Le « gombo », une gangrène qui ternit l’image du journalisme au Cameroun

Frais de taxi, perdiem ou droits de couverture, la tradition du «gombo» tend à s’institutionnaliser dans les milieux de la presse camerounaise

Cela est bien connu de tous, les microphones, les dictaphones, les caméscopes et autres outils de travail des journalistes ont tous changé de nom aujourd’hui pour devenir des « gombophones » et des « gomboscopes ». En quelque sorte, des instruments de récolte du « gombo » pour les journalistes. Le problème s’intensifie d’avantage aujourd’hui parce que la presse est prise en otage par ceux qui y sont entrés par effraction. Les « arnaqueurs et autres braqueurs » qui tirent la profession vers le bas et qui contribuent à ternir son image au quotidien. Ils sont plus nombreux que les vrais journalistes. Ils sont totalement ignorants des règles de la profession et de la déontologie. Les « journalistes du Hilton » comme on les appelle chez nous. Et comme l’appareil judiciaire ne facilite pas toujours la tâche, la dépénalisation des délits de presse est encore reléguée aux calandres grecques. Les journalistes se retrouvent donc aisément derrière les barreaux pour la violation des normes sociales qu’ils auraient du respecter.

Autrefois adulé, honoré et même adoré, le journalisme dans ses beaux jours avait la réputation du plus beau métier du monde. Aujourd’hui bâillonné et rejeté, le journaliste navigue très souvent entre deux barques que la société. Les hommes influents et puissants de ce monde les agitent au gré de leurs intérêts. La réalité est que ce métier, qui a valu à ceux qui l’exercent l’appellation de quatrième pouvoir fait rarement l’unanimité au sein de l’opinion. Le bas peuple reproche aux journalistes leur alignement parfois aveugle sur les positions du pouvoir en place. Les tenants du pouvoir politique, économique et religieux de leur côté tirent sur les journalistes quand ils estiment que leur message n’est pas suffisamment relayé. Les choses prennent une tournure plus compliquée encore lorsque le « gombo » s’en mêle. Une véritable hydre à laquelle tous les journalistes – ou presque – de la presse camerounaise n’y échappent. Et pourtant, le gombo peut parfois être source de beaucoup de malheurs.

Au moment où se célèbre cette énième journée mondiale de la liberté de la presse, il y a vraiment urgence pour les journalistes de se regarder droit dans les yeux. Il s’avère important de se donner quelques considérations sociales si l’on veut éviter le naufrage de cette noble profession pourtant très délicate. Autant la presse a le devoir d’informer, autant autrui a le droit de savoir.


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Interview de Gérard Delteil qui signe Gombo, un roman sur Le Cameroun

Ecrivain journaliste, l’auteur a eu envie de raconter l’autre Cameroun, l’officieux!

Pouvez vous vous présenter aux lecteurs camerounais?
Je suis à la fois journaliste et romancier. Comme journaliste, je travaille régulièrement pour la presse économique spécialisée, mais j’ai publié aussi des reportages, en particulier sur l’Amérique latine, dans des publications comme Le Monde diplomatique, Viva, l’Humanité Dimanche, la presse féminine etc Comme auteur, j’ai publié un peu plus d’une soixantaine de livres, surtout des polars, mais aussi des livres d’enquêtes sur des sujets comme les prisons, les scandales de la médecine, les risques chimiques. J’aime beaucoup écrire un roman qui se déroule dans un pays que j’ai visité, cela compense la frustration du journaliste à qui on laisse de moins en moins de place pour s’exprimer en raison de l’évolution de la presse.

Gerard Delteil, quand on lit ce roman, on se dit l’auteur connait parfaitement le Cameroun. Racontez nous le Cameroun que vous connaissez
Connaître parfaitement le Cameroun, c’est vraiment beaucoup dire ! J’ai découvert ce pays à l’occasion d’un séjour organisé par le Centre Culturel français pour rencontrer des enseignants, des scolaires, des bibliothécaires, des écrivains et des poètes camerounais. L’accueil de tous ces professionnels a été très sympathique, bien que certains aient émis des réserves sur l’utilité pour leurs élèves de rencontrer un auteur de polar – et je les comprend parfaitement, car leurs établissements avaient sans doute d’autres priorités. Quand j’ai visité Douala, une certaine hostilité régnait à l’égard des Français, en raison du comportement de l’armée française en Côte d’Ivoire. La plupart des gens, par courtoisie, cherchaient à me cacher l’existence de cette hostilité, mais on la sentait parfois tout de même et elle était très compréhensible dans un pays qui a eu à souffrir du colonialisme. Parmi les choses qui m’ont frappées au Cameroun, c’est le nombre incroyable d’églises de toutes sortes et en particulier d’évangélistes.

Gérard Delteil
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Camfranglais, noms des rues, situation géographique… Vous allez jusqu’à rentrer dans les rapports complexes entre tribus…
Quand je visite un pays, déformation professionnelle, je m’efforce de m’informer le plus possible, j’interroge sans arrêt les personnes que je rencontre – ce qui est peut-être parfois pénible pour eux.
Un journaliste m’a ainsi fait un petit cours de camfranglais, et c’est ainsi que j’ai appris l’existence du « gombophone ». Cette langue a beaucoup de charme. Mais je me documente aussi de toutes les façons possibles et je suis revenu en France avec une grosse pile de journaux et magazines camerounais. Enfin, j’ai relu des romans de Mongo Beti et plusieurs livres sur l’histoire et la situation du Cameroun.

Votre livre raconte avec des excellents détails le rapport de force entre expatriés et pouvoirs publics camerounais. Pensez vous que la présence chinoise a eu un impact sur ces rapports de force?
Oui, je crois en effet que la « Francafrique » n’est plus ce qu’elle était. Le rapport de forces a changé. Les Américains et les Chinois marchent sur les plate-bandes hier réservées de la France. Ce qui laisse une plus grande autonomie au pouvoir camerounais qui peut jouer sur ces rivalités. On l’a vu par exemple quand le président Biya a critiqué l’intervention française en Côte d’Ivoire, ce qui aurait été impensable dans les années soixante. La situation des expatriés français s’en ressent nécessairement, ils ne peuvent plus se comporter en terrain conquis, même si certains d’entre eux se croient toujours à « la belle époque des colonies ».

Il s’agit d’un livre noir, d’un polar mais remarquez la trame de fond est réelle…
Qu’avez vous voulu faire passer comme message?

J’avais envie, d’une part, de dénoncer le comportement de certaines entreprises, notamment pharmaceutiques, en Afrique, d’autre part de rappeler les massacres commis par l’armée française en pays bamiléké dans les années soixante. Ces horreurs sont très peu connues en France, contrairement à celles de la guerre d’Algérie. Mais j’avais aussi envie de parler du Cameroun et de ses habitants, tout simplement.

Pourquoi Gombo comme titre?
Le gombo symbolise malheureusement assez bien certains aspects de la vie quotidienne, et de la vie politico-économique du Cameroun. De plus, c’est un beau titre, court, qui sonne bien. Cela-dit, le Cameroun n’a pas le monopole de la corruption, elle est seulement plus visible car elle est omniprésente dès qu’on débarque à l’aéroport. Dans des pays comme la France, la corruption se pratique de façon plus discrète, dans les sphères plus élevés, et plus rarement dans la police, l’administration ou la justice, mais elle n’en affecte pas moins toutes sortes de transactions. Disons que le gombo français coûte beaucoup plus cher et rapporte généralement beaucoup plus car il concerne des gros marchés, comme par exemple les ventes d’armes ou les travaux publics, mais que le citoyen français ne risque pas d’être racketté dans la rue par la police comme au Cameroun.

Avez vous prévu de présenter le livre au lectorat camerounais? Au Cameroun?
Si l’occasion s’en présente, volontiers ! Mais je ne sais pas si cette présentation plairait beaucoup aux autorités.

On a célébré la journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai dernier et l’histoire de Jean Christophe Assamoa pose ce problème. Votre avis sur le sujet au Cameroun?
De nombreux journalistes camerounais ont en effet payé assez cher leur volonté d’informer leurs lecteurs et de résister aux pressions du pouvoir. Même si la corruption n’épargne pas le monde de la presse, j’ai été frappé par le courage et le professionnalisme de certains journalistes camerounais, par exemple les enquêteurs et reporters du Messager, qui ont réalisé un dossier remarquable et sans compromis sur les prisons camerounaise. Dossier que j’ai utilisé dans mon roman.

Quel meilleur souvenir gardez vous du Cameroun?
Une rencontre improvisée dans une sorte de bistrot-gargotte populaire du quartier du port de Douala, où nous sommes entrés par hasard avec un employé camerounais du Centre Culturel. Les gens, des travailleurs du port pour la plupart, étaient vraiment très spontanés, très sympas et très accueillants. L’un des clients, qui avait vécu en France, a même tenu à chanter une chanson sur Paris. J’ai remarqué qu’ils critiquaient aussi assez librement les autorités et leurs patrons devant un étranger, sans crainte d’être dénoncés et d’avoir des ennuis.
Sinon, j’ai aussi un excellent souvenirs des haricots verts et des énormes soles fraîches. J’espère que les monstrueux chalutiers chinois qui ratissent désormais les côtes en laisseront quelques-unes aux pêcheurs locaux.

« Gombo »
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