Cameroun-Ludovic Soppa : « Il y a une différence entre être bilingue et être traducteur »

La journée mondiale de la traduction s’est célébrée le 30 septembre dernier. Ludovic Soppa, Traducteur freelance revient sur les enjeux autour de ce métier.

Quelle définition donnez-vous à la traduction ?
Il conviendrait de relever au préalable que la traduction peut être vue sous plusieurs angles. On peut la concevoir comme un domaine d’étude ou une discipline scientifique, une profession ou encore une activité. Dans son domaine d’activité, on dira que la traduction vise à prendre le message d’un texte source et les rendre dans une autre langue qu’on appelle langue cible. Il s’agit là de la médiation interculturelle et interpersonnelle.
Comment comprendre le thème de cette journée, ‘Un monde sans barrière’?
Pour mieux comprendre ce thème, il conviendrait de comprendre le concept de barrière. Qu’est-ce qui constitue aujourd’hui une barrière dans notre monde ? Il pourrait s’agir des différentes langues du monde, des différentes cultures, de traditions. Donc a priori, ces éléments pourraient constituer ce qu’il convient d’appeler une barrière dans le monde.
Un monde sans barrière sous-entend alors que le traducteur et l’interprète ici servent ou alors doivent en tant que marteau briser ses différentes barrières. Donc on est tout de suite dans le rôle fondamental du prestataire de service linguistique qui est bien évidemment de briser ces différentes barrières qui sont créées à travers la diversité et la différence dans langues et cultures puisque le traducteur et l’interprète servent de médiateur, de facilitateur interculturel et interpersonnel.
Quels sont les enjeux et les défis autour de la traduction au Cameroun ?
Je commencerai par dire que la traduction et l’interprétation sont des éléments fondamentaux dans la réalisation de multiples projets que porte notre gouvernement ; de l’émergence en 2035 à la réalisation des projets structurants, des projets compris dans la stratégie nationale de développement. Tous ces projets reposent ou dépendent du rôle clé du prestataire de service linguistique.
Aujourd’hui, ce serait forcer les portes ouvertes que de dire que le Cameroun en plus de ses deux langues officielles a environ 200 langues locales et ce, couplé à sa grande variété culturelle. Alors, réussir à se développer dans un tel contexte de grand diversité requiert bien évidemment la présence des acteurs tels les traducteurs et interprètes qui seront là pour s’assurer que malgré ces diversités, le développement suit son cours car, ils agiront en tant que briseur de barrière et promoteur du développement dans la diversité.
Aujourd’hui lorsqu’on parle des défis de l’interprétation et de la traduction au Cameroun, on peut mentionner en premier lieu le manque d’organisation sur le plan national. Je pense que jusqu’à aujourd’hui, ce métier n’a pas encore un ordre de traducteur et d’interprète. C’est vrai que pour le moment on a quelques associations au rang desquelles, l’APTIC et bien d’autres. Mais, vous convenez avec moi qu’une profession aujourd’hui est plus forte lorsqu’elle a un ordre comme l’ordre par exemple des avocats, des médecins etc.
Je mentionnerais également que le gouvernement ne profite pas encore grandement du potentiel de la traduction et de l’interprétation qui pourrait servir de facteurs de valorisation de notre culture et de nos langues. Je pense aussi à l’interprétation communautaire, la traduction de nos langues locales ou même africaines.
Quelles sont les opportunités ou encore les ouvertures que ce métier apporte ?
Il y en a énormément. En plus de pouvoir être institutionnel ou freelance, avec l’arrivée du numérique, les jeunes traducteurs ou interprètes ont une fenêtre d’opportunités qui s’ouvre à eux et peuvent déjà exercer dans des secteurs comme le doublage, la rédaction web, certains sont maîtres de cérémonie. Il y en a qui sont mêmes des journalistes. C’est un métier qui s’ouvre à l’infini je dirais. C’est vraiment un métier qui constitue à mon sens un creuset d’opportunités pour les jeunes qui sont dans ce domaine.
On assiste à une floraison de Camerounais qui ont une éducation bilingue. Ces derniers pour la plupart utilisent cet avantage pour s’arroger le titre de traducteur. Sont-ils en tort ?
Bien-sûr, c’est devenue monnaie courante et cela ne date pas d’aujourd’hui d’ailleurs. Des jeunes Camerounais diplômés en études bilingues, parfois pas, se passent pour des traducteurs et interprètes professionnels. C’est bien dommage parce que les résultats sont souvent assez désagréables. Quand vous vous promenez par exemple dans une ville comme Yaoundé et que vous lisez sur une plaque département qu’on a traduit par departement, c’est assez désagréable et je pense qu’il y a un travail de fond qui doit être fait non pas seulement au niveau de la communauté des interprètes mais également au niveau des donneurs d’ouvrages qui devraient savoir la différence entre un bilingue et un traducteur professionnel car, il y va de l’image de notre pays.

Appel au peuple: L’université camerounaise à la dérive

Jean Takougang, traducteur, enseignant et expert

Notre Université a perdu ses repères et s’est détournée de ses missions fondamentales, phagocytée qu’elle est par les intérêts égoïstes et les objectifs bassement politiques des gens qui nous gouvernent et qui définissent son cours.
L’Université – comme on le conçoit communément- est une institution académique d’enseignement supérieur, d’approfondissement des méthodes et des connaissances ébauchées dans les cycles antérieurs de vie et d’apprentissage. C’est le creuset où des gens, plus assoiffés de connaissances et du savoir, revisitent leurs acquis intellectuels, culturels et moraux, les remâchent, les ordonnent, les digèrent et les assimilent et se les approprient pour solidifier les fondations et les fondements de l’édifice qui leur permettra de soumettre leur environnement afin de trouver des ébauches ou des solutions aux problèmes irrésolus qui menacent au quotidien l’existence et la vie de l’homme sur terre et qui entravent son bonheur et son total accomplissement. On la considère aussi comme le haut lieu de la recherche en vue de domestiquer les connaissances existantes, de les vulgariser et, enfin, d’affronter celles qui sont encore cachées ou insoupçonnées.

Comme le suggère son nom, l’Université est l’arène où se livrent les grandes batailles, toutes aussi décisives les unes que les autres pour la découverte, la conquête, la compréhension et la maîtrise de l’Univers, dans le but d’apporter une plus-value, une contribution déterminante, non pas seulement à la science en général mais aussi et surtout au progrès et à l’épanouissement de l’homme, de la société et de l’humanité toute entière. Sa mission essentielle est donc de former l’homme dans sa totalité, dans son corps, son esprit, son âme, en lui fournissant des armes et des méthodes (surtout e l’aidant à les trouver lui-même !) pour s’auto-réaliser et mieux comprendre l’univers et la vie dans toute sa richesse et s’intégrer harmonieusement dans la société où il est appelé à vivre en harmonie et en complémentarité avec les autres. Malheureusement, depuis un certain temps, notre Université semble avoir perdu ses repères et de ce fait avoir été détournée de ces missions fondamentales, phagocytée qu’elle est par les intérêts égoïstes et les objectifs bassement politiques des gens qui nous gouvernent et qui définissent son cours. Beaucoup a déjà été dit sur la déliquescence et l’état de dégradation avancés de l’université camerounaise. Le Syndicat National des Enseignants du Supérieur (SYNES) a en son temps produit un livre blanc pour présenter, analyser et proposer des solutions aux problèmes qui s’y posent depuis les années 90, mais les autorités en charge de sa réorientation semblent apprécier et encourager la courbe fatale qu’elle prend inexorablement depuis un peu plus de deux décennies. Et, comme un navire ou un avion à la dérive, elle s’est écartée et continue de s’écarter de sa direction originelle, sous l’effet des vents et des courants contraires.

Toute entreprise ou institution qui se veut performante et rentable doit être suffisamment claire et précise dans la définition de ses objectifs et se donner les moyens à la hauteur de ses ambitions. Ces moyens sont humains, matériels et financiers. Il n’existe pas entre eux de cloisonnements étanches. Ils se côtoient, se croisent, s’interpénètrent, s’imbriquent et se fusionnent. Tous doivent être satisfaits en temps opportun. L’absence d’une seule composante rend les autres inopérantes. A quoi serviraient les moyens matériels et financiers sans les moyens humains et vice-versa ? Quant aux moyens matériels et humains, ils doivent être en quantité suffisante et de bonne qualité. En plus de tout cela, il faut penser aux conditions de travail, c’est-à-dire que l’environnement, l’atmosphère et le climat qui règnent dans l’institution doivent êtres propices au travail. L’Université camerounaise a-t-elle des ambitions ? A-t-elle tenu compte de toutes ces préoccupations qui ont fait partout leurs preuves ? Il y a tout lieu d’en douter ! Quant aux moyens humains, comme dans tout institut d’enseignement, les autorités camerounaises auraient dû comprendre que l’Université camerounaise sera ce que ses enseignants et ses dirigeants en auront fait ! Si les missions de l’Université camerounaise sont aussi lourdes et les attentes de sa société aussi celles que nous avons décrites plus haut, il serait redondant de relever que la formation des étudiants et par ricochet l’avenir et le destin d’une nation ne sauraient être laissés entre des mains inexpertes et illégitimes. Car on l’oublie trop souvent, l’enseignement, à quelque niveau que ce soit, est à la fois un art et une science. Pour y accéder, il faudrait être formé aux sciences et à la technique pédagogique et en appliquer consciencieusement la psychologie et les méthodes. S’il est vrai qu’aucune formation professionnelle dans le domaine ne peut prémunir de tout imprévu au point d’éliminer ou d’interdire l’improvisation, on se doit tout aussi de reconnaître qu’il faut au départ avoir parfaitement appris et maîtrisé certains fondamentaux qui orienteront le raffinement et l’exploitation des dons et des qualités naturels.

On ne peut mieux improviser que lorsqu’on connaît parfaitement le terrain sur lequel on évolue et que l’on sait exactement où l’on va. Pourquoi diable, a-t-on décrété que nos professeurs d’université n’avaient besoin de rien d’autre que de leurs doctorats pour exercer alors que leurs homologues de l’Education de Base et des Enseignements Secondaires doivent, en plus de leurs diplômes et de solides connaissances académiques, justifier d’une formation professionnelle méthodiquement assimilée dans des institutions spécialisées conçues à cet effet ? Même si les spécialistes en charge de penser notre enseignement supérieur n’en ont peut-être pas jusqu’ici reconnu la nécessité, il est indéniable que dans tout enseignement, l’expertise pédagogique et la connaissance technique sont indiscutablement indispensables et que toute improvisation et spontanéité sont disciplinées par l’éducation, l’apprentissage et l’expérience. Dans ce métier, les connaissances seules ne suffisent pas, il faut en plus toute une technique et des méthodes pour les transmettre qui ne sont pour rien au monde facultatives ! Sinon, malgré les doctorats et des connaissances indiscutables, on risque de n’être rien d’autre qu’un «mercenaire de la craie» ! En plus de cette carence, il a été souvent décrié le fait que le recrutement des professeurs d’Université, leur titularisation et leur avancement n’obéissent pas toujours à des critères objectifs précis et connus de toutes les parties prenantes. Et là, on peut soupçonner et craindre le pire. De plus, les dirigeants, du recteur aux chefs de départements en passant par les doyens et autres chefs de service et de bureau sont nommés. Non pas élus ! Ils ne sont plus là que pour entretenir leur carrière politique. Aussitôt que le décret tombe, la toge du professeur aussi tombe et est remplacée par la robe de l’homme politique dont ils jouent désormais le rôle jusqu’à la caricature. Ils n’ont plus de comptes à rendre ni à leurs pairs ni aux étudiants qui sont pourtant la raison d’être de l’université. Leurs préoccupations sont désormais ailleurs. Du jour au lendemain, on voit qu’ils prospèrent, qu’ils sont devenus des «gens bien». Leurs collègues se battent pour les suivre ou les remplacer. Par tous les moyens. Les intrigues se multiplient, les nouveaux décrets pleuvent, dans tous les sens : pour nommer, relever, confirmer, sans compter des contradictions qui parfois font désordre ! Les amphis se vident, les bureaux se remplissent, les aigris se multiplient, la suspicion et la délation règnent partout en maître.

Et là, nous quittons définitivement le campus pour entrer de plain pied dans la politisation et la fonctionnarisation à outrance qui ont transformé notre Université en un véritable champ de mines où il faut se munir de coussinets élastiques pour s’y rendre et bien regarder où on met le pied. Etant le laboratoire où se conçoivent et s’élaborent les théories les plus diverses pour dompter l’univers, l’Université ne saurait former de simples diplômés, mais de vrais intellectuels, de véritables modèles, à l’avant-garde du changement, plus prêts que le commun des mortels à conduire les autres dans la modernité scientifique, technologique, économique et surtout dans la modernité démocratique, cette dernière étant l’impulsion ou l’étincelle divine qui conditionne toute pensée libre et constructive. Malheureusement, la nôtre est devenue depuis 1990 un champ de batailles où se livrent des combats d’arrière-garde pour empêcher à tout prix l’avènement de la démocratie et des libertés dans notre pays. Tout le monde se souvient de ces combats entre «parlementaires» et «auto-défenseurs», de ces morts et «disparitions» jusqu’ici inélucidées dont les enquêtes ont abouti à un tonitruant «zéro mort» que la mémoire des martyrs n’oubliera jamais. On se souvient de toutes ces chasses aux sorcières et procès en sorcellerie contre le Syndicat National des Enseignants du Supérieur (SYNES) et ses adhérents et plus encore de cette tentative d’assassinat contre leur président qui s’en était miraculeusement sorti avec des doigts tranchés A ce jour, deux décennies après la restauration du multipartisme, l’intolérance et la brutalité n’y ont pas cessé. Bien au contraire ! Des milices tribales, armées et prêtes à passer à l’assaut, ont pignon sur rue. Les conflits s’y règlent dans la violence, la corruption, le chantage, les intimidations, l’exclusion, les disparitions ! C’est la thérapeutique de l’amputation, qui caractérise la médecine du pire ! L’Association de Défense des Droits des Etudiants (ADDEC) ne cesse d’être pourchassée, traquée, menacée. Ses dirigeants, en plus des procès, ont été souvent refusés aux différentes maîtrises contre les dispositions réglementaires qui les régissent. Ils sont aussi souvent emprisonnés ou exclus des universités camerounaises, avec notre silence et indifférence complices !
Leur tort ? C’est d’avoir refusé d’être de ces diplômés semi-lettrés que l’on met tous les ans sur le « marché du chômage » ! C’est pourquoi ils ont exigé des conditions de travail, des équipements universitaires et des enseignements qui cadrent avec les canons de l’enseignement supérieur dans le monde ; exigé un peu de tolérance, de liberté et surtout, d’être associés à l’étude et à la résolution des problèmes qui les concernent ou qui concernent leurs études ou l’organisation de l’Université ; enfin, exigé que les sollicitations financières des Etudiants soient en rapport avec les possibilités de leurs parents qui ont été sacrifiés sans dédommagement sur l’autel des privatisations ou qui ont perdu jusqu’à 70% de leurs salaires juste avant la dévaluation pour soutenir le train de vie des pontes du régime, du commandement et du cercle répressif. Et le plus grave, c’est que nos enseignants, qui auraient dû être les gardiens du temple, en ont été les premiers profanateurs. Ils y ont brisé les icônes en foulant au pied les principes cardinaux du mérite et de l’excellence pour des considérations bassement politiques, tribales ou alimentaires. On entend ici et là parler des fuites, des ventes des épreuves, des notes fantaisistes ou «sexuellement transmissibles», des promotions canapé et d’autres énormités et barbarismes qui entrent par effraction dans ces lieux sacrés ! Au Cameroun, les trafics d’influence et le clientélisme politique sur fond de corruption multiforme ont pris le pas sur le mérite et l’excellence universitaires. Quand des Enseignants, sans vergogne, ont rédigé une motion de soutien et d’encouragement pour exhorter le président de la république à se porter candidat lors de la dernière présidentielle d’une part et d’autre part pour inviter les Camerounais à le réélire, on a compris que les métastases d’un irréversible cancer avait déjà envahi tous les organes de l’Université et qu’elle avait déjà perdu toutes ses défenses immunitaires. Lorsque cette année, sans avoir présenté le bilan du précédent septennat ils rédigent encore au nom de l’Université une autre motion d’appel à candidature que chacun d’eux aurait pu signer sans controverse dans la section où il milite, il y a lieu de crier de crier à l’usurpation, à la manipulation et à l’imposture. Si rien n’est fait dans les plus brefs délais, d’ici peu, Il ne restera plus pour notre université que l’euthanasie ou un traitement d’accompagnement.

Après ce portrait hideux, que reste-t-il encore de notre Université ? Pour bien la comprendre, il faut savoir qu’elle est à l’image de notre Ecole et de tout notre système éducatif conçu pour former des exécutants et non pour dispenser un savoir qui libère et qui affranchit des chaînes de l’esclavage et de l’ignorance. Les dictatures savent que la connaissance et le savoir véritables sont des contre-pouvoirs et ne s’en accommodent guère. A défaut d’être de simples garderies pour éviter des «dérapages incontrôlables», nos écoles sont des centres d’uniformisation, de standardisation et d’abêtissement collectif pour le maintien de l’unanimisme et du statu quo. Il n’est plus question d’une simple dérive qui peut être accidentelle et donc pardonnable. C’est une politique pensée, mûrie et scrupuleusement appliquée : un processus de dégénérescence qu’aucune demi-mesure ne pourra arrêter ! Je ne suis pas de ceux qui prédisent l’apocalypse et se délectent de son avènement imminent, mais de ceux qui tirent la sonnette d’alarme pour que quelque chose soit fait avant qu’il ne soit trop tard ! Je suis surtout de ceux qui mettent toujours la main à la pâte afin que l’Histoire ne se fasse pas sans eux. Lorsque tant d’intrigues, de grenouillages et de barbarie ont cours dans une institution qui avait pour vocation de secréter la civilisation, c’est que tout le tissu social est atteint et que le traitement ne peut plus être local. Le salut passera par un travail de fond pour l’avènement d’une société camerounaise vraiment démocratique avec la reconnaissance de toutes ses valeurs corollaires que sont le pluralisme, la tolérance, le mérite, la participation et le dialogue.