«Les consommateurs sont plus que jamais dubitatifs quant aux ambitions des pouvoirs publics en matière d’électricité»
Contre toute attente, une nouvelle version de la loi portant libéralisation du secteur de l’énergie électrique a été présentée le 24 Novembre 2011 par le gouvernement et adoptée par l’Assemblée nationale. Pourtant ce texte législatif avait déjà été adopté le 05 Avril 2011, en même temps que la loi-cadre N°2011/012 du 06 Mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun. Visiblement surpris après la première adoption de ce texte en Avril, l’opérateur privé AES/SONEL, avec le soutien impertinent de la Banque mondiale, n’a pas lésiné sur les moyens pour retarder sa promulgation et finalement obtenir sa révision de fond en comble. La Banque mondiale a poussé le toupet si loin qu’elle a convoqué le gouvernement à Washington pour venir s’expliquer sur le contenu de cette nouvelle loi qui, si elle avait été maintenue dans sa version initiale, aurait fortement fragilisé la position hégémonique de son protégé dans le secteur de l’électricité au Cameroun. Sous anonymat, un fonctionnaire du Ministère de l’Energie et de l’Eau qui faisait partie de la délégation gouvernementale, pense que: «cette institution a outrepassé ses prérogatives d’accompagnateur financier de l’Etat. mais que peut-on faire lorsqu’on vous tient?»
En réintroduisant ce texte en 2ème lecture au parlement durant la session en cours et en le faisant adopter sans un véritable débat, le gouvernement a capitulé, en même temps qu’il a hypothéqué les intérêts du pays et des consommateurs. En somme, après la privatisation forcée de la défunte SONEL, le 18 Juillet 2001, sous l’injonction du FMI et de la Banque mondiale, le gouvernement vient de céder, une nouvelle fois, au diktat des bailleurs de fonds internationaux, bras séculiers des multinationales. Le RACE dénonce cet aveu d’impuissance de l’Etat et l’instrumentalisation de la représentation nationale. Nous rappelons que le RACE avait adressé le 13 mai 2011, une lettre d’encouragement au Président de la République pour lui demander de promulguer ce texte en lui assurant le soutien des consommateurs d’énergie dans ce bras de fer insidieux. Malheureusement cette débauche d’énergie n’a servi à rien.
[i Cette capitulation du gouvernement intervient dans un contexte de pénurie chronique d’électricité faite de délestages quotidiens dans la plupart des localités du pays et de renchérissement du kWh. Elle contraste nettement avec le discours d’investiture prononcé le 03 Novembre 2011 par le Chef de l’Etat, dans lequel il fustige la crise énergétique que traverse le Cameroun et le retard pris dans l’exécution des grands projets hydroélectriques. Tout le monde sait que dans le cadre de son programme d’investissement, en plus de la caution des pouvoir publics, l’opérateur AES/SONEL bénéficie en ce moment d’un soutien financier de plusieurs milliards de Dollars de la SFI (Société financière internationale), filiale de la Banque mondiale chargée du secteur privé. Le financement de la future centrale à gaz de Kribi (216 MW) est assuré par la Banque Mondiale à hauteur de 86 millions de dollars et une garantie partielle de risque de 82 millions de dollars. Selon M. Greg Binkert, Directeur des opérations pour le Cameroun, notre secteur électrique bénéficierait d’environ 6,7% de l’ensemble des financements du groupe de la Banque mondiale dans notre pays. Avec un tel niveau d’investissement, elle se croit en droit de rédiger et d’imposer le cadre règlementaire dans le secteur, ce qui est inadmissible.

Ce n’est pas tant la volonté manifeste de l’opérateur AES/SONEL et ses alliés d’influencer le cadre réglementaire pour garder le contrôle du secteur de l’électricité qui fait problème, mais c’est la main-forte sibylline et mesquine que ne cessent de leur apporter quelques brebis galeuses tapis dans l’administration en charge du secteur de l’énergie électrique qui nous offusque. Le manque de lisibilité de la politique énergétique nationale et la perte inexorable de l’autorité de l’Etat dans le secteur de l’électricité, jettent un profond discrédit sur le gouvernement. Les consommateurs sont plus que jamais dubitatifs quant aux ambitions des pouvoirs publics en matière d’électricité et leurs capacités à juguler la grave crise actuelle. Le RACE met en garde contre les man uvres et les manipulations politiciennes de la question de l’accès des populations à l’électricité. Les consommateurs en ont assez des combines et autres promesses démagogiques. Nous ne croiserons pas les bras devant cette posture antipatriotique récurrente et continuer à payer seuls le lourd tribut de la gestion calamiteuse du secteur de l’énergie électrique.
Même comme les nombreux amendements imposés par la Banque mondiale annihilent quelque peu son impact, ce nouveau texte a le mérite de rendre caduque la loi N°98/022 du 24 décembre 1998, qui est opaque et moins explicite sur le volet investissement. Nous pensons qu’à travers les facilités fiscales et les incitations qu’il offre aux entreprises candidates à l’investissement dans ce secteur d’activité, ce texte peut faire bouger quelques lignes et permettre une mise en valeur optimale de l’extraordinaire potentiel énergétique de notre pays. Pour toutes ces raisons et sous réserves, le RACE appelle le Président de la République à procéder sans tarder à la promulgation de cette loi, même dans cette version édulcorée. Toutefois, en réaffirmant notre position de principe qui est celle d’une renationalisation du service public de l’électricité au Cameroun, nous osons croire que la concurrence libérale en perspective dans ce secteur de souveraineté, aura des effets palpables et rapides sur le consommateur et les entreprises camerounaises, notamment en termes de qualité de service et de prix du kWh. L’accès à l’énergie est un droit essentiel et inaliénable!
Fait à Douala, le 26 Novembre 2011
Pour le Bureau Exécutif du RACE
Paul Gérémie BIKIDIK
Président du RACE
