La journaliste Franco-camerounaise Elisabeth Tchoungui dans les librairies avec « Bamako Climax », son 2e roman

Elle a accepté de nous en parler, d’évoquer sa nouvelle émission et de raconter le Cameroun qu’elle aime. Entretien

Votre nouveau livre s’intitule « Bamako Climax ». Pourquoi Bamako?
Ce titre raconte l’origine de ce livre. J’étais en vacances à Bamako au Mali et j’ai été très étonnée de constater qu’il y a un quartier qui s’appelle le point G, un hôpital qui porte ce nom et même une grotte. Quand on lit les journaux féminins, on sait qu’il y a beaucoup de femmes qui cherchent ce point G. C’est donc ça qui a été la pelote de laine qui a permis de tisser cette histoire.

Il y’a pas que cette histoire de point G, puisque le livre traite des notions d’identité
Effectivement. Je suis, en tant que journaliste, de plus en plus frappée par les crispations identitaires et les difficultés qu’ont certaines personnes à aller vers les autres. Par ailleurs, depuis le 11 septembre 2001, dans plusieurs pays d’Afrique, Ben Laden était perçu comme un héros, comme le vengeur des peuples opprimés. Je n’aime pas l’intolérance quelque soit l’origine. Donc ce n’était pas l’Afrique que j’aime et j’ai beaucoup gambergé autour de toutes ces questions identitaires et je suis arrivée à la conclusion qu’on ne pouvait être bien avec l’autre et aller vers l’autre que si on assumait parfaitement son identité. De là m’est venue l’idée d’INVENTER ces deux personnages, l’un qui est blanc, l’un qui est noir. Tous les deux ont une faille identitaire. Eliott est antillais, il est ce qu’on appelle un Bounty, noir dehors et blanc dedans car il refuse sa négritude. Elio est blanc, italien et a un problème avec sa judaïté. Ils vont rencontrer cette femme métisse, Céleste. Céleste est l’allégorie de l’altérité. Mais elle va les renvoyer à leurs failles et ils vont la quitter. Au hasard des accidents de la vie, ils vont se rendre compte qu’ils ont besoin d’elle, mais elle a disparu. Ils vont partir à sa recherche en Afrique, apprendre qu’elle enquête sur un complot terroriste, fait qui rejoint ces crispations identitaires.

On parle de crispation identitaire, mais aussi de métissage, de difficulté de la vie sociale, des questions du noir et du juif. Votre livre révèle plusieurs problématiques. Laquelle avez-vous voulu mettre le plus en avant?
Quand on parle d’identité, c’est le problème de l’humanité aujourd’hui: Comment vivre ensemble dans un monde mondialisé ? Comment vivre ensemble dans un monde de plus en plus peuplé ? Dans un monde qui va de moins en moins bien ? Mon livre est brodé autour de ce questionnement qui m’habite tous les jours.

Elio, Eleonore, Eliott, pourquoi des noms à radicaux communs ? Ce détail renvoie à une réalité ou est-ce un hasard ?
Elio, Eliott, je voulais jouer le rapprochement par les noms. Mais Eleonore, c’est un hasard.

Tout au long du livre, on a deux types d’interludes. On a l’histoire revisitée de la belle au bois dormant racontées par Celeste Adjovi. D’où vient cette idée?
J’ai imaginé des légendes urbaines africaines. Ça m’intéressait de creuser ce thème des légendes urbaines parce que j’en ai marre des fantasmes occidentaux sur l’Afrique rurale, les animaux et les baobas. De plus en plus d’Africains vivent en ville et les légendes deviennent donc urbaines. Albinisme, désintégrateur de sexes masculins, je me suis inspirée de choses vues et lues dans la presse et écoutées dans les pays. Le point G est la seule que j’ai inventée.

Le livre parle d’une Céleste belle, métisse, grande, journaliste à la recherche de l’essentiel dans les contrées qu’elle parcourt, avide de culture, ayant été pressentie dans une émission culturelle connue, auteur d’un premier livre. La comparaison avec vous nous parait peut être fallacieuse, mais si évidente quelques fois ! Avez-vous pensé à vous en imaginant Céleste ?
Il ne s’agit pas de moi. Ce n’est pas une autobiographie. Mais le défaut des jeunes écrivains de romans et de nouvelles, c’est l’incapacité à se détacher complètement de leurs ressentis. Je pense que la distance absolue vient avec l’expérience. Il y’a une réflexion sur le métissage à travers le personnage de Céleste, mais comme je ne voulais absolument pas tomber dans le piège de l’autofiction, j’ai inventé ce procédé stylistique, avec lequel je me suis beaucoup amusée: la faire disparaitre. Dans le livre, le personnage principal n’apparait jamais mais est évoqué à travers les autres personnages. Ardu, mais réjouissant!

Et ce M. Ouedraogo, fils de président devenu président, ce M. Berlu, PDG de l’Italie. Il y’a beaucoup de faux vrais dans votre roman!
Bien sûr. Berlusconi est nommé dans le livre. Il y’a un clin d’ il au népotisme africain où le fils de. remplace le père. C’était une manière d’épingler cette nouvelle dérive de nos régimes fâchés avec la démocratie.

Pour revenir sur les interludes, vous citez quelques dépêches. Elles sont vraies?
Au début elles sont vraies, mais après elles deviennent fausses. C’et un indice que je donne aux lecteurs dans la première partie du livre qui traite de l’histoire d’amour. Une manière d’annoncer le complot terroriste, la grande histoire autour de la petite histoire.

Pour terminer sur Bamako Climax, le langage est parfois cru, notamment tous les détails qui se réfèrent au sexe.
J’aime la littérature par rapport au métier de journalisme parce qu’elle permet cette liberté totale. Ce n’est pas moi qui parle du sexe dans le livre. Ce sont mes personnages qui parlent de sexe. Pourquoi les briderais-je ?

C’est vous l’auteur !
Mais c’est totalement fictionnel l’univers du livre. Je peux leur faire dire des choses que moi-même je ne pense pas. Les gens qui me connaissent savent que je suis pudique de nature.

Il y’a beaucoup de référents géographiques très précis dans le livre. Ce sont des endroits que vous avez visités ou vous avez appris dans les livres ?
Les deux. Lorsque j’étais à TV5 et à France 24, j’ai beaucoup voyagé en Afrique. Je suis allée au Niger, au Burkina, au Mali, au Bénin et cela m’a permis de me constituer des images. Mais à coté il y a un travail de documentation notamment pour le Togo, vu que Céleste est togolaise. Et je ne suis pas allé au Togo.

Elisabeth Tchoungui
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Élisabeth Tchoungui, votre père est diplomate, votre mère enseignante, qu’est-ce qui a suscité en vous l’envie pour le journalisme ?
Ils m’ont donné le virus des voyages. J’ai eu la chance de voyager beaucoup dans mon enfance et il me fallait trouver un métier qui me permette de satisfaire cette curiosité permanente pour autrui et j’ai décidé de faire journalisme.

Parlez nous de votre enfance.
Enfance heureuse à la découverte de cultures différentes. Enfance avec un fort ancrage camerounais. J’ai eu la chance de ne pas seulement grandir dans des ambassades. J’ai vécu au Cameroun de l’âge de 3 ans à 10 ans et j’ai également passé mon bac à Yaoundé et je pense que sans cet ancrage là, j’aurais eu beaucoup de mal à me trouver. Quand on me dit de parler de mon enfance, il y’a sans doute beaucoup d’images, mais il y’a aussi et surtout le Cameroun qui me revient à l’esprit.

Quel est le Cameroun que vous connaissez ?
J’en parle toujours avec émotion. C’est beaucoup d’images. C’est les jeux avec les copains du quartier, je n’ai pas forcément grandi dans les quartiers chics. J’ai vécu à Essos et je jouais avec les voisines. Je ne ressentais pas ce coté hiérarchie sociale. Le Cameroun c’est aussi mon village, près de Mvengue. Le Cameroun c’est aussi Kribi où j’ai construit ma case. Le Cameroun c’est là où je vais charger mes batteries.

Comment se font vos premiers pas à la télévision française ?
Facile et difficile à la fois. Facile parce que j’ai fais l’école supérieure de journalisme de Lille, la meilleure école de journalisme, et que ça ouvre des portes. Difficile parce que très vite, il y’a des portes qui se ferment à cause de la couleur de la peau. Parce que vous êtes noire.

Mais vous n’êtes pas noire
Mais en France si. C’est bien l’éternel problème des métis !Ici on nous traite de noirs et au Cameroun ou en Afrique, de blancs.

Pour revenir à votre parcours.
Au début quand les portes se ferment, on est en rage, après on passe à la mobilisation pour forcer le passage et tracer la voie pour ceux qui viendront après. Ça fait 15 ans que je fais la télévision en France et je continue à me battre.

Pendant longtemps on vous a vu dans les émissions culturelles et vous avez été chef de rubrique culture à France 24. Avez-vous choisi la culture ou elle s’est imposée à vous ?
Ça s’est imposé naturellement parce que j’ai toujours aimé la culture. J’ai eu accès à la culture grâce à mes parents et j’ai capitalisé cette chance.

Aujourd’hui vous animez les maternelles sur France 5, une émission consacrée à la petite enfance. Le changement de registre ne vous a pas gêné?
Non, ça ne m’as pas gêné. Je savais pourquoi je voulais présenter cette émission. J’étais jeune maman et je voulais rester dans cette bulle qu’est la maternité. Mais ça a gêné les autres.

C’est qui les autres ?
Le public un peu, mais surtout le monde de la télévision. On vit dans un pays de tiroirs où on étiquette les gens. Et moi on a du mal à m’étiqueter et parfois je le paie. Mais je commence à avoir du détachement par rapport à tout ça. Je sais où je veux aller, je creuse mon sillon. Et même si je prends des chemins de traverse, j’y arriverai.

Un mot sur les enregistrements, votre équipe, la préparation et le rythme de travail.
Pour l’instant l’émission n’est pas en direct et j’aimerais beaucoup que ce soit le cas afin qu’il y’ait une interactivité réelle et directe avec le public du site Internet des Maternelles. Nous enregistrons deux jours par semaine, deux à trois émissions par jour, ce qui fait de longues journées. On se retrouve à passer à des humeurs différentes selon qu’on parle de la mort subite des nourrissons ou de la jalousie entre frères et s urs, intellectuellement, c’est exigeant.

Quels sont vos rapports avec les autres journalistes camerounais nombreux ici en France ? Petite colle, citez nous quelques noms de journalistes ?
Ce n’est pas une colle! Je connais Amobe Mevegue, Alain Foka, Caroline Sapouma. ça fait plaisir parce qu’il y’en a beaucoup. Je suis fière car la communauté camerounaise est de loin la diaspora d’Afrique subsaharienne la plus active en France quelque soit le secteur d’activités. En même temps, je me dis le Cameroun ne valorise pas assez cette diaspora. Nous aimerons tous être utiles à notre pays.

Quand vous rentrez au Cameroun, vous mangez quoi ?
Je mange le porc épic, du crocodile, j’adore le gibier (rires). J’aime aussi le foléré, le couscous de mil venus du nord et qui sont un peu rares dans la partie sud du pays.

Vous êtes membre de la commission images de la diversité. Quelle est votre rôle au sein de cette commission ?
C’est une commission qui donne un coup de pouce aux films qui traitent de la diversité et mettent avant les minorités. Ça fait trois ans et demi que je fais ce travail et c’est passionnant.

On va terminer cette interview en demandant votre avis sur la polémique à propos de la déclaration du parfumeur Guerlain au journal de 13 heures de France 2
J’enrage encore. J’ai d’ailleurs pris position dans mon billet d’humeur hebdomadaire sur le site aufeminin.com. J’ai écouté avec stupéfaction les propos de M. Guerlain qui affirme que les nègres n’auraient jamais tellement travaillé. Je lui rappelle juste que si le nègre n’avait pas travaillé sous les fouets de l’esclavage puis de la colonisation, la France ne serait sans doute pas où elle est, et son empire cosmétique non plus. Ma rage est montée d’un cran à cause de l’absence de réaction des intellectuels et des politiques, hormis celle Christine Lagarde (ministre française de l’économie). Ma rage a atteint son sommet depuis que les chroniqueurs des médias en vue, comme beaucoup d’internautes, minimisent les propos de Mr Guerlain, se contentent de rappeler que « travailler comme un nègre » est une expression française, et semblent avoir oublié la deuxième partie de sa déclaration. Il y a une banalisation du racisme dans ce pays. Il n’en serait peut-être pas ainsi si la communauté afro était plus solidaire et structurée.

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