colonel Kadhafi fut complètement muet sur l’évènement. Vingt cinq ans après, il n y a jamais eu d’enquête officielle sur ce drame. Récemment encore, dans une interview à Jeune Afrique, le président Compaoré se contenta de justifier cette omerta par le fait que les révolutions connaissent souvent des soubresauts sanglants et que les drames non-élucidés ne sont pas l’apanage du seul Burkina Faso. L’enquête pour faire toute la lumière sur les circonstances du drame est une nécessité, non pas pour punir des coupables, mais pour assainir l’ambiance politique au Burkina, permettre à sa famille d’aller au bout de son travail de deuil et donner à Thomas Sankara la place qui lui revient dans l’Histoire burkinabé et africaine.

Au-delà de cet aspect humain, le destin tragique de Thomas Sankara, comme celui de Patrice Lumumba, Amilcar Cabral et d’autres leaders africains dont l’élan visionnaire fut précocement brisé, suscitent des questionnements idéologiques, socio-historiques et, naturellement, politiques. Ils méritent d’être traités en profondeur, sans passion, en vue d’en tirer des leçons et d’éclairer la lutte des générations montantes pour l’émancipation et l’unification des peuples africains.

Sankara, au premier plan, feu le capitaine Henri Zongo et Acheikh Ibn-Oumar (au milieu)
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