L’affaire Guerandi bientôt devant la justice internationale

Par René Dassié, Secrétaire à la Communication du MAC

Communiqué de presse
Le Mouvement pour l’Alternance au Cameroun (MAC) informe la presse nationale et internationale qu’il saisira, dès le mois de février, toutes les instances nationales et internationales compétentes en matière des droits de l’Homme et de justice pour attirer leur attention sur la disparition non élucidée de Monsieur Guerandi MBARA GOULONGO, opposant politique camerounais exilé au Burkina Faso depuis 1984.

Cette initiative citoyenne, en phase avec les idéaux d’alternance, de démocratie et de justice du MAC, survient quatre mois après les graves révélations de l’hebdomadaire Jeune Afrique au sujet Monsieur Guerandi MBARA GOULONGO. En effet, dans son édition N° 2801 du 14 au 20 septembre 2014, Jeune Afrique consacrait à cet opposant en exil depuis une trentaine d’année sa grande Une, sous ce titre : « Cameroun : le fantôme d’Etoudi ». Avec force détails, le journal racontait comment cet homme qui s’était reconverti dans l’enseignement universitaire après un doctorat en sciences politiques obtenu à Paris avait été piégé, drogué et exfiltré par avion spécial vers le Cameroun où il aurait été exécuté. L’hebdomadaire paraissant à Paris s’appuyait notamment sur le témoignage d’un mercenaire portugais du nom de José Alberto FERNANDES ABRANTES, qui confiait avoir participé à l’opération, pour le compte des autorités de Yaoundé.

Dans un État de droit, ces révélations gravissimes auraient suscité une réaction immédiate du gouvernement mis en cause. Or, malgré la surmédiatisation de l’affaire, l’interpellation des partis de l’opposition, de la société civile, des organisations de la diaspora, le gouvernement de Yaoundé, d’habitude prompt à monter au créneau pour se défendre chaque fois qu’il est mis en cause dans la moindre affaire, s’est illustré par un silence assourdissant. Même la demande plusieurs fois réitérée d’ouvrir une enquête parlementaire n’a reçu aucun écho favorable.

Face à cette situation de violation des droits de l’Homme qui tombe sous le coup de nombreuses conventions internationales dont le Cameroun est signataire, notamment celle contre les disparitions forcées, le MAC entend saisir formellement les instances judiciaires du Cameroun, de la CEMAC, de l’Union Africaine, les commissions spécialisées de l’ONU. Mais aussi toutes les organisations des droits de l’Homme susceptibles d’aider à la manifestation de la vérité dans cette affaire qui apparaît de plus en plus clairement comme un crime d’État.

Le MAC engagera avec détermination toutes les actions susceptibles d’obliger le gouvernement camerounais à livrer sa version des faits et à traduire en justice les coupables au cas où M. Guerandi aurait été assassiné.

Enfin, le MAC s’engage à mettre sur pied un système de vigilance, pour prévenir les enlèvements d’opposants camerounais.

https://www.facebook.com/MACCameroun?fref=ts Lancé officiellement le 4 janvier 2015, le MAC est mouvement citoyen politique qui regroupe diverses forces politiques et sociales, qui militent pour une alternance pacifique au sommet de l’État du Cameroun d’ici 2018. Le Mac entend promouvoir une alternance basée sur un nouveau contrat de confiance entre les gouvernants et les citoyens pour un changement systémique au Cameroun.

Guérandi Mbara
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Cameroun: S’opposer à Paul Biya deviendrait un acte de terrorisme

Par René Dassie, Président du CL2P

La révolution au Burkina Faso, puis le discours anti-dictateur inédit prononcé par François Hollande à Dakar, ont donné à réfléchir à beaucoup de dirigeants africains, qui seraient tentés de se maintenir au pouvoir en modifiant la Constitution à leur avantage. Certains ont d’ores et déjà promis qu’ils partiront à la fin de leurs mandats.

Pas Paul Biya, 82 ans, au pouvoir depuis 32 ans au Cameroun. Celui-ci semble avoir été rudement secoué, mais dans le mauvais sens, par les deux événements. Plutôt que d’envisager son départ dans la sérénité à la fin de son mandat actuel en 2018 comme lui ont suggéré des observateurs avertis de la scène politique africaine, comme l’Ong International crisis group (ICG), il compte se maintenir par tous les moyens. Y compris la criminalisation des manifestations.

Il vient ainsi d’inspirer un texte de loi, Le « PROJET DE LOI N°962/PPJL/AN PORTANT RÉPRESSION DES ACTES DE TERRORISME », déposé à l’Assemblée nationale camerounaise, et qui sous le couvert de combattre le terrorisme vise en réalité à punir de la peine de mort toute personne qui aurait participé à une manifestation de nature à entraver le fonctionnement normal des institutions. Il s’agit sans doute du projet de loi le plus répressif jamais envisagée dans le pays, depuis la fin des troubles qui ont accompagné son indépendance dans les années 60.

René Dassie
huffingtonpost.fr)/n

Le combat de Jeannette Marafa

Par René Dassié

C’est bien connu: l’amour est la plus grande des forces, et le meilleur avocat d’un homme en difficulté est son épouse. L’ancien ministre d’État camerounais de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, est incarcéré depuis deux ans, ceci de façon arbitraire au prétexte de détournements de fonds qu’il a toujours niés. Son innocence a été reconnue par le Tribunal dans le prononcé de son jugement. Depuis le jour de son arrestation son épouse Jeannette Marafa se bat en première ligne pour desserrer l’étau politico-judiciaire qui s’est refermé sur lui, et obtenir sa libération.

Ce sont les imprévus de la vie qui ont poussé au-devant de la scène cette mère de famille discrète, qui, en dépit d’une solide formation universitaire, avait choisi de vivre à l’ombre, pour assurer les arrières de son grand commis d’État d’époux, aujourd’hui reconnu prisonnier politique par la communauté internationale. Séparée malgré elle de son mari, retirée à Paris auprès de ses trois enfants, tous jeunes adultes et scolarisés dont elle assure désormais seule l’autorité parentale, Jeannette Marafa est marquée par l’épreuve que vit sa famille, mais elle a refusé de baisser les bras. Elle est restée digne. Aussi bien à l’aise en tailleurs européens qu’en robes africaines, elle n’a rien perdu de son élégance de femme Douala, son ethnie d’origine. C’est une «femme debout», comme diraient les Antillais.

Elle court les médias, mobilise les avocats, fait du lobbying politique, apporte son expertise au comité de libération des prisonniers politiques camerounais (CL2P). Car elle en est convaincue : l’homme qui partage sa vie depuis trois décennies n’est pas coupable des faits pour lesquels il a été arbitrairement condamné à (25) vingt-cinq ans de prison, il y a deux ans.

«Marafa est innocent»
«Le motif qui a été retenu contre lui, la complicité intellectuelle, n’existe pas en droit pénal camerounais et même français. Cela vient du fait que l’un des accusés était considéré comme un ami de mon mari. Le juge en rendant sa décision a d’ailleurs bien spécifié qu’on n’avait rien trouvé prouvant la culpabilité de mon mari. Cependant, comme il connaissait Monsieur Fotso [l’ancien Administrateur directeur général de la Camair condamné dans la même affaire NDLR] depuis 1993, il a aussi été déclaré coupable», a-t-elle clamé récemment sur la radio Africa N°1 lors du «Grand débat», une émission consacrée au décryptage de l’actualité française et internationale, animée par Francis Laloupo.

Elle explique que son époux n’a joué aucun rôle déterminant dans l’affaire dite de «l’Albatros», du nom de l’avion de Paul Biya, dont l’achat controversé a conduit nombre de dignitaires camerounais en prison : Ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de commander cet avion. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de débloquer les quelques (30) trente millions de dollars affectés au paiement de cet aéronef et qui auraient été détournés, mais l’ancien ministre camerounais des Finances, Michel Meva’a Meboutou. Celui-ci n’a jamais été inquiété. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de commander un autre avion que celui initialement prévu. Il n’a participé ni de près ni de loin à l’accord par lequel l’Etat du Cameroun et le vendeur se sont entendus pour solder cette affaire. L’avocat de l’État du Cameroun dans cette affaire, l’ancien bâtonnier Akéré Muna a déclaré lors d’une conférence de presse à Yaoundé que l’avion a bien été livré et que les autorités camerounaises ont perçu des indemnités compensatrices du retard observé dans la transaction. «Mon mari n’a jamais été concerné par tout cela», soutient Jeannette Marafa.

C’est parce que son époux n’avait rien à se reprocher qu’il a refusé de s’enfuir, alors même qu’on l’avait prévenu qu’il serait arrêté. Jeannette Marafa s’en souvient comme si c’était hier. Début avril 2012, son époux qui n’est plus ministre manifeste son souhait d’aller en vacances en France. Au Secrétariat Général de la Présidence camerounaise, on lui fait savoir verbalement que le président Paul Biya a donné son accord. Mais il exige d’en être notifié par écrit. Une prudence qui l’aurait sauvé d’une situation beaucoup plus fâcheuse qu’une simple arrestation.

Alors qu’il attend toujours son autorisation de sortir du territoire, quelqu’un lui téléphone de l’étranger pour lui faire savoir que son arrestation est imminente. Ses recoupements sur place lui permettent de confirmer cette information. Sur ces entrefaites, il reçoit, le 14 avril, (02) deux convocations émanant de (02) deux unités d’investigations différentes : il est invité à se rendre le 16 avril 2012, à la même heure, auprès du juge d’instruction et à la police judiciaire. Il a encore (02) deux jours devant lui. C’est largement suffisant pour s’enfuir ou demander l’asile politique dans l’une des représentations diplomatiques occidentales à Yaoundé.

Mais stoïque, il choisit de faire face. «Mon mari est un homme d’État qui se sait innocent. Il a servi Monsieur Biya et l’État du Cameroun avec toute son honnêteté, toute sa vigueur. Il a donné de son temps. Il a donné de son énergie. Il en a même oublié sa famille. Il a présenté plusieurs fois sa démission à Monsieur Biya, lequel ne l’a pas acceptée. « Marafa n’est pas quelqu’un à ne pas affronter la réalité », assure Jeannette Marafa. Sans surprise, l’ancien ministre est placé en garde à vue au terme de son interrogatoire policier, puis placé sous mandat de dépôt.

Pour son épouse, c’est l’aboutissement d’une opération de diabolisation qui a duré bien longtemps. On sait que (02) deux ans plus tôt, le 9 février 2010, lors d’un entretien avec l’ancienne ambassadrice des États-Unis au Cameroun, Mme Janet E. Garvey, Marafa Hamidou Yaya a confié à la cheffe de la mission diplomatique américaine que le Président Paul Biya se sert de la campagne anticorruption baptisée «Épervier» pour tenir en respect ses collaborateurs comme ses opposants. «Je peux me retrouver en prison», affirme-t-il. Des confidences transcrites dans un compte-rendu de l’ambassadrice au gouvernement américain, qui ont été dévoilées par Wikileaks.

«La déconstruction de l’image de Marafa ne s’est pas faite en un an. Elle s’est étalée sur plusieurs années. Vous pouvez imaginer l’effet sur nos enfants, d’apprendre dans les journaux, sur les réseaux sociaux que leur père est un voleur. Des choses qu’ils ne connaissent pas», affirme Jeannette Marafa, qui poursuit : «La réalité dans la famille que nous avons eu le bonheur de construire c’était l’honnêteté. Lui, il est musulman, moi je suis chrétienne pratiquante. Nous ne sommes pas des voleurs. Il y en a plein autour de Paul Biya. Il connaît Marafa, il connaît son honnêteté, il connaît sa franchise ».

Tentatives d’intimidation à Paris
L’exil parisien de Jeannette Marafa, qui avait quitté le Cameroun la veille de l’arrestation de son époux n’est pas du tout tranquille. « J’ai eu peur pour tout le monde, pour moi, pour mes enfants. J’ai été menacée plusieurs fois. On a dévissé les roues de ma voiture une première fois et j’ai failli avoir un accident. La deuxième fois, on a cassé complètement ma voiture. J’en ai appelé aux autorités françaises qui m’ont proposé la protection policière », témoigne-t-elle. D’autre part explique-t-elle, les avocats de son époux travailleraient dans des conditions difficiles. Alors que ceux du Cameroun subiraient des pressions, leurs confrères parisiens français ont essuyé des refus de visa afin de pouvoir se rendre à Yaoundé. Toutes choses qui n’entament pas la détermination de l’épouse de l’ancien ministre camerounais de l’Administration territoriale.

Jeannette Marafa se dit optimiste et confiante vis-à-vis de la Justice camerounaise «menée par des magistrats compétents», qui ont déjà eu à corriger des erreurs, comme dans le cas du colonel Edouard Etondé Ekoto, acquitté par la Cour suprême de Yaoundé fin avril, après avoir été condamné en instance à (20) vingt ans de prison pour détournement de fonds. En attendant la convocation de son mari devant la même haute juridiction, elle ne ménage pas ses efforts. Elle a ainsi obtenu l’entrée dans le dossier de M. Marafa, de Me Jean-Pierre Mignard, un ténor du barreau de Paris, avocat et confident du président François Hollande. Parallèlement la campagne de mobilisation touts azimuts de Jeannette Marafa en faveur de la libération de son époux ne connaît aucun répit, comme il y a (30) trente ans lorsqu’elle remuait ciel et terre pour lui éviter le peloton d’exécution des putschistes désignés du 06 avril 1984 au Cameroun.


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« Notre définition du prisonnier politique camerounais »

Par René Dassié et Joël Didier Engo

Bonjour à toutes et à tous,

Merci d’avoir laissé de côté vos obligations habituelles, pour venir à cette conférence de lancement du Comité de libération des prisonniers politiques du Cameroun. Certains se demandent sans doute, pourquoi se préoccuper autant à Paris, de choses qui se passent à 6000 kilomètres de nous, dans un État indépendant, et dont nous n’avons souvent que de lointains échos. Nous avons abordé cette interrogation légitime dans l’article de présentation du comité dont plusieurs médias nous ont fait l’honneur de relayer.

Permettez-nous d’ajouter à l’argumentaire succinctement développé dans ce texte, cette maxime hautement édifiante, tirée de la Lettre de Martin Luther King: «Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier.» Permettez-nous aussi d’entrer dans le vif du sujet par cette autre pensée de Montesquieu, il n’y aura pas beaucoup de citations, rassurez-vous. Montesquieu disait donc dans son ouvrage intitulé Considérations sur les causes de la grandeur des Romains qu’«il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice.»

C’est une constance, un des traits caractéristiques de la dictature, c’est l’usage de l’appareil judiciaire comme le bras armé d’une politique répressive.
Là où la corruption et la brutalité des forces de sécurités échouent à étouffer les voix dissonantes, les juges aux ordres du prince embastillent sans état d’âme ceux que celui-ci désignerait comme ses adversaires réels ou supposés. Le Cameroun qui en dépit des apparences, les centaines de partis politiques enregistrés, les élections courues d’avance n’est pas une démocratie, n’échappe pas à cette pratique. Depuis l’indépendance de ce pays le 1er janvier 1960 , ses deux présidents successifs, du haut de leur trône de chef suprême de la magistrature n’ont eu de cesse d’instrumentaliser l’appareil judiciaire, pour régler leurs comptes politiques.

On ne reviendra pas sur les procès expéditifs, de type stalinien qui ont émaillé la période Ahidjo le premier Président du pays, avec leur cortège d’exécutions publiques et de longue incarcération dans des prisons mouroirs. Ce n’est pas le sujet du jour. La grande nouveauté du régime de Paul Biya au pouvoir depuis 32 ans, et qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est que la grande majorité des prisonniers politiques sont d’anciens collaborateurs du président qui pendant longtemps l’ont aidé à asseoir et à renforcer son pouvoir.

Et l’on se demande légitimement pourquoi il enverrait en prison des personnes qui lui ont été aussi proche. Trois facteurs sont à considérer ici:

1- La paranoïa qui semble s’être emparée du chef de l’État camerounais depuis le coup d’État militaire qui a failli mettre fin précocement à sa présidente le 6 avri l 1984 , c’est-à-dire moins de (02) deux ans après sa prise de fonction. Cet épisode violent a eu entre autres effets, la mise en place au sein de l’appareil étatique d’un système de clientélisme et de délation, puis de clanisme exacerbé, qui confine à l’immobilisme. Un ancien ministre cité par le quotidien Camerounais Le Messager explique les effets pervers de cette stratégie : «Le président sait que des ministres vont lui servir les têtes de leurs collègues sur des plateaux en or, les accusant d’histoires vraies ou fausses. C’est comme cela qu’il réussit à être renseigné sur les uns et les autres». Il ajoute: «cette technique lui a permis de recevoir des rapports fondés ou pas sur certains de ses collaborateurs de qui des collèges ont dit des choses abominables dans l’intention de se maintenir à leur fonction. On a ainsi dit que de certains qu’ils sont tellement fortunés qu’ils peuvent financer une milice, d’autres qu’ils ambitionnent de prendre le pouvoir, d’autres encore qu’ils tissent des réseaux pour déstabiliser le pays avec le soutien déjà négocié des États européens».

2- L’absence d’alternance politique: en dépit du retour contraint au multipartisme dans les années 90 à la suite du discours de La Baule, le pouvoir suprême est détenu par la même personne depuis plus de trois décennies. Paul Biya a verrouillé le système électoral qu’il contrôle absolument. Paupérisée, l’opposition s’est complètement décrédibilisée en étalant ses divisions et en s’exposant à la manipulation et à la corruption du pouvoir.

Résultat: la grande crainte du prince va venir de son propre camp. Le Président redoute ces grands commis de l’État qui l’ont longtemps servi et qui pourraient légitimement aspirer à prendre sa place. On voit d’ailleurs que la vague des arrestations va s’accélérer après 2011. C’est l’année au cours de laquelle le Président va faire modifier la constitution pour faire sauter une disposition issue d’une précédente modification qui l’empêchait de se représenter au terme de deux nouveaux mandats. Quelques années avant cette modification qualifiée par certains de «coup d’État constitutionnel», des rumeurs avaient couru faisant état de la mise en place par certaines personnalités d’un groupe informel baptisé G11 pour génération 2011, dédié à la préparation de la succession de Paul Biya qui aurait dû quitter le pouvoir cette année-là, s’il avait respecté la loi.

Certaines personnalités arrêtées et condamnées pour détournement de deniers publics soutiennent aujourd’hui qu’elles doivent leur malheur au fait d’avoir vu leurs noms cités dans les rumeurs véhiculées sur ce groupe dont l’existence réelle n’a jamais été prouvée. Quoi qu’il en soit, on ne doit pas aller en prison simplement parce que quelques délateurs nous ont prêté des intentions présidentielles, comme c’est le cas pour les anciens ministres Marafa Hamidou Yaya, Urbain Olanguena Awono, Abah Abah Polycarpe et bien d’autres. Ceci est inadmissible .Ce n’est pas un crime que d’avoir servi son pays. C’est encore moins un crime que de vouloir le servir au plus haut niveau si on souhaite se soumettre au suffrage populaire.

On ne doit pas être condamné à des peines infâmantes parce qu’on est soupçonné d’avoir défendu les intérêts des travailleurs surexploités d’une bananeraie à capitaux français, ce qui pourrait gêner le prince qui croit tirer la légitimité de son pouvoir de l’ancienne puissance coloniale, comme c’est le cas de l’ancien maire Paul Eric Kinguè. Ceci est inadmissible. On ne doit pas rester indéfiniment en prison même après avoir entièrement purgé sa peine parce qu’on a un jour été soupçonné de vouloir faire ombrage au prince en créant une association pour défendre et perpétuer la mémoire d’un résistant à la colonisation comme c’est le cas de l’ancien ministre Pierre Désiré Engo. Ceci est inadmissible.

3- En troisième lieu, on vit une ambiance de fin de règne au Cameroun. Paul Biya est officiellement âgé de 81 ans et s’il s’est jusqu’ici débrouillé pour s’éterniser au pouvoir, on sait que la nature finit toujours par reprendre ses droits. C’est le destin inchangeable de tout être vivant, de connaître un jour la disparition. Dans l’entourage du Président, la question de sa succession va donc continuer à être posée, en dépit des dangers auxquels exposent ce type d’interrogation, eu égard à la nature non démocratique du pouvoir. Cela renforce bien sûr la pratique de la délation dont nous avons déjà fait état. L’ambition étant cette fois-ci d’éliminer le maximum de compétiteurs potentiels à la succession du chef, qui appartiendrait à un clan adverse.

Toutes ces affaires essentiellement politiques ont été rendues possibles par la faillite du système judiciaire camerounais. Dans une démocratie, la justice est une grande institution qui joue à la fois le rôle de contre-pouvoir et de régulation sociale. Instrumentalisée, la justice camerounaise a failli à cette mission essentielle. Elle est devenue un instrument de répression politique. Les règles de la procédure pénale universellement reconnues et incluses dans la loi camerounaise ont été régulièrement bafouées et sans états d’âme. On voit ainsi revenir dans de nombreux cas :

– La pratique de la disjonction de procédure par les juges d’instruction. Cela leur permet de saucissonner un dossier pour le renvoyer par petits bouts devant le tribunal. Résultat, le justiciable se trouve confronté à une multitude de procès programmés de manière à le maintenir indéfiniment en détention.
– La détention qui devient la règle et non ce qu’elle doit être, une exception, et se double d’un refus systématique de mise en liberté provisoire.
– Les délais de détention préventive et de jugement excessivement longs, la multiplication des renvois qui font durer les procès sur plusieurs années.
– Une théâtralisation à outrance des arrestations avec le déploiement de dizaines de policiers et devant les caméras de la télévision dans le seul but d’humilier les suspects.
– Une précipitation sans commune mesure avec une justice sereine. On a ainsi vu le ministre des Enseignements secondaires, Louis Bapes Bapes, toujours en fonction être arrêté le 31 mars à son bureau puis relâché le lendemain et reprendre son travail, sans aucune explication. On rappelle ici que Mme Catherine Abena qui était secrétaire d’Etat aux Enseignements secondaires dans le même ministère a connu la même trajectoire, sauf qu’elle n’y a pas survécu. Relaxée après une année de détention, elle est décédée, affaiblie et rendue malade par la longue grève de la faim qu’elle avait observée durant sa détention.
– L’institution d’une véritable présomption de culpabilité directement inspirée par le pouvoir exécutif. On a ainsi pu entendre le ministre camerounais de la justice, Amadou Ali dire dans la presse : «Je mets quiconque au défi de prouver que ceux qui sont arrêtés étaient innocents … Ceux qui disent qu’ils sont innocents ont bien caché ce qu’ils ont volé. » et son collègue de la Communication, Issa Tchiroma Bakary déclamer à son tour, lors d’une conférence de presse radio télévisée du 02 février 2010 : « Qu’est-ce qu’on reproche aujourd’hui à tous ceux qui sont en prison ? On leur reproche d’avoir massivement détourné les deniers publics. Qu’est-ce qu’ils veulent faire avec tout cet argent ? Peut-être aspirent-ils à gouverner. Dans un premier temps, je vous fais remarquer une chose : pour tous les militants du RDPC qui se trouveraient aujourd’hui en prison, ils savent que les statuts du RDPC stipulent que le candidat du parti à l’élection présidentielle reste le Président national. Donc tous ceux-là qui ont détourné dans la perspective de la compétition présidentielle savent qu’ils ne peuvent pas le faire au sein du RDPC ». Ces propos ne laissent pas de place au doute : les affaires sont bien politiques.

Ces considérations d’ordre général posées, nous en venons à notre définition du prisonnier politique camerounais d’aujourd’hui.
Nous considérons comme prisonnier politique, toute personne qui serait en prison pour des motifs autres que ceux du droit commun (communément avancés) qui pourraient avoir servi de façade légale au déclenchement de son affaire.
Pour cela, nous avons retenus quelques critères:
1- La personne soutenue a été reconnue par les organisations internationales de défense des droits de l’homme comme étant un prisonnier d’opinion
2- La personne défendue est maintenue en prison au-delà de la peine qui a été prononcée contre elle par la justice.
3- Le justiciable fait face à une multiplication de procédures, dans une sorte de procès à tiroirs dont le seul but est de le maintenir en détention sans motif valable. 4- La détention dans une prison spéciale, autre que celle de droit commun ;
5- À ces catégories, nous ajoutons toute personne non liée à la politique mais qui a été emprisonnée non pas pour ce qu’elle a fait, mais pour ce qu’elle est. Il s’agit ici en l’occurrence des homosexuels habituellement jetés en pâture aux masses affamées pour les empêcher de demander des comptes sur la mauvaise gestion du pays.

Le logo officiel du CL2P

Ces critères établis, nous avons entamé la confection d’une liste, dans laquelle on peut déjà trouver les personnes ci-après, mentionnées sur le site internet du comité:

1- Pierre Désiré Engo, 73 ans Ancien ministre de l’Economie et du Plan (sous Ahmadou Ahidjo et Paul BIYA), puis ancien Directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale du Cameroun. Emprisonné depuis 14 ans officiellement pour détournement de fonds, il a été reconnu prisonnier d’opinion par l’ONU en 2009. Il aurait dû être libéré en même temps que le français Michel Thierry Atangana. Car le décret de remise de peine signé par Paul Biya en février stipulait que toute personne condamnée pour détournement de deniers publics et ayant passé dix ans en prison serait libérée. Non seulement Monsieur Engo n’a pas été libéré, mais en plus s’est-il vu collé un nouveau procès sur la base de faits jugés fantaisistes par ses premiers juges il y a quinze (15) ans.

2- Marafa Hamidou Yaya ancien Secrétaire Genéral à Présidence de la République, puis Ministre d’État de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Arrêté mi-avril 2012, il a été condamné à 25 ans de prison ferme, officiellement pour « complicité intellectuelle » de détournement de fonds publics en lien avec l’achat d’un avion pour le Président du Cameroun. Il est considéré par le département d’État américain comme un prisonnier d’opinion.

[ 3- Paul Eric Kingue,] ancien maire de Njombé Penja, Littoral. Arrêté le 29 février 2008 à la suite des émeutes de la faim. Condamné à six ans de prison ferme, puis à vie sans même avoir été convoqué au tribunal alors qu’il se trouvait en prison. Il a été accusé de pillage en bande organisée en lien avec les émeutes de la faim de 2008 et de détournement. Mais son sait qu’il doit son malheur au fait d’avoir réclamé aux entreprises françaises qui exploitent des bananeraies dans sa commune de payer leurs arriérés de taxes. Il a été reconnu prisonnier d’opinion par l’Amnesty international dans son rapport 2013.

4- Dieudonné ENOH-MEYOMESSE historien et homme politique, arrêté en novembre 2011 il a été déclaré coupable de vol à main armée et condamné à sept (07) ans de prison à l’issue d’un procès inéquitable qui s’est déroulé devant le tribunal militaire de Yaoundé, selon le rapport 2013 d’Amnesty International qui lui reconnaît le statut de prisonnier politique.

5- Urbain Olanguena Awono ancien ministre de la santé, condamné à 20 ans de prison pour détournement de fonds de lutte contre le sida. Voici ce qu’ont écrit les bailleurs de fonds sur son cas: « Le Fonds Mondial est préoccupé par les arrestations depuis la fin du mois de mars 2008 de l’ancien Ministre de la Santé Publique de la République du Cameroun, Monsieur Urbain OLANGUENA AWONO, ainsi que des docteurs Maurice FEZEU, Raphaël OKALLA et Hubert WANG, respectivement Secrétaires Permanents du Comité National de lutte contre le Sida, du Programme de lutte contre le Paludisme et du Programme de lutte contre la Tuberculose. Le Fonds Mondial a constamment suivi le développement de ces affaires à travers à la fois sa représentation locale au Cameroun et les autorités camerounaises. A notre avis, l’axe des enquêtes menées par les autorités camerounaises n’engage pas le Fonds Mondial. En tout point de vue, tous les rapports financiers et la revue des programmes financés par notre institution montrent à suffisance qu’ils ont été gérés de façon satisfaisante à cette date. Le Fonds Mondial n’a aucune preuve montrant une mauvaise utilisation des crédits alloués au Cameroun. ». Texte signé du Prof. Michel KAZATCHKINE, à l’époque Directeur Exécutif du Fonds Mondial contre le sida

La liste est évidemment non limitative
[bLa mission de notre mouvement se décline en plusieurs catégories d’actions]
1- Étudier les cas et rassembler tous les éléments prouvant le caractère politique de la détention des concernés
2- Sensibiliser l’opinion publique internationale à travers des campagnes médiatiques et d’autres actions
3- Mobiliser toutes les forces, organisations, et institutions pouvant concourir efficacement à la libération de celles et ceux dont le caractère politique ou arbitraire de la détention aura préalablement été établi.
4- Mener et soutenir toute action auprès des juridictions internationales et des organisations inter-étatiques dans lesquelles siège le Cameroun.

Nous appelons à un sursaut de conscience et de de la part des juges, qui oubliant leur serment ont servi de bras armé à toutes ces condamnations téléguidées par le pouvoir exécutif, parfois par peur, parfois par opportunisme. Le sort du justiciable ne doit pas servir de variable d’ajustement de leur trajectoire professionnelle. Nous lançons un vibrant appel au chef de l’État camerounais Paul BIYA dont la responsabilité se trouve interpellée dans son rôle de garant du respect constitutionnel de l’indépendance de la justice. Nous prions le président François Hollande de ne pas rester silencieux sur cette situation qui à terme pourrait sérieusement menacer la paix sociale au Cameroun, et souhaitons qu’il fasse usage de ses liens privilégiés avec son homologue camerounais pour une résolution rapide de ces affaires. Nous invitons la communauté internationale et toutes les bonnes volontés à se mobiliser pour mettre fin aux emprisonnements politiques au Cameroun.

Nous vous remercions.


AFP)/n

« Pourquoi créer un Comité de libération des prisonniers politiques camerounais en France? »

Par René Dassié et Joël Didier Engo

En lançant ce mouvement, nous sommes uniquement mus par notre devoir de gratitude envers le Cameroun qui nous a vu naître ou grandir. Dans son Traité sur la dette de reconnaissance, le sage japonais du 13e siècle, Nichiren conseillait à quiconque de ne jamais oublier la dette de reconnaissance qu’il doit à ses parents, à ses maîtres, et à son pays.

Notre démarche est donc avant tout citoyenne. Nous qui vivons hors du Cameroun, souhaitons apporter notre contribution, si modeste soit-elle, à l’édification d’une société juste.

Protégés par les démocraties qui nous ont accueillis, nous ne pouvons donc rester silencieux face à la dérive de l’institution judiciaire camerounaise, qui prive de nombreux citoyens de leur liberté et les maintient longuement en détention, pour des motifs autres que ceux du droit commun généralement avancés, en piétinant allègrement les règles les plus élémentaires de la procédure pénale.

La libération récente de Michel Thierry Atangana et de l’ancien ministre Titus Edzoa après plus de dix-sept (17) ans de détention et deux condamnations pour les mêmes faits, est en effet venue jeter une lumière froide sur l’existence au Cameroun de nombreux prisonniers, qui doivent leur séjour en prison, non pas pour les faits qui leur sont officiellement reprochés, mais seulement parce que un jour ou l’autre, ils ont été soupçonnés de velléités politiques, ou de faire ombrage au prince par leur popularité réelle ou supposée, ou leur activisme débordant.

Le cas le plus illustratif de cette situation est celui de Pierre Désiré Engo, ancien ministre de l’économie et ancien Directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale. Après avoir passé 14 ans en prison, Pierre Désiré Engo remplissait toutes les conditions requises pour bénéficier de la remise de peine décrétée par Paul Biya le 18 février dernier, sachant par ailleurs qu’il avait déjà été reconnu prisonnier d’opinion par l’ONU dès 2009. Un Avis de la Commission des Droits de l’Homme avait alors demandé à l’État camerounais de le libérer sous 180 jours.

Lorsqu’on examine attentivement l’affaire Pierre Désiré Engo, on se rend compte qu’il doit son malheur- les procès à tiroirs qu’il affronte depuis 14 ans et qui se sont soldés par trois condamnations sur des bases hautement discutables – à la fondation qu’il avait créée, pour perpétuer la mémoire de Martin Paul Samba, un héros de la résistance à la colonisation allemande.

Un autre cas est celui de Marafa Hamidou Yaya, ancien ministre de l’Administration territorial et ancien Secrétaire général de la présidence camerounaise. Arrêté mi-avril 2012, il a été condamné à 25 ans de prison ferme, officiellement pour « complicité intellectuelle » de détournement de fonds publics en lien avec l’achat d’un avion pour le Président du Cameroun. «Pour cela, le juge s’est fondé uniquement sur ma relation amicale avec un des coaccusés au moment des faits», avait alors commenté le condamné. On sait aujourd’hui après confirmation de l’avocat du Cameroun dans ledit contentieux, Me Akeré Muna, que les autorités Camerounaises avaient entièrement recouvré les millions de dollars qui étaient censés avoir été détournés dans le cadre de l’achat de l’avion présidentiel, en plus d’un aéronef neuf, bien avant le début du procès kafkaïen qui a abouti à la condamnation de M. Marafa.

Les malheurs de Marafa semblent avoir commencé avec la publication de plusieurs milliers de documents confidentiels de la diplomatie américaine suite à une fuite relayée par l’association Wikileaks en novembre 2010. Un câble confidentiel de l’ambassade des États-Unis à Yaoundé dévoilé par Wikileaks le présentait en effet comme le potentiel successeur de Paul Biya. Des révélations qui ne pouvaient faire plaisir aux autres candidats généralement présentés comme des «fils adoptifs» du Président qui semblent être déjà dans une sourde mais fratricide bataille de succession, à fort repli tribal et villageois.

Messieurs Pierre Désiré Engo et Marafa Hamidou Yaya sont loin d’être les seuls prisonniers manifestement politiques au Cameroun, ni les seules victimes de l’arbitraire judiciaire et carcéral dans ce pays. Il y en a tant d’autres encore qui, pour des motifs d’incarcération les plus variés, les plus fallacieux, méritent aussi que nous leur accordions toute notre considération.

Aussi le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P) se chargera sans relâche: d’étudier les dossiers au cas par cas, de sensibiliser les opinions publiques (nationales et internationales), puis de mobiliser toutes les forces, organisations, et institutions internationales pouvant concourir efficacement à la libération de celles et ceux dont le caractère politique ou arbitraire de la détention aura préalablement été établi.

Pour le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P) du Cameroun
René DASSIÉ, Le Président, Journaliste
Joël Didier ENGO, Le Porte-Parole, Président de l’Association Nous Pas Bouger

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