La présentation, jeudi à Yaoundé, d’une fresque comportant les noms d’un peu plus d’un millier de victimes civiles et militaires n’a plus eu lieu
L’événement devait être une première: l’exposition, les 31 mars et 01er avril 2016 à Yaoundé, d’une fresque comportant les noms de plus de 1200 victimes civiles et militaires de la guerre que le Cameroun mène contre Boko Haram dans la partie septentrionnale du pays. La cérémonie d’hommages avait à peine commencé ce matin qu’elle a dû être arrêtée, par une escouade de policiers, du fait d’une interdiction signée ce jeudi du sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé Ier, Jean-Paul Tsanga Foe.
L’exposition devait pourtant se tenir à la Fondation Tandeng Muna à Yaoundé, dans un lieu fermé. Le sous-préfet, dans sa décision, a indiqué que la manifestation a été interdite «pour nécessité de l’ordre public». Un membre du Collectif Unis pour le Cameroun, à l’initiative de cet événement, a indiqué à Journalducameroun.com qu’il (le Collectif) avait une autorisation jusqu’à mercredi soir.
Dans le visa (références) de la décision portant interdiction de ce que l’autorité administrative qualifie de «réunion publique», il apparait que le Collectif a saisi le sous-préfet le 28 mars 2016 pour déclarer une manifestation publique ; le lendemain, le sous-préfet a saisi à son tour le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense. Ce dernier, dans une réponse apportée le 30 mars, a fait état de «nécessités d’ordre public» en rapport avec cet événement.
Le Collectif Unis pour le Cameroun n’a pas voulu passer outre l’interdiction. «Nous sommes légalistes», nous a confié l’un des membres de cette association.
Comprenant essentiellement des journalistes qui se sont donnés, parmi leurs leitmotivs, de faire une plus grande sensibilisation sur l’impact de la guerre contre la secte islamiste, le Collectif avait organisé le 28 février 2015 une «Grande marche patriotique» contre Boko Haram, réunissant quelques milliers de personnes au Boulevard du 20 mai à Yaoundé.
Au 14 janvier 2016, d’après un bilan présenté à cette date par le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Issa tchiroma Bakary, la guerre contre la secte islamiste avait déjà fait en termes de victimes: 1098 civils, 67 militaires et 3 policiers, bilan prenant en compte les années 2013, 2014 et 2015.
La fresque, dont l’exposition a été annulée, comprend les noms de plus de 1200 victimes civiles et militaires de la guerre contre Boko Haramfacebook.com/UNIS-POUR-LE-CAMEROUN)/n
Journaliste à la Télévision publique nationale (CRTV), Eric Benjamin Lamère est membre du collectif «Unis pour le Cameroun» qui organise une «Grande marche patriotique» le 28 février. Entretien
Le Collectif « Unis pour le Cameroun » organise le 28 février prochain une «grande marche patriotique». Quel est l’objectif poursuivi à travers cette démarche?
L’objectif, il est simple. C’est pour exprimer notre solidarité vis-à-vis de nos s urs et frères de l’Extrême-Nord qui sont meurtris depuis plusieurs mois par les attaques récurrentes et meurtrières de Boko Haram ; et manifester également notre soutien vis-à-vis de nos forces de défense, qui sont engagées dans cette guerre en première ligne, et qui paient un lourd tribut en termes de pertes en vies humaines. Voilà les deux principaux objectifs. On s’est mobilisés parce qu’on s’est rendu compte qu’il y avait une sorte d’indifférence face au drame que vit l’Extrême-Nord et par ricochet le Cameroun. Face à la démission des acteurs les plus indiqués pour porter ce type de mobilisation, on s’est dit qu’on ne pouvait pas uniquement se contenter de relayer les informations en provenance du front, mais qu’on pouvait aller au-delà en tant que citoyens et sensibiliser sur le péril qui nous guette.
Qui compose le Collectif?
Le Collectif est composé de jeunes camerounais pour l’essentiel. Je fais, bien entendu partie de ce collectif. Il y a également Guibaï Guitama (de l’ il du Sahel, ndlr), Thierry Ngongang, (de la chaine de télévision privée STV), Polycarpe Essomba (Correspondant au Cameroun pour RFI), qui avons ceci en commun que nous avons traité cette question depuis plusieurs mois. Il y a d’autres personnes qui ont marqué leur intérêt, des acteurs de la société civile, des personnes sensibles à cette démarche qui ont spontanément rejoint l’initiative. Le collectif, qui était au départ constitué de journalistes, s’est ouvert à plusieurs autres figures.
Nous sommes sensiblement à moins de 10 jours de la marche, quel est l’état de la mobilisation?
L’état de la mobilisation est satisfaisant. Depuis que nous avons lancé l’idée, on a observé l’organisation de nombreuses marches, ce qui est une bonne chose. En ce qui nous concerne, nous sommes heureux de constater que des Camerounais se lèvent spontanément pour rejoindre la dynamique que nous avons enclenchée. C’est réjouissant, ça permet de croire qu’il n’y a pas de quoi désespérer, ça permet de voir qu’il y a encore des gens qui peuvent être sensibles à des causes qui transcendent ce que nous pouvons être chacun dans sa spécificité. Nous sommes plutôt satisfaits du retour que nous avons jusqu’à présent. Il y a des gens qui offrent des tee-shirts qui seront distribués à ceux qui viendront à la marche, il y en a qui offrent des casquettes, qui offrent leur temps, pour pouvoir suggérer une idée, une initiative, une perspective. Nous sommes plutôt satisfaits.
Vous attendez combien de personnes ?
Nous attendons le maximum de personnes. Nous avions tablé au départ sur 50.000 personnes, parce qu’on estime qu’il faut vraiment une mobilisation de grande ampleur, à la fois pour montrer aux Camerounais que nous sommes debout face à l’adversité, mais également pour montrer à l’opinion internationale que les Camerounais savent ce qui se passe et sont prêts à se battre pour leur liberté, leur souveraineté et leur sécurité. Nous voulons par ailleurs montrer à ces terroristes que cette affaire n’est pas qu’une affaire de l’Extrême-Nord du Cameroun, mais que c’est le Cameroun qui est opposé à leur démarche sanguinaire et meurtrière. Ce sont les principales raisons pour lesquelles nous espérons avoir beaucoup de monde au cours de cette marche. Tous les Camerounais qui sont sensibles à cette cause, tous les étrangers qui sont contre l’obscurantisme, l’extrémisme et le radicalisme doivent se mobiliser pour qu’on envoie un signal très fort pour montrer que c’est le Cameroun dans son ensemble qui est concerné par cette menace.
Eric Benjamin LamèreEric B. Lamere)/n
Est-ce que vous avez impliqué le Gouvernement ?
Le Gouvernement n’est pas impliqué dans l’organisation. Cependant, nous sommes des Républicains, nous sommes un Etat de droit, nous attendons principalement du Gouvernement un accompagnement dans l’encadrement sécuritaire de cette marche; nous attendons un appui sécuritaire pour qu’elle se déroule dans le calme et la sérénité. Nous nous sommes interdits, au regard de toute velléité de récupération qu’on pourrait observer, de solliciter quoi que ce soit de qui que ce soit. Tout ce que nous avons suggéré, c’est que s’il y a des gens qui sont sensibles à la démarche, ces derniers peuvent mobiliser la ressource et mettre à disposition les gadgets qu’on pourra distribuer aux participants.
Il y a de nombreuses marches qui ont déjà eu lieu à travers les différentes régions du pays en soutien à l’armée camerounaise et/ou aux populations de l’Extrême-Nord. Peut-on dire que celle du 28 février a une spécificité, un esprit qui la différencie des autres?
C’est une bonne chose que les gens se mobilisent. A titre personnel, j’ai participé à quelques-unes de ces marches qui étaient soit organisées par des autorités politiques, soit par des autorités administratives. A l’occasion de la célébration de la fête nationale de la Jeunesse, le 11 février, on en a vu pas plusieurs. Toutes doivent culminer le 28 février à la «Grande marche patriotique». Ce sera le point culminant parce que Yaoundé c’est la capitale du Cameroun, c’est là où se prennent les décisions, c’est de là que tout part en principe et c’est de là qu’on doit pouvoir montrer que le Cameroun est debout et soudé face à l’adversité. Les autres manifestations avaient lieu dans des cadres bien précis, cette marche a tendance à rassembler toutes celles-là autour d’une initiative unique, un but précis et connu, sans velléités de récupération. Nous n’avons pas d’ambitions politiques tous autant que nous sommes, après la marche nous reprendrons ce qui fait notre activité quotidienne, c’est-à dire journalistes pour ceux qui le sont et d’autres activités pour les autres personnes impliquées dans l’organisation.
Boko Haram tue, égorge et mène des actes « insoutenables » auprès de compatriotes qui ne demandaient qu’à vivrePhotos du Collectif « Unis pour le Cameroun »)/n
Vous avez parlé d’une indifférence, mais la timidité qu’on peut observer chez certains Camerounais concernant la situation sécuritaire à l’Extrême-Nord du Cameroun n’est-elle pas justifiée en partie par la communication officielle faite sur la guerre contre Boko-Haram? Les ministres de la Défense et de la Communication font régulièrement état de victoires de l’armée sans parler des personnes égorgées, des déplacés internes, du nombre de blessés, etc. Quel est votre avis sur la question ?
C’est vrai, qu’il y a un souci avec notre communication officielle autour de cette guerre. C’est pour toutes ces raisons que nous nous sommes dits: «Il faut que les Camerounais sachent vraiment ce qui se passe, il faut qu’ils soient au courant de ce qui peut advenir de la situation de l’Extrême-Nord dans l’ensemble du territoire». Comme Boko Haram est une nébuleuse, on ne sait pas jusqu’où ils sont infiltrés, de quel arsenal ils disposent, et quels sont les modes opératoires qu’ils pourraient utiliser pour frapper le Cameroun. C’est tout cela mis ensemble: une communication officielle qui n’a pas été efficace jusqu’ici, un activisme politique au début de la crise avec des sorties publiques de certains hommes politiques, qui ont contribué à brouiller la compréhension de ce phénomène. Ces éléments sont à l’origine de l’indifférence manifestée par les Camerounais. Et on peut ajouter à cela le fait que le fait que les acteurs qui doivent porter ce genre d’initiatives citoyennes ne sont pas engagés, ont démissionné de leur rôle. En ce qui nous concerne, nous nous sommes dits: «on ne doit pas prendre un décret pour sensibiliser parce que c’est notre sécurité à tous qui est menacée. On doit pouvoir rattraper ce qu’on peut rattraper, communiquer au maximum, dire aux Camerounais ce qui se passe et ce que tout le monde risque de subir si on n’arrête pas rapidement cette dérive.»] Nous manifestons pour montrer notre soutien aux forces de défense qui sont en première ligne, mais aussi pour exprimer notre solidarité à ces compatriotes qui ne demandaient qu’à vivre, et qui sont victimes d’égorgements dans des mosquées, d’assassinats, d’assassinats, t de nombreux autres actes insoutenables.»
Dans d’autres pays cela s’est fait spontanément. Il y a eu une grande marche au Niger, le 17 février dernier, au lendemain de l’engagement de l’armée de ce pays contre Boko Haram ; il y a eu pareille marche au Tchad, le 17 janvier, au lendemain de l’annonce de l’envoi de troupes au Cameroun. Mais ici ça fait près d’un an que l’armée est engagée sur le front.
Que ce soit à Paris, à Niamey ou à N’Ndjamena, ce sont les chefs d’Etat qui ont porté l’initiative. Au Tchad, certaines personnes ont voulu expliquer que c’est parce que l’armée est allée en campagne à l’extérieur du pays. Qu’allons-nous alors dire du Niger ?
Quelles pourraient être vos attentes au lendemain du 28 février ?
On ne voudrait pas que cet élan citoyen s’arrête le 28 février. Cette marche doit être l’élément déclencheur pour d’autres initiatives qui pourraient être prises pour soutenir nos frères de l’Extrême-Nord et accompagner notre armée. Chacun pourra maintenant déterminer sa contribution en fonction de ce qu’il juge pertinent. Nous voulons faire comprendre aux Camerounais que la situation est grave et que c’est le pays tout entier qui est menacé. Même si on ne marchait pas le 28 février, nous estimons que nous aurions atteint l’un des objectifs qui était la sensibilisation du plus grand nombre de Camerounais. Nous voulions inscrire la question de la guerre contre Boko Haram au c ur du débat public. Plus on en parle, plus les gens en prennent conscience et on a moins d’attitudes polémiques vis-à-vis d’un ennemi qui ne cherche qu’à déstabiliser notre pays.
Cérémonie de levée de corps des soldats tombés à l’Extrême-Nord: Quartier général de Yaoundé le 28 août 2014Eric B. Lamere)/n