Franc CFA: Des diplomates français pris en grippe

Venus promouvoir le C2D au cours d’un débat public, l’ambassadrice de France et le directeur de l’AFD se sont retrouvés face à des anti†Franc Cfa. En bons diplomates, ils ont choisi l’esquive.

(.) Je souhaite remercier les organisateurs de m’avoir invitée dans une instance où la liberté d’expression est une réalité.» Ce propos de Christine Robichon est empreint de langue de bois diplomatique. L’ambassadrice de France au Cameroun accuse en fait le coup. Elle vient d’être mitraillée par le philosophe Sindjoun Pokam et le président de l’Union des populations africaines (UPA), le statisticien Hubert Kamgang, au sujet du Franc Cfa. La Française semble d’ailleurs surprise par la virulence de ton chez ses interlocuteurs. Tout a pourtant bien commencé ce jeudi 19 juin 2014.

Invitée de la «Grande palabre», un débat public organisé chaque mois à Yaoundé par un groupe d’organisations de la société civile, l’ambassadrice de France au Cameroun parle depuis plus d’une heure et demie du Contrat de désendettement et de développement (C2D). Elle est aidée dans son opération de charme par Hervé Conan, le directeur de l’Agence française de développement (AFD). Jusqu’ici, les questions et remarques un peu trop politiquement correctes du politologue Owona Nguini et de Jean Mballa Mballa, observateur indépendant du C2D, tous deux également membres du panel, ne sont vraiment pas un problème. C’est alors qu’intervient le jeu des questions – réponses avec le public.

Mitraillage
«Madame est†ce que vous ne pensez pas que le dispositif actuel est une adaptation d’une vieille histoire, d’un vieux code, le Code noir élaboré par la France pour gérer comme sa chose, le monde noir ou du moins la part qui lui est assignée dans cette dialectique maître et esclave?» interroge le professeur Sindjoun Pokam. Et de répondre lui†même «le Code noir a été élaboré par Louis XIV en 1685 et comme je soupçonne la France de n’avoir pas eu une interruption dans la construction de l’Etat, donc de Louis XIV à Hollande aujourd’hui on est en train d’assister à une adaptation, une modification en fonction des conjonctures historiques d’un vieux code».

L’ambassadrice fixe son interlocuteur et fronce le visage. Loin d’être intimidé, le philosophe hausse le ton: «le trésor français peut†il tenir lieu d’une autre banque centrale? Vous avez convoqué ici un document qui guide votre action ici, le DSCE (le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi), ce sont nos experts qui par une sorte de remord y ont indiqué une chose que vous semblez ne pas rappeler. Ils ont dit madame, que ce document†là est hypothéqué par une question centrale dans laquelle est inscrite notre destin historique. La question de la monnaie.» Précisément, à la page 56 du document «Cameroun vision 2035» donc le DSCE est une déclinaison, les autorités camerounaises avouent que l’appartenance à la zone Franc fait peser sur le projet d’émergence du Cameroun «deux lourdes hypothèques».

Tout d’abord, indiquent ces autorités, «elle prive le Cameroun d’un instrument majeur de gestion économique, la politique monétaire, ce qui est un handicap considérable pour l’appropriation d’une stratégie volontariste du développement»; et d’autre part, «l’arrimage (du franc Cfa) à l’Euro qui s’est révélée une monnaie très peu flexible entraîne une survalorisation permanente du franc Cfa, un ralentissement des exportations et un surenchérissement des importations qui obèrent considérablement la compétitivité de l’économie nationale. » Aussi pour le philosophe, la France doit «désormais tenir compte que nous entrons dans un processus de rupture radicale avec cette doctrine qui voudrait que le destin monétaire d’un ensemble d’Etats soit commandé par l’Etat français». L’ambassadrice de France au Cameroun encaisse.

Comme si ça ne suffisait pas, Hubert Kamgang revient à la
charge. Le candidat à la présidentielle de 2011, qui fait de la sortie du Cameroun de la zone franc son programme politique, soutient qu’il n’y a pas meilleur asservissement d’un Etat que de l’empêcher d’avoir le contrôle de sa monnaie. Le statisticien qui se définit comme un pur produit de la France à même une curieuse demande. «Madame pouvez-vous me promettre de demander au gouvernement français de dénoncer la convention du 23 novembre 1972 à Brazzaville dont l’article 7 stipule que la Beac (Banque des Etats de l’Afrique centrale) est un établissement multinational africain à la gestion et au contrôle duquel participe la France.» Sa demande, Hubert Kamgang l’a justifié par le fait que «nos chefs d’Etat ont peur de dénoncer cette convention».

Une vue du panel
Journal Intégration)/n

Tabou
Face à la gêne de leur invité, les organisateurs tentent d’interrompe le président de l’UPA. «Nous sommes là pour parler du C2D» indique le modérateur Francis Mbagna. L’assistance proteste. La diplomate française boit ainsi jusqu’à la lie la coupe des dénonciations sur le Franc Cfa. Mais Christine Robichon ne ripostera pas. «J’ai relevé un certain nombre d’opinions que je respecte sans toutefois les partager. (.) Les questions qui concernent directement ou indirectement la monnaie relèvent d’un autre débat» esquive†t†elle au moment de répondre aux questions du public.

Hervé Conan en fait de même. «Moi, je ne suis que l’AFD, donc ce n’est pas un sujet sur lequel je peux répondre clairement et c’est non plus moi qui doit solliciter l’Etat français». L’assistance est déçue. Elle est néanmoins convaincue d’une chose, «le message est passé», «il sera ce soir sur la table de François Hollande ». Mais pour Owona Nguini, ce n’est pas au président français que ce message doit être destiné, mais à la classe dirigeante des pays de la zone franc. C’est à elle qu’il revient de prendre la décision de sortir de la zone franc.