Emmanuel Assana: «La découverte est une avancée contre la cysticerose porcine»

Le chercheur camerounais à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers a expérimenté avec succès au nord Cameroun, un vaccin contre un parasite du porc

En collaboration avec un laboratoire et des chercheurs australiens, ce Camerounais, chercheur au département de santé animale de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers en Belgique a expérimenté avec succès dans la région du nord Cameroun, un vaccin contre un parasite du porc à qui certains experts attribuent le rôle de vecteur de risque d’épilepsie chez L’homme.

M. Assana Emmanuel, voulez-vous vous présenter pour nos lecteurs?
Je suis Camerounais, Chercheur au Département de Santé Animale de l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers en Belgique.

Vous venez de publier les résultats d’une expérience de lutte contre le ténia du porc par la vaccination, dites-nous quel est l’impact d’une telle découverte?
C’est une expérience de vaccination contre la cysticercose porcine à Taenia solium. Le terme «ténia du porc» est inapproprié. Le porc héberge le stade larvaire du ver (les cysticerques), tandis que l’homme peut être le porteur du Ténia adulte (Taenia solium) dans l’intestin. L’Homme peut aussi être infesté des cysticerques causant la cysticercose humaine ou plus précisément la neurocysticercose si les cysticerques se développent au niveau du cerveau causant la folie, des crises épileptiformes, l’hydrocéphalie, migraines chroniques etc. Cette découverte donne de l’espoir pour le contrôle de cette zoonose en vaccinant le porc pour rompre le cycle biologique du parasite et réduire indirectement de nouveaux cas de neurocysticercose chez l’homme.

Comment est née l’hypothèse d’expérimenter un vaccin contre le ténia du porc, parlez-nous de la découverte de ce vaccin?
La cysticercose à Taenia solium est une zoonose dangereuse car elle provoque non seulement des pertes économiques chez l’éleveur de porc (saisie des porcs malades dans les abattoirs, baisse des prix ou expulsion de porcs infestés sur les marchés), mais aussi, elle est source de neuropathologie chez l’homme dans beaucoup de pays d’Afrique, d’Asie et de l’Amérique latine. Jusqu’à présent les approches de contrôle de cette zoonose sont basées sur le traitement de masse de la population humaine contre les vers intestinaux (traitement expérimenté en Amérique latine), l’éducation de la population pour l’utilisation des latrines, l’interdiction de système d’élevage en divagation etc. Mais ces approches n’ont pas toujours eu les résultats attendus. L’idée de développer un vaccin comme une approche alternative de contrôle de la cysticercose a émergé au sein des groupes de recherche sur le complexe Taeniose-Cysticercose à Taenia solium. Plusieurs groupes de chercheurs sont en train de travailler sur différents candidats vaccins. Notre groupe de recherche, constitué autour du Professeur Marshall Lightowlers de l’Université de Melbourne en Australie qui a une longue expérience sur le développement des vaccins contre les cestodes, a eu la chance de trouver l’antigène le plus efficace contre la cysticercose et surtout de bénéficier de l’appui financier de Wellcome Trust pour expérimenter ce vaccin dans les conditions d’élevage au Cameroun.

Sous quelle forme et par quel procédé inocule-t-on le vaccin?
La publication dans «International Journal for Parasitology» d’avril 2010 est très précise sur le protocole de vaccination. Ceux qui s’intéressent au protocole de vaccination peuvent bien s’y référer. L’article est accessible sur internet. En bref, le vaccin TSOL18 est une protéine identifiée dans l’oncosphère ( uf du Taenia solium) et produite par génie génétique à l’université de Melbourne en Australie. Ce vaccin est inoculé au porc sous forme purifié associée à un adjuvant commercialisé sous le nom de Quil A (un dérivé de la saponine sans effet sur les cellules animales).

La méthode est-elle assimilable par des paysans pas toujours instruits et qui possèdent une bonne partie des élevages?
Nous sommes encore à un stade de recherche. Le vaccin n’est pas encore commercialisé sous forme utilisable directement par l’éleveur.

Est-ce que l’efficacité de ce vaccin peut aussi être étendue au b uf, puisqu’on sait qu’il peut aussi être porteur des ufs de Ténia.
Les b ufs ne portent pas les ufs du Ténia dont nous parlons. L’homme héberge une autre espèce de Ténia appelé Taenia saginata dont les cysticerques, provenant de l’éclosion des ufs du vers contenu dans les excréments humains déposés au pâturage, se développent chez les bovins. Il existe un vaccin contre la cysticercose bovine développée dans le même laboratoire d’Australie, mais qui est resté au stade de recherche à cause du fait que la cysticercose à Taenia saginata n’affecte pas l’homme, donc sans grand intérêt économique pour les firmes pharmaceutiques.

Dans quelle partie du Cameroun a été menée l’expérience et pourquoi ce choix là?
La vaccination contre la cysticercose porcine a été faite dans le département du Mayo-Danay à l’Extrême-Nord du Cameroun. Le Mayo-Danay est une importante région d’élevage du porc au Cameroun. Cet élevage s’est développé grâce au son du riz provenant de la SEMRY (Société d’Expansion et de la modernisation de la Riziculture de Yagoua) et grâce au développement du commerce des porcs dans tout le bassin du Logone, y compris le Sud du Tchad. Chaque année, 50000 à 60000 porcs vifs en provenance du bassin du Logone sont acheminés jusqu’à Yaoundé et Douala. Des études préliminaires ont montré que les porcs sont en divagation et la prévalence de la cysticercose porcine est très élevée (plus de 20 % des porcs sont infestés). Plus de 40 % des ménages dans les zones d’élevage ne possèdent pas de latrines. Aucun plan de traitement de la population humaine contre le Ténia ou autre vers intestinaux n’existe dans la région. En plus, il n’existe pas de peste porcine africaine pouvant interrompre l’expérimentation vaccinale de longue durée. Tous ces paramètres ont contribué au choix du Département du Mayo-Danay comme site idéal pour cette vaccination expérimentale.

Emmanuel Assana le chercheur
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Comment ont réagi les populations cibles durant le test?
Tous les éleveurs impliqués dans cette vaccination étaient coopératifs. Nous avons pris du temps avant la vaccination pour leur expliquer l’objectif de l’étude. Les éleveurs sélectionnés ont bénéficié d’un soutien financier du projet pour nourrir les animaux tout au long de la période de vaccination.

L’avancée est-elle définitive et opérationnelle dans l’immédiat ou il y a-t-il d’autres améliorations à apporter au vaccin?
C’est un candidat vaccin très efficace, mais encore en laboratoire. Il faut qu’il sorte du laboratoire c’est-à-dire qu’il soit enregistré, produit et commercialisé par une firme pharmaceutique pour être accessible au niveau des élevages.

Quels pourra être approximativement le coût de revient du vaccin aux populations?
Pour le moment nous ne pouvons pas estimer le coût d’une dose de vaccin commercialisable. Mais puisque le vaccin est une protéine recombinante, sa production aura un coût faible dont accessible à tout éleveur de porc.

Quel est aujourd’hui le taux de contamination des porcs au ténia?
La prévalence de la cysticercose porcine varie d’une localité à l’autre. D’un pays à l’autre.

Comment réagit le gouvernement camerounais face à cette découverte?
Il n’y a peut-être pas eu une réaction particulièrement après la publication des résultats de la recherche sur la vaccination au Cameroun, mais le ministère de l’Enseignement supérieur et le ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales sont au courant de ce travail de recherche dès le début du plan expérimental et ont participé à l’aboutissement de ce travail à travers leurs personnels de terrain. Je pense ici à l’antenne de l’université de Dschang à Maroua et à la Délégation de l’élevage, des pêches et des industries animales du Mayo-Danay.

Peut-on dire que le vaccin contre le ténia du porc est une solution fiable contre la maladie cérébrale connue sous le nom d’épilepsie?
Je voudrais répéter ici que Taenia solium est un ténia de l’homme et du porc. Le porc n’est qu’un hôte intermédiaire dans le cycle biologique du parasite tandis que l’homme est à la fois hôte et porteur potentiel des cysticerques. En vaccinant le porc, le cycle biologique est rompu, donc pas de nouveau cas de ténia adulte chez l’homme et indirectement réduction des cas de neurocysticercose chez l’homme aussi. L’épilepsie n’est pas uniquement causée par la cysticercose à Taenia solium. Il y a d’autres causes que les spécialistes de la santé humaine peuvent bien énumérer. Un vaccin contre la cysticercose porcine ne peut donc pas éliminer totalement l’épilepsie chez l’homme, mais réduire le cas de l’épilepsie due au Taenia solium.

Les porcs en expérimentation
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