Rencontre avec Lydie Bikah, la Camerounaise qui défie les engins lourds

A bord de la niveleuse qu’elle conduit sur les chantiers de construction au Cameroun, la pilote dégage, terrasse le terrain et fait des nivellements. « La seule femme » dans ce domaine

Au milieu du vrombissement du moteur, des klaxons des véhicules et motos, Lydie Bikah man uvre avec dextérité un énorme engin. Visage à moitié dissimulé par un chapeau contre le soleil qui s’abat cet après-midi sur Douala (Littoral), capitale économique du Cameroun, la jeune femme va et vient, mine concentrée, en s’assurant que son engin nivelle l’une des parcelles de route non goudronnée.

Au quartier Bonabéri, à l’entrée Ouest de la ville de Douala, des hommes et des femmes s’arrêtent pour l’observer travailler.

«Je suis la seule femme conductrice de niveleuse au Cameroun, lâche fièrement Lydie Bikah à Anadolu. Avant, on ne voyait que des hommes ou encore des femmes chinoises conduire ce genre d’engins au Cameroun. Aujourd’hui, il y a une Camerounaise à bord».

«Depuis plus de 30 ans que j’écume les chantiers de construction de routes au Cameroun, j’ai vu des femmes conduire des compacteurs, des pelles-poclain. Mais, pas de niveleuse. Lydie travaille avec passion et ardeur. Elle est notre fierté au chantier», témoigne, souriant, Pierre Mbatsogo, le patron de Lydie.

Depuis 2011, date d’obtention de sa «titularisation» en tant que conductrice de niveleuse, Lydie parcourt les chantiers de construction des routes au Cameroun et au Tchad.

C’est en 2013, Lydie part au Tchad avec une entreprise de travaux publics française pour la construction d’une route. La jeune fille âgée de 31 ans évoque cette période avec un «petit» pincement au c ur. «J’ai voulu former au moins une tchadienne à la conduite de niveleuse. Aucune n’a voulu. J’ai tout essayé sans succès», s’étonne-t-elle encore. De retour à Douala en 2014, Lydie a tenté de former une compatriote à elle, sans succès.

«Les femmes me disent qu’elles ne veulent pas. Certaines ont peur de la niveleuse», déplore la jeune «pilote» de Satom (entreprise de travaux publics française).

L’amour de Lydie pour la conduite des gros engins remonte à sa tendre enfance quand son père était, lui-même, conducteur de pareilles niveleuses. A six ans, elle part le rejoindre durant les vacances sur le chantier de construction de la route Sangmélima (Sud Cameroun).

«Un jour, je lui ai demandé si je pouvais tenir le volant. Il a accepté, se souvient-elle, sourire aux lèvres. Mon pied n’arrivait pas au niveau des pédales. J’ai juste tenu le volant».

Bien qu’elle ait entamé avec succès une première année universitaire, Lydie préfère retourner à sa première passion. En 2009, elle dépose une demande de stage en tant que pointeuse pour la rédaction des rapports journaliers sur le chantier de Meganga, lors de la construction de la route de Garoua-Boulaï (Est).

Sur le chantier, la jeune fille « vole » un catalogue de niveleuse. Chaque soir, de retour du travail, elle lit et relit la composition physique et apprend à dessiner certaines parties de l’engin. Lydie Bikah finit par faire part de sa passion au chef du chantier, qui finit par accéder à sa demande, bien que la trouvant « trop jeune et fragile » à 27 ans.

«J’ai commencé à travailler avec un conducteur qui a été affecté à Yaoundé. Au bout de 14 mois, j’ai eu mon diplôme et l’entreprise m’a titularisée. J’étais la première femme à le faire», indique à Anadolu cette maman d’une petite fille âgée de 4 ans.

Pour certains hommes, Lydie est un «oiseau» rare, une petite «sorcière» de la conduite.

«Certains n’admettent pas qu’une femme conduise un si gros engin qui est parfois dangereux. D’autres, dont mes collègues, m’encouragent et me chouchoutent», glisse-t-elle.


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