Coopération : la France accorde des bourses à 25 chercheurs camerounais

L’annonce a été faite le 11 avril 2023, à l’occasion de la célébration du premier anniversaire du Conseil du Nouveau Sommet Afrique France (C-NSAF), à l’Institut français de Yaoundé.

Environ 25 bourses d’études seront accordées aux jeunes camerounais pour poursuivre les recherches en France. Cette offre s’inscrit dans le cadre du Nouveau Sommet Afrique-France, explique, Paul Joël Kamtchang, secrétaire technique du Conseil-NSAF. Il fait savoir qu’une délégation camerounaise était en France la semaine dernière pour signer un nombre d’accords dans le cadre de la recherche et de la mobilité. « Tout cela fait partie du package de propositions que le conseil a bien voulu soumettre à l’intention du président Macron quand il était au Cameroun

Le C-SNAF a été mis en place en marge de la visite du président français Emmanuel Macron au Cameroun. Avec pour mission de suivre les Recommandations du Nouveau Sommet Afrique France qui réunit des acteurs camerounais et français de la société civile. Il s’agit d’une plateforme d’échanges, de plaidoyers, de formations et de synergies. Le conseil fait cette communication bilan à l’occasion de l’an 1 de sa création.

Ses projets pilotes  sont : « Les Conversations Kurukan Fuga » et « Actions Citoyennes ». Le premier vise à construire la conscience citoyenne des jeunes et des Camerounais en général. Construire en chaque jeune camerounais la conscience d’appartenir à une communauté nationale et le devoir de participer à la vie publique et politique.

Et le second, amplifier le rôle de la société civile pour favoriser la participation citoyenne, maintenir le dialogue sur l’importance de rapprocher les sociétés civiles et politiques dans la promotion de la démocratie et identifier les principaux points d’entrée et créneaux de collaboration entre les sociétés civiles et politiques.

Des voix dissonantes

Le chargé des relations publiques du C-NSAF, Ateki Seta Caxton assure que beaucoup a déjà été fait dans le cadre du suivi et de la mise en œuvre des résolutions. Toutefois, il admet qu’il existe encore des voix dissonantes dans le cadre de la coopération entre le Cameroun et la France. Notamment la conception négative de la politique de la France en Afrique par les jeunes camerounais. Également la désignation de Blick Bassy, un musicien, pour piloter la ‘’Commission mémoire’’.  « C’est pourquoi le conseil essaye de faire comprendre que le nouveau narratif doit se construire avec tout le monde, société civile, administration, et la partie française. » Il invite la jeunesse à voir la situation de manière positive parce qu’il yaura toujours des incompatibilités.

« Le conseil œuvre pour que quelque chose de positif émerge de cette relation entre les deux pays. Au niveau commercial, économique et des études universitaires », déclare Ateki Seta Caxton. 

Afrique-France : chronique d’un sommet, par Achille Mbembe

Chargé par Emmanuel Macron de mener une série de dialogues à travers le continent et d’élaborer des propositions en vue du sommet Afrique-France de Montpellier du 8 octobre, l’historien camerounais analyse le chemin parcouru. Et règle quelques comptes au passage.

 

Le Nouveau sommet Afrique-France a finalement eu lieu. Beaucoup d’entre nous y avons pris part. Plusieurs milliers d’autres ont été impliqués, à un moment ou à un autre, dans le processus qui y a mené. Dans l’histoire des relations entre l’Afrique et la France, aucun autre sommet n’aura privilégié une démarche aussi participative et sollicité un nombre aussi remarquable de voix et de regards. Aucun, sans doute, n’aura suscité autant d’engouement ou de passions, aussi bien en Afrique que dans le reste du monde. La raison en est simple. Quelque chose est bel et bien en train de bouger. Une bonne partie de l’histoire des relations entre l’Afrique, la France et le monde reste à écrire et aveugles sont ceux et celles qui, rivés à leurs préjugés, ne s’en aperçoivent point.

Obsession malsaine

Les griefs portés contre la France et ses actions en Afrique sont connus depuis fort longtemps. Il n’y a, sur ce plan, aucun mystère. Très peu de connaissances neuves ayant été engrangées au cours des dernières décennies, le militantisme anti-français aussi bien continental qu’hexagonal repose sur un stock de savoirs périmés, alors même que la réalité sur le terrain n’a eu cesse de se métamorphoser. À titre d’exemple, les plus grands partenaires commerciaux de la France en Afrique subsaharienne ne sont pas des États francophones, mais l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigeria. Alors qu’en Afrique francophone la France continue de faire l’objet d’une obsession parfois malsaine, l’intérêt pour l’Afrique dans les grands milieux français ne cesse de diminuer, lorsqu’il ne se mue pas en une indifférence pure et simple.

La pauvreté du débat intellectuel sur les relations entre la France et l’Afrique n’est pas seulement criante  dans les milieux militants. Elle caractérise aussi les contributions de nombre de commentateurs, voire de maints universitaires plus à l’aise lorsqu’il s’agit de répéter de recycler de vieux schémas de pensée que lorsqu’il faut entreprendre des enquêtes rigoureuses et documentées. D’où des affirmations péremptoires mais surannées, et le recours à l’imprécation et à l’anathème là où l’on aurait plutôt besoin d’analyses pointues.

J’avais mis en place un comité composé de figures internationales indépendantes, dont la réputation ne souffrait d’aucune contestation. Ensemble, nous voulions que les débats débouchent surtout sur des propositions. Dans l’atonie générale et le cynisme ambiant, c’est en effet ce qui manque le plus. Les réflexions collectives menées au cours de ces débats ont servi de point de départ au rapport que j’ai rédigé et qui a été formellement remis au président Emmanuel Macron à l’Elysée. Mais cette réflexion collective a aussi été à la base de treize propositions dont certaines feront bientôt l’objet d’une mies en œuvre.

Brisés par le poids de l’histoire

À Montpellier, Emmanuel Macron a pu débattre de tous les sujets qui fâchent avec onze jeunes « pépites » que l’on avait  sélectionnées. Pour la toute première fois dans l’histoire des relations entre l’Afrique et la France, des questions telles que le Franc CFA, les bases militaires, les interventions armées, les effets nocifs du colonialisme ont été abordées publiquement, dans une enceinte officielle, du point de vue de nombreux Africains et pas derrière des barricades ou d’autres tiers-lieux. Si, lors de cette joute, une place de choix semble avoir été accordée au passé, il ne s’agissait cependant pas d’une catharsis. L’abcès devait être crevé afin que l’on puisse passer à autre chose, et de nouvelles perspectives  avaient été tracées lors des panels de la matinée. Pour ce qui me concerne, cette voix libre, cette parole sans compromission et empreinte de dignité des jeunes générations vaut son pesant d’or.

Au cours des huit derniers mois, j’ai consacré l’essentiel de mon temps à écouter toutes sortes d’histoires. Je n’ai jamais autant écouté de ma vie. J’ai pris connaissance de toutes sortes de documents et ai rencontré toutes sortes de gens. Certains ne croient en rien, pas même en eux-mêmes. D’autres n’ont aucune conscience concrète du monde. D’autres encore vivent sur un stock de réponses toutes faites à des questions d’un autre âge, qui ne se posent plus.

Parfois, j’ai éprouvé de la nausée. J’ai pu constater à quel point les lésions coloniales peuvent se transmettre de génération en génération. Pour de nombreux Africains brisés par le poids de l’histoire, la France est en effet devenue l’équivalent d’un membre  fantôme. Parfois, bruyamment, ils prétendent vouloir s’en débarrasser, souvent à coup de jurons. Mais, moignons vivants au souvenir de la mutilation, ont-ils seulement mesuré la profondeur de l’attachement qu’ils ont pour leur leur prétendu bourreau ? L’oppression ne s’est pas seulement jouée sur la scène matérielle. Longtemps après la colonie, elle continue de ronger l’imaginaire.

Légataire d’Emmanuel Macron

À cet égard, que n’ai-je pas vu, lu ou entendu ? Un tel ou un tel passe toute la journée à dénoncer l’impérialisme français et ses « laquais » sur les réseaux sociaux. La nuit tombée, à la manière des Pharisiens de l’Évangile, le même vient me demander en catimini si je ne peux pas lui obtenir un carton d’invitation pour Montpellier. Combien de fois n’ai-je été pris pour un légataire d’Emmanuel Macron ? Je ne compte plus le nombre de lettres reçues de plus d’un « panafricaniste » m’implorant d’intercéder auprès de lui pour telle ou telle faveur, en général une carte de séjour dans l’Hexagone.

D’autres requêtes, plus sérieuses, me sont parvenues. Là où cela était possible, je les ai transmises à qui de droit. La plupart étaient typiques de la misère des temps que nous vivons.  Certaines autres portaient sur la violation des droits humains dans des pays spécifiques. Des interactions avec des Africains ont démontré deux ou trois choses. D’abord,  nombreux, en effet, sont ceux qui qui n’ont jamais cru en eux-mêmes. Ils ont délégué leur vie à d’autres, et ils s’attendent à ce que ces derniers agissent à leur place. D’autres vivent dans la peur de se prendre en charge ou d’être manipulés. Ou encore sont en quête de boucs émissaires. Pour d’autres aussi, l’histoire elle-même n’est qu’un interminable procès en sorcellerie. Ceux-là voient en la France l’ennemi principal du continent. Quitte à tomber entre les mains d’autres prédateurs plus ou moins crapuleux, ils veulent  la chasser de l’Afrique. Ils estiment qu’elle est la principale responsable de leurs malheurs et de leurs échecs. Ils forment la phalange avancée du nouveau lumpen-radicalisme africain.

D’autres, et parfois les mêmes, sont déçus par elle et n’en attendent plus rien. Ils lui ont effectivement tourné le dos. Ils regardent ailleurs, du côté des Russes, des Chinois, des Turcs, peu importe, pourvu que ce ne soit pas la France. Certains encore sont sceptiques. Ils exigent des preuves, font de la résistance passive et, souvent, les bras croisés, ils attendent que d’autres fassent le « sale boulot » à leur place. Quelques autres, enfin, qui profitent du statu quo, ne voient pas pourquoi les choses devraient changer.

À la conquête du monde

Mais j’ai aussi fait la rencontre d’individus brillants, animés par le désir de changer le cours des choses, et prêts à mettre leur intelligence au service d’une cause heureuse. On les trouve à peu près partout. Ils agissent dans les interstices de la société. J’ai rencontré des milliers de professionnels. Ils travaillent dans des multinationales, dans des banques, dans diverses industries, dans les médias et la communication, dans le monde des assurances… Ils sont impliqués dans toutes sortes de luttes nouvelles, qu’il s’agisse de l’environnement, de la biodiversité ou du climat. Présents dans la création générale, le numérique et autres nouvelles technologies, ils sont prêts à aller à la conquête du monde.

La plupart de ceux et celles qui ont participé au cycle de débats que j’ai animé veulent travailler avec la France. Ils veulent le faire dans la clarté, sans compromission, et sur des bases entièrement nouvelles, qu’ils veulent renégocier.  Le Nouveau Sommet était, de ce point de vue, une expérimentation. Ce type de travail à la fois culturel, politique et intellectuel à l’intérieur des institutions est incontournable. Cela n’exclut d’ailleurs pas d’autres formes de mobilisation, peut-être plus bruyantes, plus carrées, en apparence plus intransigeantes. Tout dépend des résultats.

Souverainisme échevelé

Ayant choisi de tester les choses de l’intérieur, je peux aujourd’hui affirmer qu’il est en effet possible de changer de paradigme, à condition de savoir comment s’y prendre. Dans le combat pour que l’Afrique se mette debout et marche sur ses propres jambes, il y a de la place pour tous. Chacun y va avec ses croyances, son tempérament, ses horizons. Le mien, et celui de beaucoup d’entre nous, c’est de bâtir un monde commun à un moment où la planète devient si petite. Pour y arriver, il faut créer un nouveau bloc historique, construire d’autres types de coalitions, mais aussi changer nos grilles de lecture et d’interprétation. Le souverainisme échevelé, je n’y crois pas du tout. Il y a des choses que l’Afrique devra régler toute seule, d’autres qu’elle ne pourra régler qu’en dialoguant avec le monde. Cela vaut d’ailleurs, désormais, pour tous.

Emmanuel Macron cherche à transformer les rapports que la France entretient avec l’Afrique. Il sait que le cycle de la « Francafrique » est arrivé à son terme. À la place, il veut inventer autre chose. Il est en effet temps de passer à autre chose. Ce passage, il faut l’effectuer ensemble, sinon nous ne réussirons pas. S’agissant de l’Afrique et de la France, c’est le pari que la plupart d’entre nous faisons. Rien n’en garantit la réussite. Mais rien ne dit non plus qu’il échouera. D’autres font un pari différent. Ou alors ils préfèrent ne prendre aucun risque. Ils attendent sagement de voir de quel cote tombera le dé.

Achille Mbembe à la tribun du -sommet-Afrique-France

Je crois qu’à Montpellier, nous avons commencé à briser le moule. Mais c’est le veau d’or lui-même qu’il faut détruire, et cela requiert un énorme travail qui s’étalera sur au moins une ou deux générations. Pour l’accomplir, les incantations ne suffiront pas. Plusieurs d’entre nous ont lu et étudié Cheikh Anta Diop, Nkrumah, Fanon, Césaire, Cabral, Sankara et d’autres. Nous n’avons pas besoin de les psalmodier. Nous avons besoin d’une véritable théorie de la liquidation. La liquidation de la Françafrique aujourd’hui ne se fera pas avec les vieux outils intellectuels d’autrefois.

Défis d’avenir

L’un des objectifs du Nouveau sommet était d’obtenir de la France un positionnement clair sur des questions cruciales et sur un certain nombre de défis d’avenir. Nous voulions qu’elle se situe sans ambiguïté du côté de la démocratie. Un Fonds de soutien à l’innovation et à la démocratie va être mis sur pied. La démocratie et l’innovation sont, comme la biodiversité, l’une des conditions de notre durabilité sociale et écologique. La tyrannie aura agi en Afrique à la manière du réchauffement climatique. Elle aura détruit les conditions mêmes d’existence. Nous disposons de sociétés flexibles, culturellement ouvertes, capables de résilience et d’adaptation et portées vers l’innovation. Mais nous souffrons de systèmes clos et immobiles. Et c’est ce déséquilibre qu’il faut corriger. Aujourd’hui, l’écart entre la créativité de nos sociétés et l’enkystement des institutions et modes de gouvernement n’est plus soutenable. C’est à cette inadéquation qu’il faut mettre un terme. Le Fonds sera l’un des outils à cette fin.

Face à la montée des périls identitaires et du racisme dans le monde, nous voulions que la France s’engage, sans équivoque, à reconnaître sa part africaine, la part du génie africain dans la formation de l’idée française. Une Maison de l’Afrique et des diasporas sera construite, non pas en banlieue, mais en plein cœur de la capitale. Nous voulions que certaines pratiques héritées du passé cessent. Emmanuel Macron a reconnu publiquement que l’armée française n’a pas vocation à rester en Afrique. Ceux des États qui le souhaitent peuvent par conséquent ouvrir avec la France des négociations qui permettraient de réimaginer d’autres formes de coopération sur le plan militaire parce que nous en avons besoin.

Cela pourrait déboucher, par exemple, sur le soutien aux mécanismes régionaux et africains de sécurité collective ou sur l’accroissement du soutien aux capacités opérationnelles de forces africaines éventuelles. La même chose peut être envisagée du point de vue de la politique de coopération monétaire. Le Franc CFA n’a en effet plus d’avenir en Afrique. Il s’agit d’une monnaie qui porte désormais le masque du mort. Le moment est propice pour une floraison d’idées et de propositions. Mais comme on le sait, la critique vaine est parfois plus facile que la capacité à articuler des propositions.

Pendant très longtemps, la France a soutenu des régimes dictatoriaux chez nous. Ils ont fini par détruire les moyens d’existence de millions de personnes. Elle doit maintenant apporter sa modeste contribution à la déconstruction de la tyrannie sur notre continent. C’est l’une des conditions pour renouer avec elle un dialogue fructueux et changer la nature de nos relations communes. Cela dit, nul n’a installera la démocratie en Afrique à la place des Africains. Mais il est de la responsabilité morale de l’ensemble de l’humanité de veiller à ce que les droits de tous les vivants sur cette planète soient garantis. Et la France, et nos pays doivent payer leur part de cette dette mutuelle à notre existence collective, humains et non-humains.

Achille Mbembe

Dieudonné Essomba – Sommet Afrique-France : de la critique compulsive là où on attend des projets !

 » S’il y a quelque chose qui caractérise l’intellectuel africain en général et camerounais en particulier, c’est la tendance à monter sur ses grands chevaux et à critiquer violemment les initiatives des autres, sans pour autant promouvoir des alternatives viables.

Les relations entre la France et les pays africains illustrent cette situation à merveille ! Tout ce qui est entrepris dans ces relations est perçu de manière négative et critiqué avec emphase et excès. Les relations néocoloniales, la soumission des dirigeants, le mépris de la France, tout y passe !

Si le Président français rencontre les Présidents africains, cela est perçu comme un signe de mépris extrême ! Maintenant, s’il se ravise et engage plutôt des discussions avec la Société civile, c’est toujours la même frénésie dans la dénonciation !

Si jamais, cette France arrêtait ces rencontres, les mêmes Africains hurleraient encore plus fort, à l’abandon honteux de la France, après avoir dérobé les ressources de l’Afrique !

Pourtant, dans ce flot de critiques, personne ne peut vous présenter un projet alternatif fiable de coopération entre la France et nos pays. Face à la France, qu’est-ce qu’on fait ? Le tout n’est pas de passer son temps à aboyer ! Il faut proposer une démarche nouvelle plus satisfaisante !

Le problème ici n’est pas dans la pertinence de ces sommets. En tout état de cause, ils sont organisés par la France, avec les fonds de la France et dans l’intérêt de la France. Et personne ne fera aucun reproche à la France d’agir pour ses intérêts.

La question fondamentale est que face à cela, qu’est-ce que nous faisons ? C’est bien beau d’aboyer sur la France, de traiter Achille MBEMBE de traitre, de pourfendre nos dirigeants incompétents. Mais la question reste : qu’est-ce qu’on fait ?

Dans ma carrière d’Economiste et de fonctionnaire, j’ai appris une chose : tout ce qu’on fait est critiquable. Mais une critique n’a de sens que si elle s’accompagne d’un projet alternatif plus efficace.

Si vous n’avez pas d’alternative, votre critique ne vaut rien.

Il en est ainsi de la situation particulière du CFA qui est devenue la bête noire de tous les anticolonialistes. Oui, personne ne doute des limites du CFA : c’est une monnaie contraignante qui a tendance à étrangler nos Economies.

Le problème n’est donc pas là ! Le problème ici est qu‘on le remplace par quoi ?

Et c’est là que tout se corse !

Car, tous ces pourfendeurs sont absolument incapables d’élaborer un système monétaire alternatif qui évite les contraintes imposées par le CFA, sans toutefois nous conduire à d’autres dysfonctionnements infiniment plus graves. 

On peut à la limite tolérer des critiques de l’homme de la rue. Mais quand des intellectuels en viennent à un concert de condamnations systématiques de toutes les initiatives, sans le moindre projet alternatif, il y a quelque chose qui ne va pas !

Et c’est justement cela que j’ai toujours dénoncé : la tendance à masquer une profonde impotence intellectuelle derrière des mots creux et des critiques compulsives ! »

Dieudonné ESSOMBA

Cameroun : Gaston Kelman répond à Achille Mbembe

En séjour au Cameroun, le célèbre écrivain s’est confié au Messager notamment sur sa vision de la Françafrique, l’engagement des intellectuels africains sur la question. Mais aussi les rapports de la France avec ses anciennes colonies, dans la perspective du Sommet de Montpellier prévu du 9 au 10 juillet prochain.
Interview De Gaston Kelman parue  le 10 mai 2021 dans le journal le Messager.

Journal le Messager : Comment se passe votre séjour au Cameroun ?

Gaston Kelman : Mon séjour au Cameroun c’est toujours le même bonheur immuable. Les amis, la famille, les rencontres fortuites ou organisées, un peu de rendez- vous médias, le bonheur de débattre avec les jeunes qui sont mon seul vrai centre d’intérêt, beaucoup de bonne bouffe, comme à Paris, un peu de tourisme vert. Je ne m’ennuie jamais. Globalement, les gens m’aiment bien, même quand mes idées les perturbent, parce qu’ils sentent que je suis proche d’eux. 
Vous débarquez au bercail au moment où la pandémie Coronavirus continue de sévir. Comment vivez- vous cette crise sanitaire qui a enrhumé le monde entier ?
Sur la pandémie, je partage les mêmes inquiétudes que tout le monde, les mêmes angoisses, le même malaise des choses que l’on nous cacherait, des non-dits… Mais je suis très fier de la gestion de cette pandémie par l’Afrique et au sommet de tous, le Cameroun. Quelle générosité, quelle ingéniosité, quel courage, quel optimisme ! Il n’y a pas de psychose. Tout le monde s’est mis en branle, les tradipraticiens, les traitements bingo, les ngul be mama, les ngul be tara, le clergé, les professionnels de la santé… Cet optimisme et cette positivité payent. Je me suis amusé à dire que pour une fois que l’on n’aide pas l’Afrique, elle s’en tire mieux que tout le monde, pour des rai- sons que j’ignore. Je voudrais rendre un vibrant hommage à un frère qui avait une estime pour moi au-delà de ce que j’imaginais. Il s’agit de Monsieur Samuel Baniñi, un dirigeant légendaire du port de Douala pour qui ma généra- tion avait une grande admiration. Il a été emporté par cette pandémie. Je pense à ses enfants mes neveux, et à son épouse ma cousine.
La chronique littéraire ces derniers jours est marquée par cette espèce de passe d’armes qui vous oppose à votre compatriote et non moins brillant intellectuel, Achille Mbembe quant à la redéfinition de la relation entre la France et l’Afrique dans la perspective du Sommet de Montpellier du 9 au 10 juillet. C’est quoi concrètement le problème ?
Parler de passe d’armes et d’opposition est une approche de journaliste. Monsieur Mbembé a pris des positions qui ont suscité en moi une réflexion.
Vous faites référence à ma tribune parue dans le journal en ligne de Jeune Afrique. J’en profite pour rendre hommage au grand professionnel Béchir Ben Yahmed qui vient de nous quitter. Je crois avoir fait une analyse objective, sans invective, sans accusation. Je ne renie même pas à Monsieur Mbembé le droit d’aller ou il veut, de rencontrer qui il veut, de croire qu’il a raison, de croire qu’il est infaillible, même de se tromper. J’ai juste ressenti la nécessité d’expliquer, comme je l’ai dit, les rai- sons pour lesquelles un intellectuel africain pouvait penser que l’Afrique toute entière avait besoin du tutorat de la France pour tracer son chemin.
On le sait, le développement d’un peuple est comparable à celui d’un corps humain. Il lui faut la maturité nécessaire pour aborder les étapes de la vie. Soixante ans après les indépendances, l’Afrique peut être fière de son parcours, dans le contexte historique qui est le sien. Ce n’est pas le lieu ici, mais je peux dire que toute comparaison avec les nations asiatiques ou sud-américaines est impropre.
Le contexte n’est pas le même.  Nous le savons, le prédateur n’a pas vocation à relever sa proie. J’apporte cet éclairage car c’est le travail de l’intellectuel. Je dis, ne faites pas croi- re à la France qu’elle dirige l’Afrique. Je dis la Françafrique intellectuelle de Monsieur Mbembé n’est pas plus vertueuse que celle de ceux qu’il qualifie de satrapes et qu’il vitupère au-delà de la décence, je pourrais dire. Je dis avec Césaire, « on avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui ; qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin ». Je dis c’est faux. Je dis c’est juste une situation conjoncturelle postcoloniale, que ce n’est pas à l’Africain d’en faire la promotion, mais plutôt d’aider le peuple à en sortir. Je dis que rencontrer Macron c’est penser qu’il a la mainmise sur notre destin. J’aimerais que les historiens et tous ceux qui peuvent le faire, m’éclairent. Dans quel espace réel ou mythologique un ancien dominant a-t-il aidé ses anciens dominés à se relever ? Je pense qu’un enfant de première année de psychologie sait que le fonctionnement du prédateur n’est pas de guider sa proie.
A vous lire, on a l’impression que vous faites le procès de l’intellectuel africain que vous accusez d’avoir cru au messianisme de la France sur le destin de l’Afrique. Qu’est-ce qui peut justifier un tel postulat ?
Le fait est que l’intellectuel dont il est question croit au messianisme de la France sur le destin de l’Afrique. Ce n’est pas une accusation. C’est un constat. La France doit par-ci… La France doit par-là… Je suis un intellectuel, et je pense que mes pires détracteurs ne peuvent pas me le contester. Faire le procès de l’intellectuel, ce serait faire mon propre procès. Je ne fais pas de procès. Mais je suis un homme qui essaie toujours de comprendre les concepts et les comportements. Voici les explications que je propose. Est-ce que depuis De Gaulle et Sekou Touré, la France n’a pas toujours tenu nos politiques par la terreur ? Est- ce que nous ne sommes pas dans une logique de flatterie de l’intellectuel depuis les grands prix littéraires d’Afrique noire jusqu’à le tout neuf apogée de la Françafrique intellectuel- le ? Est-ce qu’il y a pire contempteur des dirigeants africains que l’intellectuel africain qui préfère aller conseiller Macron pour gérer ces « satrapes » ?
Est-ce que je n’ai pas le droit de m’interroger sur le degré d’aliénation de l’intellectuel africain quand il pense que le France doit résoudre les problèmes de l’Afrique ; quand il semble ignorer que s’il y a des satrapes et des aliénés intellectuels « la voix de son maître » c’est parce que l’école est mauvaise et donc la pensée mauvaise et que c’est lui qui devrait en créer de bonnes ? Est-ce que je n’ai pas le droit – que dis-je, le devoir – de m’interroger si l’intellectuel a lu cette recommandation magistrale de Frantz Fanon qui dit que « chaque génération doit dans une relative opacité, trouver sa mission, l’accomplir ou la trahir ». Est-ce que je n’ai pas le droit – que dis-je, le devoir – de me demander si l’intellectuel de ma génération n’est pas en tain de trahir sa mission ?
Le fait pour un éminent intellectuel de la taille de Mbembe d’ « accepter de travailler avec Emmanuel Macron », est-il un sacrilège ?
Je ne suis pas un juge, encore moins un moralisateur. Chacun fait ce qu’il veut. J’ai fait des choix dans ma vie qui n’ont pas plu à tout le monde. Tout le monde les connaît. J’assume, Mbembe assume. Ce que je fais, c’est de proposer une explication que je pense bonne, et dont j’attends que l’on me démontre qu’elle ne l’est pas, pour expliquer ce qui pousse un intellectuel africain à accepter de travailler avec Macron à la création d’une françafrique intellectuelle sur les décombres de la françafrique politique tant vitupérée, tant vilipendée.
Comment percevez-vous la redéfinition des fondamentaux de la relation entre l’Afrique et la France ?
C’est très important que vous repreniez cette terminologie. Voyons donc ce que Monsieur Mbembe en dit dans une interview avec le journal français Le Point. Les fondamentaux, « ce sont les valeurs, finalement. Sans elles, l’Afrique et la France n’ont rien à par- tager, ni rien à faire ensemble au ser- vice de l’avenir. Faire des affaires, comme nous les ferions avec les Chinois, les Turcs, les Russes et d’autres, n’est pas un idéal. Je parle des valeurs, c’est-à-dire des idées, des choses impérissables comme la protection de la vie, le souci de la liberté, la démocratie, les droits humains fonda- mentaux. En l’absence de ces valeurs, il n’y a pas de lien digne de ce nom à réparer ».
Si l’Afrique ignore comme semble le dire implicitement Monsieur Mbembé, les valeurs de la société et doit aller les apprendre chez le Français, je ne sais pas si nous sommes si loin de cette conception qui voudrait que l’Afrique ne soit pas entrée dans l’histoire ! Nous noterons au passage que la France est un énorme partenaire des pays que Monsieur Mbembe cite et n’exige pas d’eux les fondamentaux qu’elle doit enseigner à l’Afrique. Je suis surpris qu’il traite ces pays de cette façon et je voudrais rappeler aux lecteurs que ce n’est ni lui ni la France qui décide du modèle de « valeurs » à adopter par la Chine. Je voudrais rap- peler qu’une étude de Pew, un très grand cabinet américain en la matière, a fait une étude qui démontrait il y a quelques années du temps d’Obama, que 85% des Chinois étaient contents et très contents de leur régime sans valeurs, modèle Monsieur Mbembé, contre seulement – on pourrait dire – 31% d’Américains du leur. Et c’était du temps d’Obama, pas de Trump ! Je voudrais dire que quand on entend les arguments de Monsieur Mbembe, on comprend à quel point il y a accord de pensée entre lui et – j’ai failli dire les maîtres – la France. Si vous n’êtes pas démocratiques, si vous ne faites pas
ceci-cela, je vais me fâcher. Attendre que la France enseigne les valeurs à l’Afrique, j’en suis un peu triste.
J’aime la France et c’est mon pays. J’ai beaucoup, beaucoup fait pour lui. J’ai écrit un livre où je développe l’idée selon laquelle la France n’est pas raciste, même si ses élites sont schizophrènes. Très peu de gens oseront une telle « iconoclastie ». Mais j’ai avancé des arguments. Je suis profondément fanonien. Dans son livre culte Peau noire masques blancs, Fanon dit tout son amour pour la France dont il partage la culture, l’histoire ; qu’il a défendue pendant la guerre. Il avait à peine dix huit ans quand il s’est enfui pour rejoindre la ligne de front en Europe, en passant par les Antilles anglaises parce que la Martinique était pétainiste.
Pourtant quand cette France qu’il est allé libérer s’est acharnée à asservir l’Algérie, c’était insupportable pour le grand homme des libertés. Je ne saurais donc permettre à la France de penser que d’un côté elle, de l’autre l’Afrique. Comme intellectuel, je dois l’éclairer. Je ne saurais l’aider à penser que l’Afrique attend d’elle des leçons sur les valeurs. Entendons-nous bien. Une nation vit avec son espace et aucune autre ne peut venir construire son développement. Même quand elle n’aurait pas de valeurs, la France ne pourrait les lui inoculer. Les nations africaines ne peuvent s’en sortir que d’elles-mêmes. Mais Mbembé l’a écrit sur tous les murs, la France doit financer l’état de droit et la démocratie en Afrique. Ce n’est pas mon point de vue. Je ne cautionnerai pas le mythe de la mission civilisatrice. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
En quoi la nouvelle relation entre la France et l’Afrique, voulue par le président Emmanuel Macron, vous pose problème ?
Ce n’est pas à la France de vouloir une nouvelle relation avec l’Afrique. C’est aux nations africaines et choisir leurs partenaires, selon leurs intérêts. Et puis cette façon de mettre un pays  au niveau d’un continent, c’est très réducteur pour l’Afrique et même méprisant. La deuxième chose, l’intellectuel se doit d’être un homme de perspective. Ce que je veux dire c’est que si dans les faits, l’aliénation de l’Africain le pousse à penser que son maître en pensée en développement est la France, j’ai le devoir impérieux de ne pas m’aligner sur ce constat, mais de proposer une perspective qui ait du sens. Alors cette perspective c’est de dire aux nations africaines, libérez vous de vos chaînes mentales. A force de lui marteler cela, elle le comprendra un jour.
L’engagement des intellectuels africains ne constitue-t-il plutôt pas une plus-value ?
Si, bien sûr ! Chaque génération doit trouver son modèle d’engagement. Mais j’attends l’engagement de l’intellectuel auprès des siens, pas auprès de la France. Doit-on comprendre que les intellectuels africains anglophones, hispanophones ou lusophones n’apporte- raient pas de plus-value parce qu’ils ne vont pas aider à trouver des valeurs pour leurs pays à Leeds, Barcelone ou Porto ! Une chose est que l’homme politique fasse des salamalecs, s’abîme en contorsionnisme diplomatique. C’est son job. L’intellectuel crée de la pensée sans fioritures. Chaque fois que l’intellectuel ou l’universitaire se perd en politique, c’est toujours la catastrophe. L’actualité camerounaise nous présente une illustration assommante.
Pensez-vous comme beaucoup d’autres hommes politiques et chercheurs que la « Françafrique », ne se résume qu’à des « liaisons incestueuses entre notre diplomatie et les dictateurs africains », soi-disant au nom de la préservation de l’influence française en Afrique ?
Aujourd’hui, la françafrique a trouvé un autre champ, celui de l’intellect. Une autre diversion, on parle beaucoup de société civile. Quand j’étais petit, j’ai chassé le rat palmiste, sans grand  succès je l’avoue. Je ne me souviens pas en avoir attrapé un seul. Je m’en tirais mieux avec le fretin. Mais je connaissais la tactique de la chasse au rat palmiste. Il fallait sur une certaine surface, découvrir les débouchés de ses multiples galeries, les boucher et ne lui en laisser qu’une avant d’enfumer son terrier. On va découvrir que le dominant est comme le rat palmiste avec plusieurs galeries.
Quel regard portez-vous sur l’implication de la France dans la gestion des crises au Cameroun ?
Je ne sais pas quelle est l’implication de la France dans la gestion des crises au Cameroun. Je suis un homme de perspectives, comme je vous l’ai dit et je rêve dont du jour où l’on ne me posera plus ce genre de question. En fait ce que j’en pense, c’est la même chose que je pense de l’implication du Cameroun à la résolution de la crise calédonienne par la France. Comme intellectuel, j’ai fait des propositions sur la crise du Noso au gouvernement par le biais de son ambassade en France il y a quelques années et j’ai abondamment donné ma position dans la presse. J’ai coordonné la rédaction d’un livre collectif de soutien contre Boko haram qui a réuni quinze écrivains Camerounais et internationaux.
Je suis viscéralement optimiste pour mon pays et les autres. En soixante ans les nations africaines ont beaucoup fait dans un contexte vicié. Les satrapes ont essayé avec l’épée de Damoclès qui ne les a pas tous ratés. Le jour où l’intellectuel comprendra sa mission, et qu’il viendra conseiller son pays pour jouer le rôle de lumière comme les Français l’ont fait chez eux quand il le fallait… Aussi longtemps que nous irons chez les autres pour trouver des solutions à nos problèmes, nous nous retrouverons à Canossa. Et Canossa n’agrandit pas ses visiteurs.
Entretien avec Jean François CHANNON
  • NB : le titre de l’interview est de nous, Journal du Cameroun.com.

Cameroun – France : des jeunes proposent de nouvelles pistes de coopération

Dans la perspective du sommet Afrique-France qui se tiendra à Montpellier en juillet 2021, 80  jeunes camerounais ont formulé des propositions au cours des rencontres tenues le 17 avril dernier dans les villes de Yaoundé, Douala, Dschang et Ngaoundéré.

Les jeunes ont des attentes vis à vis de la coopération entre le Cameroun et la France. Ils l’ont clairement exprimé  lors d’un Hackathon citoyen organisé le 17 avril 2021 à l’échelle nationale.

A Yaoundé, ils ont exprimé leurs attentes sur la question de la culture et patrimoine. A Douala les échanges ont porté sur la gouvernance territoriale et la participation citoyenne au développement. Tandis qu’à Ngaoundéré le sujet était centré sur l’innovation. Et à Dschang, l’on a parlé environnement et  biodiversité.

Les différentes propositions visent à donner du sang neuf à la coopération historique entre les deux pays. Les attentes recueillies devraient être approfondies dans un premier temps, puis  transmises aux organisateurs du sommet de juillet prochain.

Il faut dire que le Cameroun fait partie des 12 pays choisis par la France pour élaborer  des sujets de discussion du Sommet Afrique-France. La réflexion organisée simultanément à Yaoundé, Douala, Dschang et Ngaoundéré, a été organisée par La KMER TECH, le Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Cameroun et l’Institut français du Cameroun.

Achille Mbembe: «Emmanuel Macron veut redéfinir les fondamentaux de la relation entre l’Afrique et la France»

C’est un partenariat qui va faire du bruit. En juillet prochain, lors du prochain sommet Afrique-France prévu à Montpellier, dans le sud de la France, Emmanuel Macron dialoguera avec Achille Mbembe. Depuis quatre ans, l’essayiste camerounais critique sans ménagement le président français. Mais dès avril, Achille Mbembe va accompagner une série de rencontres préalables au sommet. Et à la séance plénière du 9 juillet, il échangera avec Emmanuel Macron devant un panel de jeunes. Pourquoi un intellectuel farouchement indépendant comme Achille Mbembe accepte-t-il l’invitation du chef de l’État français ?  Le célèbre historien camerounais répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : On connaît votre combat contre le postcolonialisme et pour l’émancipation de l’Afrique. Pourquoi avez-vous accepté de co-piloter la préparation du prochain sommet Afrique-France ?

Achille Mbembe : Je suis tenté de dire que c’est d’abord par curiosité intellectuelle. Le président Emmanuel Macron m’a demandé de jouer un rôle d’accompagnement auprès des nouvelles générations, avec lesquelles il veut tenter de redéfinir ce qu’il appelle « les fondamentaux de la relation entre l’Afrique et la France ». C’est un combat pour lequel nous militons depuis près de soixante ans. La proposition du président Macron est suffisamment ouverte, pour que l’on puisse contribuer à la définition du contenu de cette nouvelle relation. J’ai trouvé que c’était un projet nécessaire, raisonnable, que la mission était une mission de bon sens, que l’Afrique devrait pouvoir y trouver son intérêt, ce qui me semble être le cas.

Après le discours de Ouagadougou de novembre 2017, vous avez écrit : « Quand Emmanuel Macron parle d’une révision en profondeur des rapports franco-africains, il fait, en réalité, une opération de marketing [pour relancer la France sur le marché commercial des pays africains] ».

Oui, à l’époque, beaucoup d’entre nous pensaient, effectivement, que c’était le cas. Il faut quand même être aveugle à ce qui se passe, pour répéter la même antienne aujourd’hui. Il y a des gestes qui ont été accomplis, je pense en particulier à la mission qu’il a confiée à mon ami Felwine Sarr, qui a permis de rouvrir le débat sur les restitutions [des biens culturels africains], qui a permis un déclic des imaginaires. Je pense à l’autre mission, confiée à madame N’Goné Fall, qui a abouti à une grosse opération « Africa 2020 », il y a des pas qui ont été accomplis en ce qui concerne le franc CFA… Et donc il y a un frémissement. Il faut, évidemment, aller plus loin.

Pour recréer du lien humain entre la France et l’Afrique, Emmanuel Macron compte beaucoup sur la diaspora africaine en France, ce qu’il appelle « la part africaine de l’identité française ». Est-ce que vous y croyez, vous aussi ?

Oui, il y a des choses à faire avec les diasporas. Après soixante années de pétrification, le moment est venu, justement, d’accélérer ce processus, pour provoquer les déclics nécessaires, tout en sachant que tout ne va pas changer du jour au lendemain ! Mais il faut être à l’affût de chaque brin d’espérance et petit à petit, je dirais, ouvrir la voie à d’autres imaginaires.

Mais vous n’êtes pas toujours tendre avec Emmanuel Macron. Vous écrivez : « Le choix des diasporas, comme bras civil d’une croisade pro-entreprise, risque d’aviver la course aux rentes et les penchants affairistes ».

Oui, enfin… Vous savez que j’ai critiqué, mais je ne suis pas le seul. J’ai critiqué, par exemple, le CPA -le Conseil présidentiel pour l’Afrique-, j’ai critiqué le président Macron. Vous savez, je critique surtout les gens que je respecte. Et ma critique n’a jamais été fondée sur le désir de détruire la relation. Ma critique visait à faire en sorte que l’on remette cette relation en jeu et qu’ensemble on essaie de repenser les fondamentaux de la relation. C’est ce qu’il dit vouloir faire. Il veut le faire, d’un côté avec la jeunesse. L’autre pari, c’est sur les diasporas. Ce sont des choses qui m’intéressent, à la fois intellectuellement et politiquement. C’est pour cela que j’ai accepté d’accompagner ce projet. J’y vais en tant qu’accompagnateur, en tant que témoin. Je crois qu’il est très facile d’être cynique. Je tiens à la part de rêve que contient toute vie humaine, ce qui veut dire que je suis prêt à me tromper.

Vous n’êtes pas une prise de guerre d’Emmanuel Macron ?

Ah non ! (Rires) Mais non ! Il ne le pense pas, je ne le pense pas non plus ! (Rires)

Emmanuel Macron n’est-il pas un homme contradictoire, qui joue sur ses contradictions pour séduire ses interlocuteurs ?

(Rires) Je vais vous dire une chose. Je l’ai rencontré une fois. Il nous a reçus à déjeuner chez lui, à l’Élysée. Effectivement, c’est un séducteur ! Et je ne le dis pas d’une manière péjorative. C’est un esprit brillant. C’est quelqu’un avec lequel on a plaisir à dialoguer. Il est très attentif… Nous étions cinq ou six et j’étais assis à sa droite. Il prenait des notes, il écoutait… C’est quelqu’un qui prend des risques, apparemment, qui aime la contradiction, en fait. Je dirais qu’il aime être contredit et il aime le débat chaud. Évidemment, pour un chef d’État, cela présente des risques. Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Il m’a proposé une idée et il me propose d’en être un des accompagnateurs. Cela me convient parfaitement et une fois le sommet terminé, je retourne dans mes amphithéâtres.

Et à votre liberté constante dans vos travaux et dans votre prise de parole…

Absolument.

Afrique-France : cap sur 2020 pour un sommet sur les villes durables

Le 28e sommet Afrique-France, prévu à Bordeaux du 4 au 6 juin 2020, porte sur des défis environnementaux et économique, entre autres.

La problématique des villes durables reste d’actualité dans le monde, notamment en Afrique, un continent en pleine expansion marqué par un accroissement démographique significatif. Toutes choses qui soulèvent des enjeux liées à la fois à des politiques d’urbanisation, la gestion et la répartition des ressources naturelles (eau, énergie…), la pollution et à la mobilité.

Ces questions seront au centre des échanges que la France entretiendra avec le continent noir du 4 au 6 juin 2020 à Paris. A la métropole de Bordeaux, l’on annonce les couleurs : il sera principalement question de parler des défis environnementaux et économiques. Les questions de croissance durable et de bonne gouvernance seront par ailleurs abordées durant ces assises.

« Un sommet particulier par son caractère inédit au regard de son contenu. Au-delà de la dimension diplomatique et politique qui s’organisera autour des chefs d’Etat et de gouvernement, le sommet de Bordeaux est un sommet que nous avons qualifié de solution ; des solutions concrètes pour voir comment les entreprises françaises, les ONG, les femmes, les jeunes, les associations, toutes les parties prenantes d’une ville proposent des aménagements pour des villes africaines durables », explique Pierre de Gaëtan Njikam, 3e adjoint au maire de Bordeaux.

Et c’est élu local, par ailleurs vice-président du comité de pilotage du Sommet d’ajouter : « C’est donc un sommet où on va voir à côté des huis-clos et des cénacles politiques, l’exposition dans la cité des solutions pendant deux jours pour donner la possibilité de découvrir ce que l’Afrique et la France ont à proposer pour une ville durable de demain. Il est aussi inclusif parce que nous allons mobiliser les diasporas africaines pour qu’elles puissent participer à ce sommet ».

Chefs d’Etats, chefs de gouvernements, organisations non gouvernementales, Associtions de femmes et autres, partenaires financiers et élus locaux sont attendus auxdites assises.

Le sommet de 2020 se tiendra à Bordeaux. La ville est liée historiquement à des évènements touchant des communautés noires en France mais pas que. Depuis 2016, elle est partie prenante du développement de Douala, la capitale économique du Cameroun. A travers sa métropole, portée actuellement par Michel Vernejoul, et sa mairie, Bordeaux a conclu un partenariat avec Douala le 05 octobre 2016 portant sur les villes durables et les services urbains, le développement économique. Un autre volet de cette coopération est centré sur le renforcement des liens universitaire, culturel et artistique.