Raju Jan Singh: «La crise de la dette n’affectera pas la coopération de la Banque Mondiale avec le Cameroun»

Economiste en chef au bureau régional de la Banque Mondiale, il évoque la crise de la dette en Occident et ses implications pour le Cameroun

Vous êtes économiste en chef de la Banque Mondiale pour l’Afrique Centrale, et depuis quelques temps on parle de la crise de la dette dans les pays européens et aux États-Unis. Quelle est l’influence de ces évènements sur le Cameroun?
En 2010, la croissance économique au Cameroun a été portée par les activités non-pétrolières, particulièrement les cultures vivrières, la construction, les transports et les télécommunications. Nous pensons que ces tendances se poursuivront en 2011. A cet égard, les bonnes performances observées durant le premier semestre de cette année dans la mobilisation des recettes non-pétrolières pourraient même suggérer que la reprise de l’activité économique au Cameroun serait plus forte qu’initialement attendue. Ceci dit, même si nos équipes ainsi que nos partenaires Camerounais suivent les évènements aux Etats-Unis et en Europe de très près, il est encore trop tôt pour évaluer l’ampleur de leur influence sur l’économie camerounaise. Nous pouvons noter, toutefois, que la volatilité accrue des marchés financiers due aux incertitudes persistantes quant à l’issue des crises aux Etats-Unis et en Europe représente un risque pour l’économie mondiale, y compris pour les économies qui connaissent pour l’instant un rythme d’expansion soutenu. Les réunions annuelles de la Banque Mondiale se tiendront à la fin septembre à Washington, réunissant nos gouverneurs et les effets des crises américaines et européennes seront à l’ordre du jour.

L’Afrique centrale qui appartient à la zone CFA opère encore 36% de ses échanges avec l’occident, premier consommateur de ses matières premières. Est-ce que l’adoption des mesures d’austérité dans les pays de l’union européenne ne risque-t-elle pas d’entrainer une baisse de nos exportations ?
L’intégration du système financier de la région CEMAC étant encore relativement limitée, il est vrai que les effets d’une politique d’austérité en Europe se feront sentir plutôt par une réduction des exportations. Le Cameroun ayant des ressortissants travaillant dans ces pays pourrait également voir une baisse des transferts d’argent. Une baisse de l’aide au développement est également un risque, encore que dans ce cas le Cameroun serait relativement protégé, l’aide au développement ne représentant pas une source de financement important pour le budget de l’Etat.

Pour revenir à la Banque Mondiale, elle a de nombreux projets en cours de réalisation ou d’étude avec le Cameroun, et plus globalement l’Afrique centrale, est-ce que cette situation de crise de la dette va affecter cette coopération?
Je tiens à vous rassurer tout de suite, la crise de la dette n’affectera pas la coopération de la Banque avec le Cameroun. Tout d’abord, la relation emprunteur-bailleur de fonds qui a défini le dialogue entre le Cameroun et la Banque par le passé est en train de faire place à une relation davantage basée sur un partenariat privilégiant l’échange de connaissances et d’expériences. C’est ainsi que la Banque a lancé en janvier une nouvelle publication sur l’économie camerounaise – Cahiers Economiques du Cameroun – qui offre une base de dialogue pour tous les acteurs économiques. Ceci dit, la Banque demeure engagée financièrement. Notre portefeuille au Cameroun compte aujourd’hui 22 projets pour un montant total de 968.2 millions de dollars américains, soit quelque FCFA 445 milliards. Ces projets couvrent les domaines tels que le transport routier, l’énergie, les télécommunications, le développement rural, la santé et l’éducation. Ces montants restent encore en grande partie à débourser. De plus, un accord final a été conclu en décembre dernier pour la 16eme reconstitution des ressources de l’IDA (IDA-16), notre guichet pour l’aide au développement. Cet accord représente une augmentation de l’enveloppe globale de l’IDA de 18 pour cent par rapport à la reconstitution précédente. Concrètement pour le Cameroun, cela signifie que quelque 100 millions de dollars américains additionnels pourraient être mobilisés en sa faveur chaque année pour les trois prochaines années. Mais la détermination de l’allocation finale des ressources IDA dépend en large partie de la qualité des politiques et des institutions d’un pays. L’Evaluation de la Politique et des Institutions Nationales (EPIN) évalue chaque année la performance relative des pays au regard de leur gestion macro-économique, politiques structurelles pour la croissance, politique d’équité et de développement durable et gouvernance. Or le score du Cameroun est demeuré inchangé depuis 2008. Ainsi, si le Cameroun parvenait à améliorer sa performance, le pays pourrait aspirer à obtenir un plus grand engagement financier de la part de la Banque.

La Banque Mondiale évoquait dans son livre « The Day After Tomorrow » la situation d’une Europe en difficulté économique allant de paire avec une Afrique subsaharienne pleine d’opportunités si les dirigeants de ses pays adoptent la bonne attitude. Partagez-vous toujours cette idée?
Certainement. Comme nous l’avions discuté lors de la présentation de ce livre au Forum sur la Gouvernance en juillet, l’Afrique subsaharienne – et particulièrement le Cameroun – pourrait faire bien mieux en termes de croissance économique. Mais pour cela, elle lui faut relever trois défis structurels majeurs. Premièrement, elle devra amener le secteur privé à s’impliquer davantage dans la mise en place des infrastructures nécessaires à sa croissance économique. Deuxièmement, un emploi devra être trouvé pour la masse de jeunes qui arrive dans le monde du travail. Et enfin, la qualité des institutions de l’Etat devra être améliorée. Les services publics, de l’éducation et la santé à l’assainissement et la sécurité, ont rarement été à la hauteur ou en rapport avec les ressources qu’ils absorbent. Ceci demandera entre autres une meilleure gestion des dépenses publiques.

Raju Jan Singh, économiste en chef au bureau Cameroun de la Banque Mondiale
Banque Mondiale)/n

Raju Jan Singh: «Les Camerounais peuvent voir leurs revenus croitre»

Economiste en chef au Bureau de la Banque Mondiale à Yaoundé, il évoque la question du potentiel économique du Cameroun et les moyens pour l’optimiser

Vous avez publié une réflexion titrée « Cameroun: le Réveil du Lion?» Avant toute chose de quel lion parlez-vous?
Avec ce premier numéro des Cahiers économiques du Cameroun, nous parlons du lion économique que pourrait devenir le Cameroun, patrie de Roger Milla et des Lions Indomptables. Le titre de ce premier numéro, « Le réveil du lion ? – Point sur la situation économique du Cameroun. Spécial Télécommunications », est à l’image des difficultés du pays à mettre son énorme potentiel économique au service d’une croissance rapide et d’un recul de la pauvreté. Avec ces cahiers, la Banque mondiale inaugure un programme de rapports économiques plus concis et réguliers. Ils visent à partager les connaissances et susciter un dialogue entre ceux qui cherchent à améliorer la gestion économique du Cameroun et à libérer l’énorme potentiel économique de ce pays.

Si on revient sur la portée économique de cette réflexion, quels sont les éléments qui font du Cameroun un lion, si on tient compte du fait que le lion est le roi de la forêt et théoriquement le plus fort?
La croissance économique au Cameroun s’est inscrite en 2010 à 3%, poussée par les activités non-pétrolières qui ont connu une expansion de près de 4% (particulièrement les cultures vivrières, la construction, les transports et les télécommunications). Cette croissance demeure toutefois insuffisante pour réduire la pauvreté d’une façon durable. Sur sa trajectoire actuelle, le Cameroun ne pourra probablement pas atteindre la plupart des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Le Cameroun est pourtant riche en pétrole, bois précieux, et produits agricoles (café, coton, cacao). Les ressources inexploitées incluent le gaz naturel, la bauxite, le diamant, l’or, le fer et le cobalt. Il devrait être possible d’exploiter ces richesses d’une manière durable. Pourquoi le pays ne connaît-il pas une croissance économique plus grande? Un cadre des affaires peu favorable, des infrastructures particulièrement inadaptées et des défis sur le plan de la gouvernance empêchent le pays d’avancer. En dépit de la marge de man uvre financière ouverte par l’allégement de la dette, les ressources budgétaires demeurent insuffisantes à cause des progrès limités dans la mobilisation de recettes hors pétrole. De ce point de vue, la récente émission couronnée de succès du premier emprunt obligataire de l’État pour le financement de projets d’infrastructure clés pourrait annoncer le réveil du lion. L’infrastructure en Afrique Centrale (y compris au Cameroun) est la plus limitée en Afrique. Par exemple, malgré les ressources importantes en hydro-énergie, l’Afrique Centrale a le secteur énergétique le moins développé du continent. La densité des routes goudronnées est seulement une fraction des niveaux déjà bas observés en Afrique de l’Ouest. En comparaison internationale et par rapport au reste de l’Afrique, les consommateurs en Afrique Centrale paient également exceptionnellement cher pour les services en infrastructure. L’accès Internet au Cameroun coûte, par exemple, quatre fois plus que dans d’autres pays en développement. Des simulations suggèrent que si les infrastructures au Cameroun se mettaient au niveau du meilleur pays Africain (l’Ile Maurice), la croissance économique par habitant en termes réels serait de quelque 4½ points de pourcentage plus élevée par an. En d’autres mots, le Camerounais moyen verrait son revenu annuel croître plus de cinq fois plus vite qu’aujourd’hui.

Est-ce que critiquer l’absence des infrastructures aujourd’hui n’est pas un peu fermer les yeux sur le passé ? On se souvient que durant les périodes d’ajustements structurels, selon des dirigeants, il était interdit au Cameroun de procéder à des investissements lourds?
La crise économique qui a frappé le Cameroun entre 1985 et 1995 a eu un impact significatif sur les infrastructures. Il en a résulté une réduction du volume des investissements publics et des dépenses d’entretien des infrastructures, conduisant à une grave dégradation du réseau. Pour prendre le cas de Douala par exemple, le transport était devenu difficile, en particulier à destination et en provenance du port et des zones industrielles. Le trajet, coûteux, prenait beaucoup de temps pour les travailleurs, les camions et les marchandises. Il en a résulté une réduction de l’efficacité et la compétitivité du port et la ville de Douala, dont plusieurs artères principales étaient devenues à peine passables, ce qui entraînait de graves embouteillages. Lorsque vous discutez avec des habitants du quartier Cité de la Paix, par exemple, ils vous disent que quand il pleuvait, les routes se remplissaient de boue de telle sorte que pour sortir de chez soi, il fallait avoir deux paires de chaussures: une pour marcher dans la boue, et l’autre pour les espaces aménagés. Pour remédier à cette situation, la Banque est venue assister la Communauté urbaine avec une enveloppe de plus de 56 millions de dollars pour contribuer à financer son programme de réhabilitation. Mis en uvre sur une période de 7 ans (2002- 2009), le projet a permis la réhabilitation de près de 28 kilomètres de routes, la construction de bornes-fontaines à l’usage des populations locales, et l’assainissement des zones habitées le long des artères principales. Les habitants vous disent qu’ils ont maintenant de l’eau potable juste à côté et leurs enfants ne souffrent plus de maladies hydriques comme la dysenterie, la diarrhée ou les vers.

Les critiques sur la gouvernance au Cameroun existent depuis, mais pourtant le pays continue de recevoir l’assistance des bailleurs de fonds, dont la Banque Mondiale. Est ce que finalement il ne serait pas plus simple de cesser tout soutien aux pays à la gestion indélicate comme le suggère par exemple International Crisis group qui parlait d’arrêter l’hypocrisie des institutions internationales présentes au Cameroun?
Plus de 180 pays sont membres de la Banque mondiale et notre mandat est de les accompagner dans leurs efforts de lutte contre la pauvreté. Notre stratégie pays pour 2010 – 2013 vient en appui à la stratégie du Gouvernement du Cameroun (Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi – DSCE) qui vise une amélioration de la gouvernance. Ceci dit, l’importance de l’appui financier de la Banque mondiale dépend de la qualité de la gouvernance d’un pays membre: meilleure est sa gouvernance, plus importantes sont les ressources financières de la Banque auxquelles un pays membre peut accéder. Bien sûr, les problèmes de gouvernance ne vont pas être résolus d’un jour à l’autre, mais il y a des améliorations. Par exemple, la Banque est venue soutenir les efforts de modernisation de la Douane. A cet effet, les deux bureaux les plus importants du pays en termes de recettes ont eu recours à des instruments et des techniques modernes leur permettant de mesurer leurs performances, lutter contre la fraude, la contrebande, la corruption et toutes sortes de mauvaises pratiques. Et la corruption a diminué. Mais de véritables progrès ne pourront être réalisés sans l’adhésion de toutes les parties prenantes, c’est-à-dire, de tous les camerounais.

Que fera la Banque Mondiale pour soutenir le réveil du lion ?
La Banque mondiale a un portefeuille de plus de 20 projets en cours de réalisation pour plus de 826 millions de dollars américains. Ces projets couvrent les domaines tels que le transport routier, l’énergie, les télécommunications, le développement rural, la santé, et l’éducation. De plus, une assistance technique est fournie pour une plus grande transparence et efficacité dans la gestion des ressources budgétaires, et pour un cadre des affaires plus favorable. Tous ces domaines devraient contribuer à libérer l’énorme potentiel économique de ce pays.

Raju Jan Singh, économiste en chef au bureau Cameroun de la Banque Mondiale
Banque Mondiale)/n