Ma génération peut-elle reconstruire le Cameroun?

Par le Père Ludovic Lado

Depuis que les Burkinabé ont réussi là où les Camerounais ont échoué ces dernières décennies, précipiter la fin d’un long règne, ils sont nombreux à rêver de la réplique au Cameroun. Mais en cette matière, le copier-coller marche rarement. Le problème du Cameroun aujourd’hui n’est pas seulement l’impopulaire régime Biya, mais aussi une génération de Camerounais un peu trop hédoniste et égoïste pour sacrifier les intérêts personnels à une cause collective. Et pour ne pas se faire d’illusions sur l’après-Biya, cette génération doit se regarder dans le miroir et faire son examen de conscience.

Ces jours-ci, Alain Foka de RFI revisite la mémoire d’Um Nyobe, une figure spéciale du nationalisme Camerounais. Ce héros fait partie du panthéon de Camerounais qui ont sacrifié leur vie pour que notre génération commence sa marche vers la liberté, qui ont préféré la mort à la servitude coloniale, qui ont donné leur vie pour que notre génération vive mieux. Mais les colons leur ont préféré l’espèce Ahidjo-Biya fabriquée de toutes pièces par eux pour poursuivre leur uvre. C’est ainsi que les logiques de la rupture radicale prônée par les Um Nyobé ont cédé le pas à celles de la continuité, celles de la colonisation par procuration. La génération Ahidjo-Biya est celle des traîtres de la cause nationaliste qui ont préféré une servitude dorée à la vraie liberté. De ce point de vue, Ahidjo et Biya c’est la même chose !

Puis a soufflé le vent de la démocratie à partir des années 1990, et le Cameroun a conçu une démocratie qu’il n’a pas encore pu enfanter. Les Fru Ndi et autres tribuns ont fait irruption dans l’espace politique et les mouvements de foules agrémentés de révoltes estudiantines ont suivi. Quelques intellectuels ont fait front, du sang a coulé, mais Biya s’est maintenu parce que les Fru Ndi n’ont pas tardé à trahir la cause des aspirations camerounaises à la démocratie. Depuis que Fru Ndi s’est trouvé une nouvelle vocation, celle d’homme d’affaires, la politique est désormais pour lui une simple distraction. L’apathie politique au Cameroun aujourd’hui n’est que le fruit de cette autre traîtrise.

Au Burkina Faso, Il a suffi qu’un semblant de front uni de l’ « opposition » émerge et prenne les devants des manifestations pour que les populations sortent de leurs maisons et que Blaise Compaoré finisse par démissionner. Ils ont su taire leurs intérêts particuliers pour viser l’objectif commun : faire partir Blaise Compaoré. Maintenant les différents protagonistes peuvent reprendre leur souveraineté en vue de la compétition pour le siège présidentiel qui s’annonce rude et qui nous l’espérons sera démocratique. C’est un défi que l’opposition camerounaise n’a jamais réussi à relever à cause du primat des intérêts particuliers, ce qui en partie explique la longévité du régime Biya. Il n’y a plus rien à attendre de cette classe politique. Il faudra bien que la génération suivante prenne la relève, mais quelle relève ?

Biya va laisser un Cameroun mal en point à une génération mal en point, parce que divisée, égoïste et hédoniste. Nous aimons trop les plaisirs de cette vie pour embrasser l’austérité qu’exige toute vie de dissident, pour préférer les caves et les forêts auxquels étaient contraints les Um Nyobe aux bars et aux circuits. C’est pourquoi tant d’ « intellectuels » ont succombé à la prostitution politique au Cameroun. Et quand la prétention et l’orgueil s’en mêlent, c’est le règne de l’hubris, le déchainement des passions qui se manifeste régulièrement par l’insulte facile. On en vient même à se demander si une révolution à la Burkinabé ne tournerait pas facilement en boucherie interethnique au Cameroun.

Cette génération, c’est la mienne ! A l’intérieur comme à l’extérieur du Cameroun, nous nous sommes montrés incapables de faire passer les intérêts particuliers après l’intérêt général, d’unir nos forces pour faire advenir le changement tant souhaité par les Camerounais. C’est une génération bavarde, voire bruiteuse, mais politiquement impuissante, absente sur le terrain de l’action. Elle a, elle aussi, trahi la cause camerounaise. Nous sommes tous des traîtres, des Judas de la cause camerounaise, prêts à vendre notre pays pour quelques sous. Notre égo passe avant le Cameroun, voilà la racine de nos problèmes.

Si ma génération veut faire mieux que celle de Biya, elle doit faire son examen de conscience. Si on rate ce diagnostic, on va vers la reproduction du passé. Au moment où le Cameroun envisage une période de transition politique incertaine, il ne suffit pas de souhaiter que le régime Biya prenne fin. Il faut encore que la relève soit de qualité. Il faut la préparer ! On a vu ailleurs les opposants d’hier faire pire que leurs prédécesseurs. Il y a sûrement des Camerounais qui peuvent faire mieux que Ahidjo et Biya, mais saurons-nous, aveuglés par tant de passions, distinguer le bon grain de l’ivraie. Je ne crois pas au messianisme politique. Nous aurons toujours les dirigeants que nous méritons, c’est-à-dire à la mesure des sacrifices que nous sommes prêts à faire pour être libres. Même en politique, on ne récolte que ce qu’on a semé.

Père Ludovic Lado
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J’ai eu honte d’être Camerounais

Par le Père Ludovic Lado

Comme le dit si bien Jésus Christ, « Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne peut subsister. » (Mt 12,25). Ce que des millions de Camerounais ont vu sur le terrain au cours du match qui a opposé notre équipe nationale aux Croates sort de l’ordinaire. Et encore une fois, il faut que cela vienne du Cameroun, la déchéance qui humilie toute une nation.

D’abord une affaire de primes orchestrée par l’opacité d’une administration corrompue et rompue aux man uvres des ténèbres, puis une affaire rocambolesque de m urs autour du capitaine de l’équipe, puis la déconcentration, puis les défaites. Un pays divisé, des joueurs divisés, les supporters divisés ! Toute cette ambiance délétère ne pouvait que produire de tels déchets. Et aujourd’hui la puanteur de l’irresponsabilité nous rattrape.

Je n’ai jamais eu honte d’être Camerounais, mais hier, j’ai bu la honte jusqu’à la lie au milieu des sympathisants qui se demandaient ce qui nous arrivait. Nous avons pris l’habitude de tout banaliser dans un pays où le ridicule ne tue plus. Mais ce qui s’est passé au cours de ce match n’est pas un fait divers ! C’est un symptôme qui ne trompe pas. Si nous doutions encore de la gravité de notre mal, il est temps d’en prendre toute la mesure. De tels comportements à un tel niveau de compétition, c’est chose rare.

Comme le dit si bien cet autre verset biblique : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent. » (Mt 7, 6). Nous avons jeté nos perles, les couleurs nationales, aux pourceaux et ils les ont bien piétinées. Décaisser des centaines de millions pour financer une telle bêtise, c’est démentiel. Comment ne pas s’en indigner !

Nous devons nous rendre compte que ce match a été regardé par des milliers de jeunes Camerounais qui considèrent les Lions Indomptables comme étant l’incarnation de l’esprit de toute une nation. Mais qu’est-ce qui leur a été servi ? La division, la médiocrité, l’indiscipline, etc. Il y a de quoi regretter l’époque des Roger Milla. Oui, en leur temps, ce n’était pas l’argent qui jouait, mais le c ur qui battait pour une nation. Aujourd’hui, il y a de l’argent mais quel esprit ?

Encore une fois, ce qui fait la force d’une nation, d’une équipe, d’une famille, de toute entreprise collective, c’est d’abord l’esprit d’unité autour d’une cause commune. Oui l’esprit, encore l’esprit, toujours l’esprit ! Quand il est bon, il fait des miracles, même avec des moyens de bord. Mais quand il est mauvais, vous pouvez investir des milliards, vous ne récolterez que l’amertume et la désolation. Le talent sans la vertu et la discipline ne mène nulle part. Si les lions veulent se réconcilier avec les Camerounais, qu’ils remettent au moins la moitié de leur prime à des uvres sociales, pour dire leur mea culpa. On ne fait pas cela à une nation ! Sinon, il faut radier toute l’équipe pour des besoins pédagogiques. Mieux vaut ne pas avoir une équipe du tout que d’en avoir une comme celle-là.

Voilà le fruit de 32 ans de règne ! Monsieur Biya ne maîtrise plus rien dans ce pays, et tout se meurt, jusqu’au football. Encore une fois, il est temps qu’il s’en aille lui aussi avec son équipe pour donner la chance aux Camerounais de jeter de nouvelles bases pour la reconstruction de notre pays, ce pays où tout est à refaire, en commençant par l’esprit. Aux grands maux les grands remèdes, dit-on. Mais qui le fera dans ce pays où le vers n’est pas seulement dans le fruit, mais dans le tronc.

Notre pays est gravement malade et le football camerounais en est l’image. Comme le disait Jésus à l’entame de sa passion, «C’est maintenant l’heure du pouvoir des ténèbres » (Lc 22, 53). A quand le réveil des fils de lumières ? Si vous savez prier, priez pour le Cameroun, parce que nous sommes dans de sales draps. C’est une vraie descente aux enfers et le chemin de la résurrection sera long et pénible.

Père Ludovic Lado
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C’est à genoux que je vous le demande, cessez-le-feu

Par le père Ludovic Lado

Ils sont nombreux aujourd’hui les Camerounais qui déplorent l’emprise des vieux, voire des vieillards, sur la vie sociopolitique du Cameroun. Mais au moment où on rêve de la relève, des leaders d’opinion qui semblent, chacun à sa manière et à son niveau, incarner la subversion du statu quo se livrent à des joutes épistolaires fratricides qui pour le moins inquiètent quant à la qualité de ladite relève. Hier c’était Franklin Nyamsi et Calixte Beyala. Aujourd’hui, c’est Patrice Nganang et Mathias Owona Nguini. Au-delà de ces cas saillants la réalité est que les médias sociaux à dominance camerounaise, où l’éthique de la discussion est piétinée à volonté, nous livrent ce spectacle désolant au quotidien. Que viennent faire l’insulte et le dénigrement dans un débat entre intellectuels ? Comment passe-t-on si facilement d’une divergence de lectures des événements du quotidien camerounais (et quoi de plus normal pour des intellectuels !) à un dérapage épistolaire aussi violent ? Quels sont les enjeux d’une telle tendance à ce moment bien précis de l’histoire de notre pays. Je m’en mêle, en effet, parce que ces compatriotes sont de ma génération, celle qui doit assumer ses responsabilités pour la reconstruction du Cameroun.

Même si dans une certaine mesure on admire les intellectuels camerounais pour leurs capacités à s’approprier et à débattre de l’actualité politique à l’échelle continentale, -les ivoiriens s’en souviennent encore-, les dérapages comme celles qui opposent certains nos meilleurs leaders d’opinion de l’heure ne sont pas de nature à nous rassurer, non pas parce qu’ils n’ont pas droit à la divergence d’opinions, mais bien parce que le ton et le contenu font frémir. D’abord ils ne doivent pas oublier qu’il y a beaucoup de jeunes qui les prennent pour modèles et c’est une responsabilité qu’ils se doivent d’assumer avec crainte et tremblement. Dans un pays en perte de repères et en mal de modèles, c’est une grosse responsabilité. Ensuite, à l’allure où vont les choses, notre génération risque d’hériter des querelles et des démons des générations précédentes dont nous décrions la qualité de la gouvernance. Mais au fond, quelle est la véritable pomme de discorde ? Serait-ce la ligne de démarcation entre le bon grain et l’ivraie ? Le Cameroun aurait-il besoin d’une démarche de vérité et réconciliation sur des périodes violentes de son histoire récente, spécialement les années de braise marquées par les douleurs d’enfantement de notre démocratie avortée ? Le moins qu’on puisse dire est que ces querelles sont le symptôme d’un malaise qui n’augure pas d’une transition générationnelle apaisée.

Quant à l’hydre du tribalisme qui déchaine tant de passions et innerve les accusations et contre-accusations, quelle violence ? En définitive qui de nous est tribaliste et qui ne l’est pas ? Ce procès d’intentions qui ne saurait se substituer au tribunal de la conscience est une voie sans issue. Un intellectuel tribaliste n’a pas de sens, le tribalisme étant une maladie de l’esprit potentiellement homicide. Et quand on est universitaire en plus, on est d’office un artisan de l’universalité comme horizon de réconciliation de l’humanité en quête de vérité. Décidément, nous n’arrivons pas à nous défaire de cette grille de lecture ethnique qui empoisonne et menace toute tentative de synergie au Cameroun. Mais ne nous y trompons pas, si notre génération emprunte cette voie, elle n’aura rien à apporter au Cameroun. Elle risque même d’être pire que celle que la vieillesse et la mort contraignent aujourd’hui à lâcher progressivement la gestion de la cité au Cameroun.

Pire encore, cette polarisation sur fond de clivages ethnico-idéologiques fragilise les forces du changement que nous semblons incarner. L’opposition camerounaise en est morte. Finalement en nous dénigrant mutuellement nous jouons pour les forces de l’inertie que nous semblons combattre. Le Cameroun a besoin de tous ses enfants et c’est en nous donnant la main que nous arriverons à construire un autre Cameroun. Espérons que ces divergences n’incarnent que des tendances idéologico-politiques qui pourront meubler le débat politique dans un Cameroun démocratique que nous appelons de tous nos v ux, mais la forme et le fond ne sont pas citoyens. Alors chers compatriotes, c’est à genoux que je vous le demande, cessez-le-feu ! Que chacun à la mesure de ses talents apporte sa modeste pierre à l’édifice. La tâche est immense et il n’y a pas d’énergies à gaspiller dans les divisions. Le tribunal de l’histoire finit toujours par faire la part des choses entre le bon grain et l’ivraie, entre les héros et les imposteurs. En général, il ne se trompe pas.

Père Ludovic Lado
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Lettre ouverte aux chrétiens du Cameroun

Par le père Ludovic Lado

Chers condisciples de Jésus Christ,
Depuis mon pays de mission qui renaît des cendres d’une sale crise politique, je n’ai pas pu résister à un appel intérieur à partager avec vous quelques unes de mes préoccupations sur la responsabilité sociale et politique du chrétien au Cameroun aujourd’hui. Je vous écris à vous spécifiquement parce que nous avons en commun un même modèle existentiel, un certain Jésus Christ, ce Juif dissident du 1er siècle de notre ère, dont la vie continue d’inspirer des millions de personnes dans le monde. Peu importent nos multiples dénominations ! Après tout Dieu ou Jésus n’est ni catholique, ni protestant, ni évangélique, ni pentecôtiste et je ne sais quoi. L’essentiel est notre référence commune à Jésus Christ qui nous propose un chemin de salut, c’est-à-dire de vie humaine accomplie.

Mais que signifie être chrétien, voire croyant, dans la société camerounaise d’aujourd’hui? A quoi nous servent les religions au Cameroun?
Les recoupements statistiques donnent à penser qu’au moins 60 % de Camerounais s’identifient comme chrétiens. Et si on y ajoute les musulmans et les adeptes de nos dignes religions ancestrales, on atteint au moins 95% de croyants dans la population camerounaise. Mais, et c’est là le paradoxe qui m’intrigue, comment peut-il y avoir tant de mal-vivre, de pauvreté, d’injustices et d’incivismes dans un pays que la nature a comblé de tant de richesses et où presque la totalité de la population est croyante? Croyez-moi, je connais assez bien les lumières et les ombres de la nature humaine pour ne pas rêver du paradis sur terre.

Mais à quoi nous servent toutes ces religions si elles ne nous rendent pas plus humains, si elles ne nous aident pas à bâtir un pays plus juste, plus fraternel et plus solidaire ? J’ai toujours pensé qu’une religion était un chemin d’humanisation divinisante. Les églises, les temples et les mosquées sont remplis les jours de culte mais dans la société c’est la jungle, c’est le règne du « chacun pour soi ». Plus l’offre religieuse croît plus la fraternité et la prospérité semblent foutre le camp. Comment concilions-nous tout cela avec le nom de Dieu? Comment expliquer l’ampleur de la paupérisation dans un pays où presque tout le monde a le nom de Dieu sur les lèvres ? En quel Dieu croyons-nous au juste ?

Où sont et que font les chrétiens au Cameroun?
Que de nouvelles églises ! Que de veillées de prières ! Que de campagnes d’évangélisation ! Quelle effervescence religieuse ! Mais la foi chez nous semble se réduire à une mécanique de formules et à une boulimie rituelle sans véritable incidence sur le vivre-ensemble, sur la relation à autrui. Pourtant, « Le jeûne qui me plaît, dit le Seigneur, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore. » (Is 58, 6-8). Dans ce pays qu’est le Cameroun, où faisons-nous tomber les chaînes injustes ? Où délions-nous le joug ? Où rendons-nous la liberté aux opprimés ? La pauvreté qui déshumanise les Camerounais n’épargne pas les Chrétiens.

Elle est décidément l’une des pires formes de violence, le premier ennemi des valeurs et de la dignité humaine. Si nous avons reçu l’Esprit Saint, comme nous le prétendons, où sont donc nos saintes uvres dans la cité? Jésus a demandé à ses disciples d’être la « lumière du monde » (Mt 4,14) mais nous sommes les ténèbres du Cameroun. Il a béatifié les « persécutés pour la justice » (Mt 5, 10) mais c’est nous qui persécutons par l’injustice. Il nous a demandé d’aimer et de servir sans discrimination (Mt 20, 28), non seulement nous nous servons mais nous asservissons notre prochain. En quel Dieu croyons-nous en réalité ? En ce Dieu défini par la Bible comme Amour et Vie ? A qui ressemblons-nous au juste ? A Jésus Christ qui a dit : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et l’aient en abondance » (Jn 10, 10) ? Quiconque sert un système injuste ne peut être disciple de Jésus Christ, parce qu’il sert les forces de la mort. Dieu est la Vie ! La foi en Dieu n’est rien d’autre que la foi en la Vie qu’on s’engage ici bas à promouvoir en soi et en l’autre.

Pensez-vous qu’il est sensé de demander à Dieu, comme nous le faisons dans nos multiples prières, d’arranger notre vie à nous alors qu’on écrase celle des autres par l’injustice? Je ne le pense pas ! La vie éternelle à laquelle nous aspirons n’a de sens que si elle est le couronnement d’une vie passée sur terre au service de la vie en soi et en l’autre. Encore une fois, je ne rêve pas du paradis sur terre, mais la réalité est que les fils de ténèbres semblent avoir étouffé les fils de lumière dans notre pays. C’est pour cela que le fruit de notre vivre-ensemble n’est pas la justice ou encore l’épanouissement de la vie humaine.

Jésus n’était pas un politicien mais n’oublions pas que c’est à cause de son opposition aux servitudes religieuses et sociales de son temps, de sa défense inconditionnelle de la dignité de tout être humain qu’il a été rejeté et crucifié par les fonctionnaires du sacré et les politiciens de son temps. Cela ne vous étonne-t-il pas qu’avec un tel maître nous soyons si tranquilles dans un pays comme le nôtre rongé par le mal-être? Nous baignons dans un christianisme individualiste tellement centré sur la consommation rituelle pour des besoins personnels qu’il ne constitue plus aucun danger pour les structures qui secrètent l’injustice et la mort. On en vient même à commercialiser le « sacré » aux chercheurs d’emploi, de conjoint, d’enfant, de richesses, etc., tout cela au nom de Jésus Christ. Ce christianisme fétichiste que la pauvreté et son lot de misères sociales font fleurir chez nous n’est pas celui de Jésus Christ ! D’ailleurs nous dit-il : « Ce n’est pas en me disant : « Seigneur, Seigneur ! » qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : « Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? » Alors je leur déclarerai : « Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal ! » » (Mt 7, 21-23). En réalité, la foi chrétienne est un chemin d’élévation mystique qui libère progressivement en l’homme les forces de l’amour, mais que malheureusement le fonctionnariat du sacré a progressivement émasculée, condamnant ainsi la plupart des chrétiens au « kwashiorkor » spirituel. Le peuple de Dieu se meurt dans les poubelles spirituelles faute de mystagogues, c’est-à-dire de vrais guides initiatiques formés à l’école de Jésus Christ.

Les chrétiens doivent se réveiller au Cameroun et reprendre le flambeau du Maître, celui de la dissidence ! Le christianisme tranquille et sans risques n’est pas celui de Jésus Christ. Un vrai chrétien est un rebelle par essence, parce qu’il ne supporte pas qu’un être humain soit piétiné. La plupart de nos problèmes sociaux sont engendrés par la mauvaise gouvernance qui relève des injustices structurelles. Dieu n’y est pour rien ! Laissons Dieu tranquille et assumons nos responsabilités. Il nous en a donnés les moyens. Où sont et que font les chrétiens sur le champ politique au Cameroun?
Au lieu de courir après les miracles, les chrétiens doivent prendre le risque de subvertir les forces de la mort de leur temps par un engagement responsable au service de la justice et de la paix dans tous les domaines de la vie sociale, y compris la vie politique. Jésus l’a fait et en a payé le prix. Un christianisme conformiste n’est pas celui de Jésus Christ et seuls les hommes libres peuvent être vraiment ses disciples. Beaucoup sont baptisés mais très peu sont chrétiens parce que très peu sont libres. « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés. » (Lc 4, 18). Voilà l’Esprit qui habitait et guidait Jésus, ce maître ambulant qui n’avait même pas où reposer sa tête (Mt8, 20). Est-ce le même esprit qui nous habite, nous qui prétendons être ses disciples aujourd’hui au Cameroun? Que Dieu bénisse le Cameroun !

Père Ludovic Lado
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