Par Paul Joël Kamtchang, secrétaire exécutif de l’Adisi-Cameroun
Le poids du maritime dans l’économie mondiale est si primordial que tous les pays qui se respectent ont élaboré de véritables stratégies de leur action publique en mer. Les justifications de cette politique maritime globale se basent sur une série d’enjeux qui tiennent à la dépendance économique, souvent très forte quand par exemple un pays comme le Cameroun dépend à 95% du transport maritime pour ses échanges extérieurs et à l’impact économique lié à l’emploi et la création de la valeur ajoutée. Dans un contexte de mutation des trafics, l’économie portuaire est placée sous une double contrainte: s’adapter au rythme rapide d’évolution de l’industrie maritime pour suivre les changements technologiques, d’organisation et de vie des entreprises et prendre en compte le tissu industriel et commercial en relation avec le port qui évolue au rythme de l’économie générale dans un cycle alterné de croissance et de crise.
Il est temps que les Camerounais intègrent que la mer occupe les 2/3 de la surface du globe. Ce qui fait d’elle un élément incontournable. D’ailleurs, l’on juge de l’importance d’une nation par sa présence sur la mer. Il faudrait donc que les Camerounais sachent que la mer n’est pas seulement le pétrole off-shore, la pêche ou la réparation navale! Il ya d’autres enjeux, dont le transport maritime.
C’est fort curieux de voir avec quelle aisance les Sénégalais, les Ivoiriens, les Ghanéens, les Togolais, les Béninois, les Nigérians, les Congolais et les Angolais parlent du transport maritime dont ils maitrisent les principaux enjeux, surtout celui du domaine portuaire ! La Côte d’Ivoire a organisé ses Etats généraux de la mer en septembre 2011 pour mettre en perspective les grandes lignes de son renouveau qui tient en trois options: faire d’Abidjan, le principal port du pays, le Rotterdam d’Afrique, adopter un nouveau Code de la marine marchande et investir une somme d’investissements comprise entre 2 000 à 3 000 milliards FCFA d’ici l’horizon 2040 pour atteindre un niveau optimal de développement. L’absence d’une telle boussole n’explique-t-elle pas pourquoi les Camerounais sont si hermétiques au métier maritime et portuaire ? Cette situation relèverait des vestiges de type colonial où les nationaux sont détournés des choses importantes pour se distraire de futilités !
Or, la manutention portuaire, qui nous préoccupe tant, tient la seconde place dans le maritime après le fret. Le port de Douala traite aujourd’hui 95% du commerce extérieur du Cameroun et au moins 75% de celui de la RCA et du Tchad. A lui tout seul, Douala International Terminal (DIT), le Terminal à Conteneurs de Douala contrôle 50% du marché. Il s’est arrogé la crème du trafic, cette partie qui est en constante augmentation. Ce qui représente un chiffre d’affaires d’environ 50 milliards de FCFA et une marge bénéficiaire nette avoisinant 20%. Qui plus est, les multinationales qui n’ont pris aucun risque financier en détiennent 97% du capital social. Pour le reste du marché de la manutention portuaire qui se localise principalement au port conventionnel de Douala, les mêmes multinationales contrôlent ici aussi 90% de l’activité. Pourtant, des compétences nationales établies sont là, au bout de quarante ans de formation. Mais elles sont bloquées entre autres par des situations de monopole comme celle du GPAC (Groupement Professionnel des Acconiers du Cameroun).
Pour ce qui est du Port de Kribi, il vous souvient qu’il y a 6 ans, lors des recherches de financement pour la construction de la phase actuelle, les mêmes multinationales nous avaient tourné le dos pendant qu’elles étaient en train d’investir dans les ports concurrents de la Côte-Ouest Africaine. Et ce faisant, le Cameroun grâce à un prêt chinois aura porté le risque financier tout seul !
S’agissant des concessions dans ce nouveau port, il faut relever que le Terminal à Conteneurs représente un enjeu dix fois supérieur à celui du Terminal Polyvalent. Son avenir est radieux. Mais il faut avouer que seules certaines multinationales disposent à date de l’expertise nécessaire pour gérer un tel Terminal à Conteneurs ! Mais il faut éviter de retomber dans les erreurs du passé en octroyant comme à DIT un chèque en blanc à ce nouveau concessionnaire étranger. Il faudra qu’il soit bien bordé. Par contre, il n’y a aujourd’hui aucune raison valable pour que le Terminal Polyvalent soit confié à des étrangers puisque les compétences nationales établies existent et demandent que le Gouvernement leur fasse confiance. Faute de le faire, cela reviendrait à continuer à abandonner 97 % d’un secteur hautement stratégique aux étrangers qui pour certains sont des adversaires (pour ne pas dire plus !)
Le Gouvernement dispose là d’une occasion en or pour réaliser un doublé :
– Assurer le transfert d’une partie importante du marché très fermé de la manutention portuaire à des nationaux ;
– Et intéresser enfin les Camerounais à la mer et au transport maritime.
Enfin, que l’on nous comprenne bien. Même en confiant le Terminal Polyvalent à un Camerounais, les intérêts étrangers resteront prépondérants dans la mesure où les deux Terminaux à Conteneurs de Douala et Kribi (50% du marché) restant entre leurs mains, il convient d’y ajouter les 90% du marché du Port Conventionnel de Douala qu’ils contrôlent. Donc au total, les intérêts étrangers ne régresseront que peu pour se situer à 75% du marché global de la manutention portuaire !
