Le professeur de sociologie politique a accordé une interview à Signatures. Face à la montée des violences dans les établissements scolaires au Cameroun, le Pr Claude Abe’e détermine les causes profondes de cet état des choses.
Professeur, qu’est ce qui peut expliquer la montée de violence actuelle au sein de nos établissements scolaires ?
La première chose qu’il faut relever c’est que la violence est inhérente à la vie avec les autres. Il n’existe à ce sujet aucune société sans violence. Il n’illustre également que l’ordre social s’est construit chaque fois contre la violence. L’enjeu de tout contrat social c’est la maîtrise et le contrôle de la violence. La montée de la violence dans les établissements scolaires tient là une des clés de sa compréhension parce qu’elle interroge l’efficacité des mécanismes de régulation de la violence dans la société camerounaise en générale.
Il est en effet facile de constater que la montée de la violence dans les établissements traduit la faillite des mécanismes de régulation des tensions sociales. Au sommet de l’Etat, le dialogue avec ceux qui portent les revendications ne constitue pas une option. Au-delà que la manipulation consistant à se donner bonne conscience, il suffit de voir comment les gouvernants règlent les crises sociales et politiques pour s’en rendre.
Les communautés préfèrent également l’option de la violence pour résoudre leurs différends comme le montrent les violences intercommunautaires un peu partout. Les Kotoko et les Arabes Choa sont une illustration à ce sujet. Dans les ménages, beaucoup d’époux règlent leurs malentendus exclusivement à coup de poing.
Si l’on ajoute à cela l’exposition de la société camerounaise à la culture de la violence que l’on retrouve dans l’industrie cinématographique, l’on a fait le tour pour comprendre que la situation qui prévaut à l’école est la reproduction d’une dynamique globale. La crise de cette dernière c’est d’abord la crise de la société dont elle ne représente qu’un échantillon.
Par ailleurs, dans le cas précis du Cameroun, les établissements scolaires jouent aujourd’hui un rôle auquel ils n’ont pas été préparés. Tous les rebus de la société sont relégués aux établissements publics et à ceux qui sont souvent désignés par les populations comme étant écuries. Et ces délinquants, dont le projet dominant n’est pas la scolarisation, transforment les établissements en excroissance de leur terrain d’opérations. C’est ce décalage entre la réalité quotidienne de l’école et ses capacités qui expliquent également cette montée de la violence en son sein.
Peut-on dire que la côte d’alerte est atteinte voire dépassée au vu du nombre croissant d’agressions des enseignants ?
Ce n’est pas un problème de nombre d’agressions enregistrées. Même une seule agression c’est déjà beaucoup, car ce n’est pas la mission de l’école de servir de terrain à l’exercice de l’agressivité. Plus grave quand on parle déjà d’assassinat d’un enseignant comme ce fut le cas au lycée de Ngolbisson. Enseignants et élèves vivent une sorte de Far-West qu’ils n’avaient aucunement rêvé en s’engageant à inscrire leurs vies dans ces chemins de l’éducation. La ligne rouge a longtemps été franchie.
Les parents ne se sont-ils pas dérobés en refilant la patate chaude aux enseignants ?
C’est effectivement cette stratégie de démission de leurs missions activée par certains parents irresponsables qui est en cause dans bien des situations.
Quelle est à votre avis la part de responsabilité des réseaux sociaux, de la télévision, du développement technologique, de l’évolution vers une société dite moderne dans la délinquance actuelle de l’éducation des enfants au Cameroun ?
Ce ne sont pas les médias traditionnels et les réseaux sociaux qu’il faut accuser, mais une consommation passive de ces derniers. Il ne fait aucun doute que les réseaux sociaux ont massivement contribué à la libération de l’agressivité dans société camerounaise venant se conjuguer avec la culture de la violence à laquelle les médias satellitaires soumettent les jeunes camerounais. L’on peut ainsi constater l’importance du rôle joué par ces technologies de l’information sur le façonnement des comportements des jeunes camerounais, notamment, à l’ensemencement de la violence dans leurs réflexes. Ce conditionnement est surtout lié à la manière dont –ils consomment les produits de ces médias. Il faut donc une éducation à la consommation des médias.
Cette violence n’est-elle pas à l’image même de la gestion du pays avec ce que l’on pourrait qualifier «d’administration par embuscade» ?
Je l’ai souligné plus haut. L’école est victime du mode de gouvernement qui le met en œuvre. De la même manière que l’on tend des embuscades aux citoyens dans les divers services publics ainsi les élèves le reproduisent sur les enseignants. Chaque mode de gouvernement à l’école qu’il mérite pourrait-on dire.