Enoh Meyomesse (enfin) libre

L’écrivain et historien camerounais, poursuivi pour «recel aggravé» dans une affaire de trafic d’or, a été condamné jeudi à 40 mois d’emprisonnement, ce qui correspond au temps déjà passé en détention

Après 24 renvois, 40 mois et 15 jours passés en détention, Enoh Meyomesse a été condamné jeudi, 17 avril 2015, par la cour d’appel du Centre, à une peine de 40 mois d’emprisonnement pour «recel aggravé». Concrètement, cela signifie la remise en liberté puisque la peine prononcée correspond au temps déjà mis en prison.

Enoh Meyomesse avait été initialement condamné le 27 décembre 2012 par le Tribunal militaire pour «complicité de vol aggravé et revente illicite d’or». Le chef d’inculpation de «recel aggravé», pour lequel il avait par ailleurs déjà été inculpé, est le fruit de la requalification des faits accordée par la cour d’appel du Centre à l’audience du 30 mars dernier.

Malgré la libération de M. Meyomesse, ses avocats soutiennent qu’ils vont se pourvoir en cassation auprès de la Cour suprême puisque leur client, au lieu d’être condamné à 40 mois, aurait pu bénéficier simplement d’un acquittement.

Le 27 décembre 2012, après avoir passé 13 mois en prison, Enoh Meyomesse avait été condamné à une peine de sept ans de prison et une peine d’amende de 200 000 CFA pour «complicité de vol aggravé et de revente illicite d’or». Trois autres personnes jugées avec lui avaient été condamnées à des peines allant de deux à neuf ans de prison. Son arrestation avait eu lieu le 22 novembre 2011 à l’aéroport international de Nsimalen, à Yaoundé, alors qu’il rentrait d’un déplacement à Singapour. L’écrivain a toujours contesté les faits qui lui sont reprochés.

Gilbert Schlick
On ne saurait évoquer la libération d’Enoh Meyomesse sans parler de l’action particulière d’un magistrat, le juge Gilbert Schlick. Lorsqu’il arrive à la tête de la cour d’appel du Centre, par un décret présidentiel publié le 18 décembre 2014, en remplacement de Louis Lambert Bolko, le magistrat trouve le cas Enoh Meyomesse, que le Comité de libération des prisonniers politiques du Cameroun (CL2P) et d’autres associations de défense des droits de l’homme qualifient alors de «prisonnier politique».

Dans une lettre adressée au président de la République, à la mi-février 2015, l’ancien président de l’Association nationale des écrivains camerounais se plaignait d’être «l’un des appelants le plus ancien de toute la Cour d’appel du Centre», après 21 renvois dans cette juridiction.

Le 19 février 2015, le juge Gilbert Schlick annonçait à l’historien que les débats devaient désormais être conduits sous sa présidence. Deux mois plus tard, l’issue s’avère favorable pour Enoh Meyomesse.

Et ce n’est pas une première pour ce magistrat. Lorsqu’il officiait en tant que président du tribunal de grande instance du Mfoundi, Gilbert Schlick avait marqué les journalistes camerounais par l’acquittement prononcé, le 03 mai 2012, en faveur de Jean-Marie Atangana Mebara, ex-Secrétaire général de la présidence de la République, pour «faits non établis» sur des charges qui pesaient contre lui. M. Atangana Mebara est néanmoins toujours en prison pour d’autres accusations de détournement de deniers publics.

Enoh Meyomesse
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L’affaire Enoh Meyomesse passe aux mains du juge Schlick

Le dossier de l’historien, condamné pour une affaire de vente illégale d’or, et déjà renvoyé 21 fois en cour d’appel, a été confié à un nouveau magistrat. Prochaine audience: le 19 mars

Après l’audience du 19 février dernier, l’écrivain et historien camerounais Enoh Meyomesse se représentera devant les juges le 19 mars prochain, en présence cette fois d’un nouveau président du tribunal. C’est le juge Gilbert Schlick, président de la cour d’appel du Centre, qui conduira désormais les débats dans cette affaire en remplacement de Louis Lambert Bolko «appelé à d’autres fonctions», rapporte le quotidien Mutations ce mardi.

Le 27 décembre 2012, après avoir passé 13 mois en prison, Enoh Meyomesse avait été condamné à une peine de sept ans de prison et une peine d’amende de 200 000 CFA pour complicité de vol à main armée et de revente illicite d’or. Trois autres personnes jugées avec lui avaient été condamnées à des peines allant de deux à neuf ans de prison. Son arrestation avait eu lieu le 22 novembre 2011 à l’aéroport international de Nsimalen, à Yaoundé, alors qu’il rentrait d’un déplacement à Singapour.

Depuis sa condamnation, l’ancien président de l’Association nationale des écrivains camerounais a fait appel, sans suite et sans jugement.

Dans une lettre publiée à la mi-février 2015, et adressée au président de la République, Enoh Meyomesse se plaignait des 21 renvois déjà prononcés en cour d’appel par les juges vis-à-vis de son dossier. «Je suis ainsi devenu l’un des appelants le plus ancien de toute la Cour d’appel du Centre», se plaignait-il dans cette lettre.

«Je vous demande d’intervenir, en votre qualité de Président du Conseil Supérieur de la magistrature, non pas pour que je sois relaxé, moi-même je m’en charge dans la plaidoirie que j’entends faire, mais simplement que je sois jugé. Je ne vous demande rien d’autre», suggérait-il à l’endroit de Paul Biya.

Le juge Gilbert Schlick qui va désormais connaitre de cette affaire a été nommé à la présidence de la cour d’appel du Centre par un décret présidentiel publié le 18 décembre 2014, dans la foulée avec de nombreux autres textes réorganisant le corps de la magistrature. Réputé d’une intégrité morale, ce magistrat, lorsqu’il officiait en tant que président du tribunal de grande instance du Mfoundi, avait marqué les journalistes camerounais par l’acquittement prononcé, le 03 mai 2012, en faveur de Jean-Marie Atangana Mebara, ex-Secrétaire général de la présidence de la République, pour «faits non établis» sur des charges qui pesaient contre lui. M. Atangana Mebara est néanmoins toujours en prison pour d’autres accusations de détournement de deniers publics.

Enoh Meyomesse
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21 renvois en Cour d’appel: c’est scandaleux! Lettre ouverte à Paul Biya

Par Enoh Meyomesse

Monsieur le Président de la République,

Il y a quelques années, à l’occasion d’un discours de fin d’année aux Camerounais, vous vous êtes penchés sur la justice camerounaise et en avez dénoncé la corruption. D’innombrables Camerounais ont applaudi des deux mains, se réjouissant de découvrir que vous étiez au courant des indélicatesses de nos magistrats, dont un grand nombre, à peine sortis de l’école, se retrouvent régulièrement à la tête de colossales fortunes sans rapport aucun avec leur salaire réel. Toutefois, nous avons attendu qu’il s’en suive des arrestations massives dans ce corps . et continuons à attendre. Un magistrat ne peut-il donc pas, à son tour, aller en prison ? Nous qui nous y trouvons, y sommes-nous morts ? Ne sommes-nous pas des citoyens comme eux?

Pour l’heure, Monsieur le Président de la République, je viens attirer ce jour votre attention sur la désinvolture caractérisée de ces hommes en noir qui, Code pénal en main, envoient les Camerounais en prison et les y oublient, sur qui nul ne dispose d’aucun pouvoir, excepté vous, en votre qualité de président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Je le fais d’autant que j’en suis une grande victime.

J’en suis à vingt et un (21) renvois, pas un de moins, devant la Cour d’appel du Centre, soit 21 mois que je défile devant mes juges sans qu’il ne m’est pas toujours été possible d’ouvrir la bouche sur mon procès.

Je suis extrait de la prison, je monte dans le camion infâmant et nauséabond des prisonniers, naturellement menottes aux poignets car l’on craint que je ne m’évade (sottise monumentale, où puis-je aller, tellement je suis connu), j’arrive dans la salle d’audiences au palais de justice, les magistrats y effectuent majestueusement à leur tour leur entrée, tout le monde se lève, ils s’asseyent, nous également, ils se mettent à appeler les dossiers, appellent le mien, je suis démenotté, je vais me tenir devant eux, c’est vous M. Enoh, oui c’est moi, se mettent à se concerter entre eux, regardent à gauche, puis à droite, demandent si les avocats sont là, oui ils sont là, demandent si les témoins sont là, non il n’en existe guère, ah bon !, demandent si les plaignants sont là, eux non plus n’existent guère, double ah bon !, comme c’est curieux, se concertent de nouveau, se mettent à tapoter leurs crayons sur la table, se concertent encore, me regardent narquois à travers leurs lunettes, puis, au bout de cette gymnastique devenue rituelle et que je connais déjà parfaitement par c ur à force d’en avoir été la victime résignée, (que puis-je faire à un magistrat, l’injurier ?), le président du tribunal m’annonce: «audience renvoyée à l’audience la plus proche pour ouverture des débats, rassurez-vous M. Enoh, nous allons vous juger». Affaire suivante.

Voici 21 fois que j’entends ce vieux disque déjà longtemps rayé et que je connais déjà parfaitement par c ur. Et «l’audience la plus proche» correspond à un mois d’attente, tant pis pour les jours fériés, et les «la cour n’est pas au complet, renvoi», conséquence, au bout de 21 «audience la plus proche, rassurez-vous M. Enoh nous allons vous juger», toute l’année 2013 s’est entièrement et tranquillement écoulée, sans que je n’ai ouvert la bouche pas une seule fois devant mes juges, puis, toute celle 2014, également, s’est entièrement et tranquillement de nouveau écoulée, sans que je n’ai non plus ouvert la bouche, et celle 2015 a recommencé.

«Nous allons vous juger»
A l’audience «la plus proche, rassurez-vous M. Enoh nous allons vous juger» du 18 décembre 2014, j’ai été sorti de prison, comme à l’accoutumée, menottes aux poignets, car ils demeurent persuadés que je vais me sauver s’ils ne le font pas (en fait il faudrait que finalement j’y songe très sérieusement, tellement mes juges sont si peu soucieux du temps qui passe et du préjudice qu’ils me causent en tournant en rond ainsi qu’ils le font avec tant de désinvolture depuis deux ans), ils mont fait grimper dans le camion maudit et nauséabond, j’ai été conduit au tribunal, installé dans la salle d’audiences, et nous tous qui étions venus de Kondengui, nous avons attendu leurs excellences les magistrats, de 11 h à . 15 h 30, soit pendant quatre longues heures, en vain, sans nul ne pointe son auguste et juridique nez dans la salle. Finalement, nous avons supplié les gardiens de prison de rappeler le camion maudit, afin qu’il nous ramène au bagne, là-bas au moins nous ne sommes pas menottés, et jouissons des rayons du soleil. Un tour en ville pour rien, sans même pouvoir la voir, car nous n’apercevons Yaoundé, ses piétons, ses automobiles, ses motocyclistes, ses vendeurs à la sauvette, ses policiers et ses gendarmes (euh . ceux-là, nous n’aimons pas les voir, tellement ils nous ont fait du mal quand nous nous trouvions entre leurs mains, ils nous ont extorqué de l’argent, nous ont torturés, nous ont traités comme des bêtes sauvages), que furtivement à travers le grillage des hublots de ce camion qui nous transporte et qui effraie la ville entière, mais auquel nous, nous sommes déjà habitués.

J’ai demandé ma mise en liberté provisoire. La Cour, «à l’unanimité», selon son président, a déclaré irrecevable ma demande. A «l’audience la plus proche» du mois d’octobre 2014, la Cour, à court d’arguments pour renvoyer à la nouvelle «audience la plus proche, rassurez-vous M. Enoh, vous serez jugé», a enfin consenti à me juger. Mon c ur s’est mis à trépigner de joie dans ma poitrine. Tout le monde dans la salle pousse un immense soupir : enfin ! Mais, patatras : l’assesseur militaire pose la question suivante : «parmi vous il y a bien un militaire, n’est-ce pas ?». Réponse : oui. «Alors, pourquoi n’est-il pas en uniforme ? Je m’oppose à tout procès, tant qu’il ne se présentera pas en uniforme». Il vient le découvrir à la . 17ème audience, pas une de moins, autrement dit, ce militaire défile devant lui depuis 17 mois, sans qu’il ne s’aperçoive qu’il n’a pas revêtu son uniforme de soldat. Nos avocats tentent de rappeler à la Cour qu’il est interdit à un détenu de revêtir quel qu’uniforme que ce soit à Kondengui: rien à faire. «Je m’oppose au procès, tant qu’il ne sera pas en uniforme». Nouveau renvoi «à l’audience la plus proche, rassurez-vous, M. Enoh, vous serez jugé». Depuis cette trouvaille diabolique de l’assesseur militaire pour bloquer le procès, quatre mois se sont de nouveau écoulés, sans que, «à l’audience la plus proche», le procès ne soit entamé. C’était en octobre 2014, nous nous trouvons aujourd’hui en janvier 2015. A la 22ème audience. Je suis ainsi devenu l’un des appelants le plus ancien de toute la Cour d’appel du Centre.

Victime d’un complot
Monsieur le Président de la République, mettez-vous à ma place, comment ne pas penser que je suis victime d’un complot visant à ne jamais me juger, autrement dit, à ne jamais me voir en liberté ? Demande de liberté provisoire: rejet «à l’unanimité des membres de la Cour, mais rassurez-vous, M. Enoh, vous serez jugé». Jugement: «à l’audience la plus proche». Impasse. Les mois s’écoulent. Les années. Tout de ma vie s’écroule tout autour de moi. Mes gosses ne vont plus à l’école. Leur scolarité s’est arrêtée. Ils ont été expulsés de mon logement. Je suis réduit à moins que rien. Une justice qui, comme celle du Cameroun, est là pour détruire l’âme en paix les êtres humains, mérite-t-elle encore d’être appelée «justice»? Les médecins, eux, savent ce qu’est la maladie, puisque régulièrement ils tombent malades. En conséquence, en soignant leurs patients, ils savent combien une perfusion fait mal lorsque l’on perfore la peau à la recherche d’une veine pour la placer. Mais, les magistrats, quant à eux, savent-ils ce que c’est que se retrouver des années durant coupé de tout ? Savent-ils ce que c’est que se retrouver dans une prison à subir des années durant les sifflets, les fouilles au corps jusqu’au sexe, les confiscations de téléphones, et autres humiliations et vexations à répétitions de geôliers ? Faudrait-il rappeler, dans le même temps, que j’ai été l’objet d’un empoisonnement ici à Kondengui, décidé par de puissantes mains de votre gouvernement, ce qui m’a valu une hospitalisation de deux semaines à l’hôpital militaire de Yaoundé?

Je vous demande d’intervenir, en votre qualité de Président du Conseil Supérieur de la magistrature, non pas pour que je sois relaxé, moi-même je m’en charge dans la plaidoirie que j’entends faire, mais simplement que je sois jugé. Je ne vous demande rien d’autre.

Dans cette attente, je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, à l’expression de ma très haute considération.

Enoh Meyomesse
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