Par Joël Didier Engo, président du Comité de libération des prisonniers politiques (CL2P)
Communiqué du Comité de libération des prisonniers politiques (CL2P) à la suite de la nouvelle condamnation arbitraire de M. Jean Marie Atangana Mebara
Le Comité de libération des prisonniers politiques au Cameroun (CL2P) vient d’apprendre avec regret la condamnation de M. Jean Marie Atangana Mebara à 25 ans de prison ferme par le Tribunal criminel spécial (TCS) du Cameroun. Il est reproché à l’ancien secrétaire général à la présidence de la République le détournement de 5 millions de dollars destinés à l’achat de l’avion présidentiel en juin 2003.
Il convient de prime abord de déplorer la durée excessivement longue de cette procédure.
Poursuivi en effet depuis septembre 2009 pour ce chef d’accusation, ce n’est qu’en juin 2016 que M. Atangana Mebara est fixé sur son sort. Ceci en violation tant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui prescrivent qu’un citoyen soit jugé dans des délais raisonnables.
Ensuite, nous déplorons qu’aucune preuve de détournement n’ait été produite au cours de ce procès.
Des témoins de l’accusation ont d’ailleurs reconnu que la firme américaine Boieng a accusé réception des 5 millions de dollars querellés dont le virement a été ordonné par le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, M. Michel Meva’a M’Eboutou.
La seule «preuve» de l’accusation semble être l’absence d’«instructions écrites» du chef de l’Etat Paul Biya à son Secrétaire Général Jean Marie Atangana Mebara, lesquelles consistaient à acquérir un avion en location, le fameux «Albatros», plutôt que de parachever le processus d’acquisition d’un aéronef neuf entamé en 2001.
En foi de ce qui précède, le CL2P :
.Réitère que M. Jean Marie Atangana Mebara est un prisonnier politique.
.Rappelle que son seul tort est d’avoir été désigné par des bulletins des services secrets camerounais comme un membre influent du G11, groupe informel de jeunes proches collaborateurs de Paul Biya soupçonnés d’avoir envisagé de succéder à ce dernier en 2011.
.Souligne qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable sur ce chef d’accusation.
.Dénonce cette avalanche de condamnations arbitraires qui revêtent toutes des allures d’un acharnement politique.
.S’associe aux recommandations de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples émis le 21 avril dernier invitant l’Etat du Cameroun à le libérer, puis à lui verser des dédommagements à hauteur de 400 millions de F CFA pour «détention arbitraire».
Par Olivier Tchouaffe PhD et Engo Joel Didier, President du CL2P
Après notre dernière publication intitulée: « Cameroun: la figure de l’opposant: Genealogie d’une déchéance de Droits Civiques » nous nous sommes vus reprochés l’idée que Marafa Hamidou Yaya, célèbre prisonnier politique camerounais, s’est découvert la qualité d’opposant uniquement au moment de son incarcération. Il serait donc un opportuniste ou un « minable » aux dires de monsieur Issa Tchiroma Bakary, ministre camerounais de la communication et porte-parole du gouvernement. Les notions de prisonnier politique et de procès politique ont été tellement dénaturées au Cameroun, que l’urgence d’une pédagogie est devenue nécessaire, afin de repreciser puis de clarifier ce que nous entendons par prisonnier politique et procès politique au Cameroun.
1) Qu’est ce qu’un prisonnier et un procès politique au Cameroun?
Le statut de prisonnier politique ne se réduit guère au coup de force politique contre la sûreté de l’État ou aux seuls délits d’opinion. Toute personne qui se retrouve enfermée souvent bien malgré elle dans une criminalisation de la compétition politique conjuguée à une politisation de la répression puis à une instrumentalisation de la Justice.est un prisonnier politique au Cameroun. Le prisonnier politique est un coupable d’office qui subit la restriction de ses droits civils et politiques. Les recours légaux qui peuvent rétablir son innocence sont systématiquement fermés ou bloqués par un mur épais et sourd en béton.
Il en découle un sentiment légitime d’être enfermé dans un carcan Kafkaesque sans aucune protection légale ni juridique. Il est d’emblée placé en situation de détention arbitraire à l’instar de Jean-Marie Atangana Mebara, ancien secrétaire général à la Présidence du Cameroun, reconnu comme tel par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples; ou le Ministre d’État Marafa Hamidou Yaya qui a reconnu que ses déboires politiques ont commencé au moment où il a demandé au Président Paul Biya de ne plus se représenter en 2011. Dans un pays où une vraie compétition électorale digne de ce nom est rare pour ne pas dire inexistante, cette demande a été assimilé à un vrai crime de lèse-majesté.
Ainsi dans le contexte vicié camerounais, pour pouvoir se déclarer et/ou devenir un prisonnier politique il faut aussi être capable de transformer la seule plate-forme autorisée qu’est le tribunal en sphère politique. C’est une démarche qui attire bien évidemment les foudres du régime en place, mais qui a comme principal mérite de sensibiliser l’opinion publique puis d’alerter les médias sur la nature du processus juridique et judiciaire enclenché contre l’infortuné du moment.
2) Procès Politique et Quiproquo Judiciaire
Se déclarer prisonnier politique, c’est aussi mettre le gouvernement devant un quiproquo légal et juridique, puis les contresens qui en découlent. Une dictature ne pourra jamais admettre que des purges politiques existent. Ce serait se tirer une balle dans les pieds et reconnaître que le système politique n’est pas démocratique. Les prisonniers politiques ou « minables » sont donc être jugés comme des simples criminels de droit commun. Le hic c’est que ces prisonniers dits de droit commun sont jugés par des tribunaux spéciaux voire d’exception (à l’instar du Tribunal Criminel Spécial au Cameroun) et que leurs dossiers d’instruction ne suivent pas le canal judiciaire traditionnel, mais sont souvent instruits par des services spéciaux au nom de la sécurité nationale ou simplement du fait du prince.
Entre autres, le prévenu ne peut comparaître libre, est systématiquement placé en détention provisoire, alors même qu’il devrait normalement jouir du statut de prévenu de droit commun au moins jusqu’au prononcé du jugement. Cette privatisation du dossier judiciaire a des répercussions sur la défense, puisque les avocats n’ont généralement pas ou partiellement accès à tous les dossiers au nom de la sécurité nationale.
Ces prisonniers, pour la plupart, sont aussi embastillés, non pas dans des prisons conventionnelles mais dans des institutions militarisées ou de sécurité dite maximale, ce que Joël Didier Engo a appelé des « mouroirs concentrationnaires ».
3) Prisonnier politique, Verdict et État d’Exception
Dans une procédure politique, le verdict est prédéterminé d’avance parce que la justice passe aux ordres du politique. Un prisonnier politique, par nature, ne gagne jamais son procès, y compris défendu par les meilleurs avocats. En fait le prisonnier politique sert à ce que le philosophe Italien Giorgio Agamben appelle « Homo Sacer. » L’homo Sacer est un être qui ne peut-être sacrifié mais sa vie est disposable. Il est embastillé et torturé mais il sert d’abord à établir un état d’exception dans lequel le souverain gouverne par décret. En effet, même comme la vie du Homo Sacer est disposable, il est en même temps un instrument essentiel du régime avec l’unique caractéristique qu’il est à la fois au centre et à la marge du régime.
La fonction de l’Homo Sacer c’est de donner une onction de légitimité à la dictature puisqu’il est exploité – ici sacrifié – pour justifier un état d’exception qui est en vérité ce qu’Achille Mbembe appelle « necropolitique », un régime politique ou l’expression du pouvoir se réduit à la décision de vie et de mort. À ce titre, la raison d’être de homo Sacer est de servir à tout moment d’alibi politique à une dictature. Il est intéressant de noter que le récent livre du Ministre d’État Jean Marie Atagana Mebara a été préfacé par Eric Chinje, ce journaliste autrefois présentateur du journal télévisé à la télévision nationale du Cameroun à qui le président Biya avait confié qu’il avait ce droit de « vie et de mort » sur chaque camerounais. À ce sujet, Me Claude Assira, conseil de Jean-Marie Atangana Mebara explique objectivement que «L’exécutif camerounais utilise souvent l’opération Épervier à des fins purement politiciennes de propagande, d’intimidation ou de vindicte».
4) Le Souverain, l’Homo Sacer et Souci de Soi
Le paradoxe du Homo Sacer, c’est que le souverain ou dictateur peut aussi même se retrouver dans la situation d’un homo Sacer. Une des raisons que les dictateurs s’acharnent à retenir le pouvoir, c’est la paranoïa qu’une fois hors du pouvoir eux-mêmes peuvent devenir des homos sacer et être extradés à La Haye comme Laurent Gbagbo, ou Hissein Habre au Sénégal ou tous les génocidaires Rwandais en Tanzanie. Et l’Homo Sacer peut demain tout aussi devenir souverain comme Nelson Mandela.
La politique est un monde brutal où les coups reçus portent la marque de l’authenticité. Ce qui est important de noter, c’est que tous ceux qui restent ou se contentent d’être à la marge et se complaisent d’infantiliser ou dans le traitement condescendant voire méprisant à l’égard de ces combattants politiques, ne veulent surtout pas faire des vagues ou jouent au bon griot au nom de l’instinct naturel de survie et/ou d’éloignement personnel de la sphère politique. Les prisonniers politiques d’aujourd’hui seront certainement les leaders de demain parce que l’Histoire est de leur côté.
Mardi, le Tribunal criminel spécial a estimé qu’il avait suffisamment d’éléments pour poursuivre l’ancien secrétaire général à la présidence, dans un détournement présumé de 5 millions de dollars
Mardi 5 mai dans la soirée, le tribunal criminel spécial a estimé qu’il avait suffisamment d’éléments pour poursuivre Mebara pour des faits de malversations présumées, un détournement de fonds dans le cadre de l’achat manqué d’un avion présidentiel. Lors de cette audience, Mebara a jugé qu’il était en réalité soupçonné d’avoir tenté de prendre le pouvoir.
Le tribunal criminel spécial accuse Jean-Marie Atangana Mebara d’avoir détourné près de 5 millions de dollars destinés à l’équipement de l’avion présidentiel, dont l’achat n’a finalement pas abouti. Les faits remontent à 2001. Mebara est alors secrétaire général à la présidence et proche de Paul Biya. Lors de cette audience, le ministre des Finances de l’époque a confirmé avoir ordonné le virement de cette somme sur les comptes de Boeing, le fournisseur de cette opération.
«Les dés sont d’avance pipés»
De son côté, la défense relève une série d’anomalies et dénonce une «procédure bizarre». Selon elle, les responsables de l’avionneur ne sont par exemple pas cités dans ce dossier pour confirmer ou infirmer les accusations. A cela s’ajoute l’absence d’un autre coaccusé, Jérôme Mendouga. Ancien ambassadeur à Washington, il est soupçonné d’avoir coordonné la commande de matériel, mais il est décédé en novembre dernier.
«Tous les justiciables, y compris les anciens collaborateurs du chef de l’Etat poursuivis dans le cadre de l’opération Epervier, doivent pouvoir bénéficier de la présomption d’innocence», écrit Me Claude Assira dans une lettre ouverte adressée au président.«Les dés sont d’avance pipés», dénonce cet avocat, qui estime que «la justice est devenue le ferment de l’absurde et de l’arbitraire».
La reprise du procès est prévue le 21 mai prochain. D’ici là, Jean Marie Atangana Mebara devra dire comment il compte organiser sa défense. Rappelons que cette procédure vise également d’autres personnalités, telles que Marafa Hamidou Yaya, un autre ancien secrétaire général à la présidence, ou encore l’ex-patron de la Camair, Yves-Michel Fotso, qui ont tous deux écopé de 25 ans de prison.