Il a défini un cadre pour la mise en pratique de la loi d’orientation scolaire du Cameroun
Qui est jacques Bassock?
Je suis camerounais, né en 1968 à Mbenga dans le Nkam, à 20 km de Yabassi. J’ai fait l’école primaire dans mon village et après je suis allé au lycée de Yabassi. Je suis resté pratiquement au village bien que mes parents étaient en ville, j’ai eu la chance de vivre chez mon grand-père qui était instituteur. J’ai donc fait l’école primaire et secondaire au village mais en ayant chaque fois un pied en ville. J’ai eu le Baccalauréat en 1986, à 18 ans et je suis allé à l’université de Yaoundé pour faire les lettres germanistiques sous l’impulsion de mon grand-père qui, ayant connu l’époque coloniale allemande et, ayant été lui-même instituteur est passé du système allemand au français et avec en toile de fond le système camerounais. Mon grand-père s’intéressait beaucoup à l’éducation androgène locale. Il connaissait toute la problématique de l’éducation au Cameroun depuis l’époque coloniale, l’époque française jusqu’à l’indépendance. J’ai beaucoup été influencé par lui.
C’est incroyable que ce soit votre grand-père qui vous donne le goût de la langue allemande alors que vous êtes né dans le système français.
Oui, il a avait une nostalgie, mon grand-père m’a transmis tout doucement son amour pour l’histoire, l’Allemagne et le Cameroun bien-sûr.
Quand partez-vous du Cameroun pour rejoindre l’Allemagne?
Après avoir obtenu une licence en 1989, je me retrouve un peu comme beaucoup de Camerounais à la rue n’ayant pas été promu pour une maîtrise à l’université du Cameroun. Je commence à enseigner dans les écoles et de fil en aiguille je rencontre des inspecteurs qui voulaient déjà introduire les manuels d’allemand dans les programmes. Je constate alors que cela ne correspond pas à nos attentes et donc avec des documents et des papiers à l’appui, en 1995, avec des collègues nous avons mis sur pied un premier manuel d’allemand fait par des Camerounais. En 1995, grâce à la perspicacité du Dr. Mbella Mbappe, il y a eu les deuxièmes états généraux de l’éducation et des résolutions ont été apportées notamment celle de changer le système éducatif camerounais de fond en comble.
Qu’est-ce qui n’allait pas?
Les programmes et les cours étaient inadaptés aux Camerounais, l’éducation était rivée vers l’occident et il fallait donc former des Camerounais capables de résoudre les problèmes du Cameroun.
Le Cameroun avait été indépendant des années plus tôt, est-ce que ce n’était pas là une forme d’appropriation de la réalité camerounaise?
Oui bien-sur c’est vrai que le Cameroun était indépendant en 1960 mais le chemin a été un peu long, comme un enfant qui naît et à qui on apprend les choses, on ne peut pas blâmer le Cameroun pour attendu 1995 pour réformer la scolarité grâce aux Etats généraux. Il faut plutôt féliciter le pays de l’avoir fait. C’est donc la loi sur l’orientation scolaire qui est accueillie par le Parlement et validée par le président de la République. Ensuite le vrai problème était de mettre cette loi en application avec une vraie éthique, avec des personnes responsables et compétentes.
A côté de cela il y a d’autres problèmes notamment celui des manuels scolaires qui sont inscrits au programme académique et qui font chaque année l’objet de grosses polémiques
Pour homologuer un manuel, il faut l’aval de l’Etat et d’une certaine philosophie. La plupart de ces manuels sont faits en France et ils ne correspondent pas toujours aux interrogations du Cameroun et à la loi d’orientation des réformes scolaires. Le fait qu’ils soient conçus et fabriqués à l’étranger fait qu’ils sont plus chers. C’est pour cela qu’il faut des gens, des entreprises qui se mobilisent ici au Cameroun pour créer des livres directement liés au Cameroun pour nos élèves.
Juste avant de parler de votre propre projet, un élément fait parfois polémique, c’est l’histoire du Cameroun qui est racontée dans les manuels. Quel est votre commentaire?
Nous avons hérité d’un système scolaire français qui à l’époque avait fait la part belle à l’histoire de la France et de sa colonisation, mais de plus en plus au Cameroun on essaye d’exhumer l’histoire du Cameroun et on apprend à nos élèves en classe de 3ème que le premier missionnaire arrivé au Cameroun n’était donc pas un blanc, pas Alfred Saker mais un noir d’origine jamaïcaine Joseph Merrick et ça, beaucoup de gens l’ignorent. Il arrive donc au Cameroun en tant que pasteur, il savait que la colonisation aurait lieu il voulait entre guillemets préparer ses frères. Pour répondre à votre question, cette polémique existe mais il y a quand même des changements, les professeurs d’histoire souhaitent également ce changement et c’est pour cela, en outre, que la loi sur l’orientation des réformes scolaires veut agir. Cela est en bonne voie.

Nous allons maintenant parler de votre projet, présentez-le nous?
C’est un concept de réforme pour le Cameroun sur la base de la loi d’orientation scolaire. Le Cameroun se retrouve depuis quelque temps en plein chantier de consolidation de sa modernité. Et l’un des ouvrages les plus ambitieux et sans doute le plus complexe est celui de la reforme de l’éducation, commencée en 1998 à la suite de la promulgation de la loi d’orientation scolaire n° 98/04 du 4 avril 1998. Le projet de reforme de l’éducation est d’autant plus complexe et lourd de significations qu’il représente en lui tout seul l’aspect le plus sensible du projet de société de l’Etat. Notre concept de reforme va de la maternelle en classe de terminale. L’école maternelle aura déjà la chance de proposer aux tous petits élèves trois langues: le français, l’anglais et une autre langue, qu’elle soit maternelle, régionale ou véhiculaire, et l’enseignement mettra plus l’accent sur l’aspect oral afin de mieux maitriser ces langues. Ainsi les professeurs des écoles pourront concevoir et dresser des portfolios pour chaque enfant. Et ces portfolios seront complétés au fil des apprentissages, des années et exploités en classe de 5ème, dernier niveau du cycle préparatoire du secondaire et moments des orientations décisives. Ce portfolio les suivra d’ailleurs toute leur vie. En école primaire, ils sont déjà plus grands et auront été initiés à la fin du cycle maternel à la lecture et à l’écriture. Le trilinguisme agissant sera renforcé sous sa forme immersive. L’immersion pourrait être partielle et ciblée. Fort de leur bagage linguistique, les élèves du cours préparatoire au cours moyen seront initiés aux mathématiques et à la «logique endogène», à l’observation, la compréhension et l’interprétation des phénomènes physiques ou sociaux, à la pratique des activités sportives, artistiques, culturelles et littéraires (les contes, les fables, les épopées etc.). Dès le cours élémentaire, les élèves seront initiés à la conception et au développement des projets et on renforcera leurs capacités de rédaction, de présentation d’exposés et de projets. Le premier cycle sera sanctionné par un CEP et un certificat de langues (Certificat première onde linguistique). Il y aura d’autres cycles
A quel stade se trouve votre projet?
Mon projet est, sur le plan scientifique et pratique, fin prêt pour être appliqué. Je vous ai fait plus haut l’économie du tableau synoptique de la reforme que j’ai dressé et que vous trouverez sur le poster présenté au DAVOC et que j’ai personnellement remis à l’Ambassadeur, S.E Monsieur Jean Marc Mpay. J’ai en plus développé, dans le domaine de l’apprentissage et de l’enseignement des langues, une didactique appelée «Didactiques des ondes linguistiques» qui devrait accompagner le projet de l’enseignement et de l’apprentissage simultanés des langues officielles et nationales cher à la loi d’orientation scolaire de 1998 au Cameroun. La Didactique des Ondes Linguistiques prendra en considération l’enseignement de trois langues dès la maternelle pour créer une dynamique et une continuité pédagogiques si mon projet venait à être adopté un jour par les grandes instances au Cameroun. Mon projet pose aussi le problème des certifications. Vous savez que les apprentissages dans les écoles «modernes» se terminent par l’octroi des CERTIFICATIONS. Elles sont la preuve que leur détenteur a passé avec succès le cursus d’études et possèdent un certain nombre de connaissances qui lui permettent d’assumer un rôle donné dans la société. Dès lors, il est souhaitable que toute CERTIFICATION ou diplôme ait une valeur directement rentable dans la société et permette à son détenteur d’en jouir même à l’extérieure de nos frontières. C’est ainsi que les certificats de langues N°1, 2 et 3 pourraient permettre à leurs détenteurs de travailler directement dans des entreprises qui ont besoin de leur expertise ou alors de continuer leurs études à l’étranger sans plus perdre du temps et de l’argent pour l’apprentissage. Ce serait une forme d’épargne. Mon projet redéfinit aussi et renforce surtout les capacités de l’Institut de Recherche au sein du prochain Ministère des Enseignements Primaires, Secondaires et professionnels du Cameroun.
Quel est votre souhait aujourd’hui?
Mon souhait aujourd’hui serait de mettre cette réforme du système éducatif camerounais en place
Que pensez-vous du système éducatif camerounais, en comparaison aux autres que vous avez côtoyés?
Le système camerounais n’est pas si mal que çà du moment qu’il prépare les jeunes camerounais désireux d’aller à l’étranger, de réussir leur projet de vie là-bas. Mais, il n’aide pas beaucoup le Cameroun dans sa phase actuelle de développement puisqu’il ne prend pas en considération les défis de l’heure et n’adapte pas assez le contenu de ses enseignements à nos réalités socioculturelles, socle de notre ouverture vers l’extérieur. Et c’est ce qu’il faut déplorer.

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