Émeutes de février 2008: Comment les camerounais ont vécu cette période?

Quelques personnes rencontrées répondent!

Cela a été une expérience triste, mais grandissante en même temps parce que pendant ces 4 à 5 jours, nous avons vécu une expérience nouvelle qu’on n’avait pas vécu jusque là. Je me souviens très bien de ce fameux lundi, 24 février 2008, je me suis levé le matin costume et cravate comme d’habitude, arrivé en route je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de taxi, j’ai vu la population dans la rue, et j’ai compris qu’il n’était pas bon de sortir en veste. Je suis rentré, je me suis changé et j’ai enfilé un jean. C’est ainsi que j’ai rencontré quelques confrères, notamment Mathieu Nathanaël Ndjock du Messager. On a fait quelques pas, arrivés au niveau du commissariat 7é, on voit que les jeunes sont entrain de brûler les pneus en face du commissariat 7é, on comprend que c’est grave, parce qu’on voit les policiers à l’intérieur du commissariat assis sagement pendant que les jeunes sont entrain de chanter l’hymne national à tu tête, et sont entrain de brûler les pneus sur les goudrons. Puisqu’il n’y avait pas de taxi, on continue vers l’hôtel le Capitole, et c’est à ce niveau que nous sommes assaillis par une bande de hors de loi, sans foi ni loi, armés de gourdins et de machettes, d’arrache-clous, de marteaux. Ils nous assaillent et qui arrachent carrément nos matériels de travail, notamment des dictaphones, les appareils photos, les téléphones portables, de l’argent que nous avions sur nous. J’ai été molesté, et j’ai reçu sur les narines, un coup de point d’un manifestant par ce que j’avais un peu résisté. Pendant ce temps, un autre avait déjà soulevé une bouteille de vin au dessus de ma tête, heureusement pour moi, cette bouteille n’est pas arrivée sur ma tête. Au même moment, mon confrère Nathanaël était également pris d’assaut par une dizaine d’assaillants, heureusement il a eu un peu plus de chance. Donc, cela a été une expérience triste, mais on en ressort grandi, par ce qu’on a eu une expérience du journalisme en temps de crise. Nous avons marché pendant pratiquement 5 jours à pied, de la cité Cicam à Bonanjo, Akwa. c’était très difficile, on se retrouvait entrain d’acheter une tomate à 200F CFA pour faire l’omelette à la maison. La leçon que je tire, c’est que les pouvoirs publics ne doivent pas patienter, ne doivent pas attendre que les crises s’accumulent avant de pouvoir trouver des solutions. Je crois qu’à chaque fois que les populations font des revendications, il faut au moins les étudier et voir comment on peut trouver des solutions, parce qu’étouffer, repousser ces revendications des jeunes, à la fin, cela entraîne une crise qu’on ne peut plus contrôler.

Eric Roland Kongou, journaliste au quotidien Mutations
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Cette période n’a pas du tout été facile, cela a été très difficile. Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi les citoyens grevaient, certains parlaient de vie difficile, d’autres parlaient d’autre chose. Dans tout cela, il y a eu des malfrats qui ont rendu la vie incroyable, ils sont entrés dans les voitures, déshabiller les femmes, prendre de l’argent. il y a eu aussi des hommes qui ont marché, les policiers ont tabassé les citoyens, d’autres se sont retrouvés même en prison. Aujourd’hui, je remercie le bon Dieu, car je ne sais pas comment on a pu ressaisir la population pour qu’elle se calme, c’était vraiment fort ! Surtout à Douala, ils ont fait comme si c’était la guerre, la fin du monde, la situation s’est décantée, mais ce n’était pas facile. Pendant cette période, j’ai passé des moments difficiles, même manger, la nourriture, pas facile, j’ai même perdu 10kg, tu ne pouvais même aller au marcher. Tu restes chez toi, tu ne sors pas, tu vis comme si tu n’étais pas dans ton pays, c’était vraiment grave!

Jolieno, vendeuse de call box à Douala
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Cela a été un moment très difficile. Je me souviens que pendant cette période, j’ai commis l’erreur de quitter ma maison pour aller chez ma fille aînée pour lui apporter de la nourriture, mais au moment de rentrer, c’était impossible. Donc le lendemain matin, arrivée au niveau du carrefour Ndokoti, je n’ai pas pu me rendre chez moi, il n’y avait pas de taxi, les policiers étaient partout, et à un moment donné, il y a eu une pick-up qui arrivée avec des hommes habillés en noir, et ils se sont mis à tirer des coups de feu en l’air. Tout le monde au carrefour s’est mis à courir, j’ai eu très peur car je voyais vraiment la mort arriver. Avec ma fille qui m’avait accompagné, on s’est abrités à la station service Tradex, attendant que la pick-up s’éloigne. J’ai failli mourir ce jour là, il ne faudrait plus que des choses pareilles se reproduisent.

Magne Marie Nicole, commerçante à Douala
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Émeutes au Cameroun: André Luther Meka revient sur les faits à Douala

Il est président de l’association de défense des droits des jeunes « Alternative Citoyenne de la jeunesse »

Comment avez-vous vécu cette période de février 2008?
C’était une situation très triste, je voyais des jeunes de 12 ans marcher dans la rue avec des pancartes qui avaient des appréciations parfois politiques, Paul Biya doit partir, nous avons faim. j’ai eu le privilège de faire le tour de Douala à pied, j’ai constaté que c’était des jeunes de 15 à 22 ans et qui avaient des problèmes d’emploi. Il y avait même des écritures par terre où on pouvait lire, « nous avons besoin d’emplois», « nous avons faim », ils sont même allés jusqu’à donner leur prix sur les goudrons. Il y avait également des moments où je n’arrivais pas à sortir, parce que notre quartier, Grand moulin, était un quartier cerné par la police et la gendarmerie, il y avait aussi beaucoup de militaires dans la rue. A partir de 17h, il y avait déjà des coups de feu qui tonnaient dans la rue, ce qui faisait qu’il était pratiquement impossible de sortir parfois. J’ai même fais deux jours chez moi, mes petites économies avaient déjà tari, et je commençais déjà à avoir quelques soucis financiers. Mais c’est beaucoup plus un souvenir de tristesse, j’ai appris qu’il y a eu beaucoup de morts au niveau du pont sur le wouri, d’autres à Bonabéri, à PK 14. C’était vraiment triste, et le conseil que je peux donner aux jeunes, c’est de faire des revendications dans la limite du respect des lois de la République. C’est-à-dire que lorsqu’il y a des marches, que ce soit pacifique et qu’on ne casse pas, par ce que lorsque la propriété privée est déjà menacée, il est clair qu’il faut sécuriser, et il faut parfois prendre des mesures draconiennes pour pouvoir sécuriser les personnes et des biens.

Qu’a fait l’association pendant cette période?
Nous avons essayé de coordonner, nous avons voulu circuler dans les quartiers pour pouvoir être le relais entre les jeunes et les autorités, malheureusement l’action s’est avérée vaine, parce que dès le discours du chef de l’Etat, l’armée a amplifié la sécurité, et nous n’avions pas pu entrer en contact avec les jeunes, par ce que à ce moment là, on n’était pas sûr que notre sécurité était assurée.

Un an après, quel souvenir, quelle leçon?
La première leçon, c’est de pouvoir encadrer les jeunes dans la revendication. La revendication n’est pas seulement les casses, elle peut être pacifique. Dans cette grève de la faim, je peux vous signaler que non seulement les entreprises ont été immobilisées, les transports, le port de Douala ont été immobilisés, je pense que c’est beaucoup pour un pays. On n’avait pas besoin de casser, et de menacer les biens des individus. Je pense qu’il y a un problème d’encadrement des jeunes qui doit être fait. Les jeunes doivent revendiquer de façon pacifique, je crois qu’il y a aussi les leçons à tirer. On n’avait pas besoin d’affronter l’armée quand on n’a pas des armes. Je crois qu’il y a un problème de dialogue. Il faudrait que dans chaque quartier, dans chaque groupe, qu’il y ait des relais qui puissent communiquer avec des autorités pour pouvoir relayer les revendications. De façon générale, il y a un problème d’encadrement et de méthode dans la revendication.

Après les émeutes, qu’est ce qui a été fait au sein de l’association dans ce sens?
Effectivement, surtout dans le sens de la sensibilisation et la meilleure sensibilisation, c’est dans les médias. Nous avons fait des interviews pour pouvoir sensibiliser d’abord le chef de l’Etat par rapport aux problèmes des jeunes, et demander la libération des jeunes incarcérés après les émeutes. Je crois qu’il nous a compris, puisqu’il y a eu la libération des jeunes par la suite.

Mais, il y en a d’autres qui sont toujours en prison?
A ce niveau, nous allons mener des actions concertées avec d’autres associations de jeunes, devant conduire à la libération de ces jeunes encore incarcérés.

Dans le cadre de cette semaine commémorative, qu’est ce que l’association a prévu?
Je vous dis tout de go que je n’entre pas dans des tribulations politiciennes, parce que parfois les hommes politiques engagent des actions dont nous ne connaissons pas des aboutissants, mais je loue ces initiatives. La commémoration n’est pas seulement par des marches, elle peut être aussi personnelle. Chacun peut observer une minute de silence chez soi, on peut regrouper des jeunes et pouvoir penser, à travers des conférences, des communications, comment nous pouvons commémorer ces disparitions pour que cela ne se répète plus. Mais je dis encore que les marches, les meetings politiques, je reste très frileux par rapport à cette démarche.

André Luther Meka
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