Max Lobe remonte l’histoire tumultueuse du Cameroun

L’auteur de « La Trinité bantoue » quitte la Suisse pour revenir à son pays. Dans « Confidences », son nouveau roman, il raconte, à sa façon, les luttes pour l’indépendance

«Ô Cameroun, berceau de nos ancêêêtres/Autrefois, tu vécus dans la baaarbariiie/Comme un soleil, tu commences à paraîîître/Peu à peu tu sors de ta sauvageriiie.» Ce chant peu amène pour les ancêtres des Camerounais fut l’hymne officiel du pays jusqu’en 1970. Les paroles ont changé depuis, mais ces strophes surprenantes, citées dans Confidences, le dernier et passionnant roman de Max Lobe, témoignent d’une histoire tourmentée, complexe, dont le romancier s’est inspiré pour scruter ses origines et le pays d’où il vient. Un pays baptisé, jadis, par les navigateurs potokis – «portugais» en bassa – la rivière des crevettes, Rio dos Camarões, qui donna Cameroun. «Pourquoi ce pays devrait-il s’appeler «Crevette»? demande Max Lobe. Il faut interroger ça.»

Choc
On peut croiser Max Lobe aux Pâquis, où il vit. Ses lecteurs le savent, eux qui l’ont découvert dans 39 rue de Berne (Zoé, 2013) arpentant aux côtés de ses héros, prostituées, dealers et autres personnages détonnants, les trottoirs et méandres du célèbre quartier genevois. Ils ont suivi, ensuite, ses péripéties helvétiques dans La Trinité bantoue (Zoé, 2014). Le Cameroun, dans l’un et l’autre roman, constituait un arrière-plan, vivant mais lointain. Et pour cause, arrivé en 2004, Max Lobe, qui a étudié au Tessin avant de s’installer à Genève, n’y était pas retourné depuis. En 2014, dix ans après son arrivée en Suisse, Max Lobe est enfin rentré au pays. Le choc de ce voyage a entraîné l’écriture d’un roman camerounais, Confidences, où la Suisse devient à son tour un arrière-plan familier, un ailleurs connu d’où l’on repart pour retrouver les territoires de l’enfance et des ancêtres.

Retour
Aimé Césaire a signé un Cahier d’un retour au pays natal (1947), Dany Laferrière son Enigme du retour (2009 Boréal/Grasset), Alain Mabanckou ses Lumières de Pointe-Noire (Seuil, 2013), autant de récits de retrouvailles après l’exil. Max Lobe invoque ces grands aînés à propos de son projet. Au début de Confidences, le romancier cite Dany Laferrière: «On naît quelque part, si ça se trouve, on va faire un tour dans le monde, voir du pays, comme on dit/Y rester des années parfois, mais, à la fin, on revient au point de départ.» Alain Mabanckou, lui, salue le texte de Max Lobe, dans une lettre en postface à Confidences: «Chaque fois qu’un écrivain entreprend un «retour au pays natal», comme tu viens de le faire, il n’en sort jamais indemne et devra affronter une multitude d’interrogations.»

Nostalgie
«Pour Mabanckou ou Laferrière, dit Max Lobe, l’exil était une fuite, face à des régimes difficiles, voire dangereux. J’ai quitté le Cameroun dans les années 2000 et je ne peux pas dire que j’ai fui quelque chose. A l’époque l’homosexualité n’était pas une raison suffisante pour un départ. Je suis venu faire mes études en Suisse parce que j’en ai eu l’occasion. Je n’ai pas cette nostalgie, qu’elle soit heureuse ou mélancolique, d’un pays que j’aurais dû fuir. Je ne suis parti que dix ans. Motivation, nostalgie, durée, c’est très différent. Pourtant, quand on rentre après une longue absence, on ressent quelque chose de très particulier.» Est-ce l’«énigme du retour» dont parle Laferrière? «Peut-être, dit Max Lobe. Quand vous rentrez, tout le monde vous dit que vous n’êtes pas du pays. En Suisse on vous dit Noir, là-bas, on vous dit Blanc. Car être Blanc, ce n’est pas la couleur de la peau. C’est une philosophie, une mentalité, une vision de la liberté, une vision de la famille, une vision des droits, une façon de parler aussi, une façon de manger.»

Origines
Pour remonter aux origines, Max Lobe s’est enfoncé dans le temps. Il a tendu l’oreille aux murmures des ancêtres, s’est aventuré à la découverte de l’histoire et surtout des histoires multiples du Cameroun. Le voici en pays bassa, dans la forêt, à l’écoute de Ma Maliga, une vieille maman, malicieuse et déterminée, amatrice de vin de palme, qui a vécu dans sa chair la résistance contre la puissance coloniale. Elle en reste marquée au propre comme au figuré. Ces combats, violents, douloureux, sont incarnés par un homme, Ruben Um Nyobè, dont la geste historique vue à travers l’ il et les souvenirs de Ma Maliga forment l’ossature du livre, tandis que de brefs chapitres, à la première personne, racontent la redécouverte du Cameroun par l’auteur.

Les poules
Um Nyobè, dit le Mpodol, mort assassiné en 1958, se battait pour le kunde, pour «notre kunde», clame Ma Maliga, femme forte, parmi d’autres femmes fortes dans le récit. «Kunde, c’est le droit, explique Max Lobe. Ce que Um Nyobè demandait c’était le droit de disposer, de faire ce qu’on voulait. Plutôt que de parler d’indépendance, je parlerais de liberté. Prenons la métaphore du poulailler: on dit, chez nous, qu’on libère les poules le matin. On ouvre le poulailler, elles sortent. Mais sont-elles vraiment libres? Non. Elles restent dans l’enclos, dans un périmètre défini. C’est un peu ce qui s’est passé avec les nations africaines, dont le Cameroun. Ces pays ne sont pas libres, mais libérés, dans un périmètre bien défini par la France. Le kunde c’est avoir vraiment, complètement, la liberté de faire ce qu’on veut.»

Max Lobe
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Manioc
«On dit chez nous que les morts n’aiment pas qu’on les compte. Sont-ils des bâtons de manioc pour qu’on se mette à les compter? Même morts, nous sommes des humains.» Ces propos, Max Lobe les met dans la bouche de Ma Maliga, personnage plein d’humour et de sagesse, dont le modèle, qu’il a bel et bien rencontré, vit dans un village de forêt. Sans donner de dates ou de chiffres, sans jamais faire un cours d’histoire (selon les historiens, explique le romancier, les luttes pour l’indépendance ont fait entre 60†000 et 100†000 morts), Ma Maliga raconte à sa façon les combats pour la liberté, la répression: «La guerre pour cette dame-là, c’est que son père est parti acheter une chèvre pour son mariage, et qu’il est revenu attaché, lui-même comme la chèvre! C’est qu’un jour on est venu, on a cassé la maison de sa mère, on y a mis le feu et on les a parqués dans des camps de prisonniers, sans qu’ils sachent pourquoi.»

«Quoi? Tu dis que tu veux aussi voir le tombeau de Um Nyobè? Est-ce qu’on pourra faire tout cela en une seule journée? Mon fils, tu es curieux comme les singes de notre forêt».

Gravité nouvelle
Max Lobe est bien loin des Pâquis dans ce roman-là. Confidences est une toute nouvelle expérience d’écriture. Même si l’humour reste une composante essentielle du discours de l’écrivain, une gravité nouvelle s’est posée sur ses pages. «J’ai rencontré cette dame qui m’a montré des traces de fouet sur sa peau, qui m’a parlé de camps, de la torture, des disparitions. J’ai rencontré d’autres gens qui ont vécu ces événements terribles. Et je me suis donné pour règle de les respecter, même si, probablement, ils ne liront jamais Confidences.] C’était plus exigeant que pour mes autres livres. Je suis dans la fiction, mais aussi à cheval entre la fiction et le réel, je dois faire de mes interlocuteurs des personnages de roman, mais je ne dois pas les trahir. Je peux ajouter quelques artifices, mais le fond doit être respecté.»


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Max Lobe: « J’ai remporté le roman des Romands »

L’écrivain camerounais fait partie des auteurs les plus connus de la Suisse romande. Il a reçu de nombreux prix comme celui du roman des Romands qui correspond en France au Goncourt des lycéens

Il fait partie des auteurs africains les plus connus de la Suisse romande. Son deuxième roman, 39 rue de Berne, a reçu de nombreux prix comme celui du roman des Romands, qui correspond en France au Goncourt des lycéens. Il fut l’année dernière, l’invité d’honneur du salon du livre de Montréal au Canada, aux côtés de la celèbre romancière Katherine Pancol et de l’académicien, Dany Laferrière. Entretien.

Bonjour et merci d’avoir accepté de repondre à nos questions. Qui est réellement Max Lobe?
Max lobe que je suis, est un camerounais né et grandi à Douala. Jusqu’à très récemment, avant que je ne reparte au Cameroun, je ne connaissais que Douala et Yaoundé. Je me suis bien rattrapé maintenant en faisant le tour du Cameroun, pour m’approprier ce pays que je connaissais très mal, même si j’avais vécu là bas jusqu’à l’âge de dix huit ans, avant de m’envoler pour la Suisse. J’écris, c’est vraiment mon activité, je suis romancier de profession et je tourne autour des lettres, c’est à dire j’organise des performances littéraires, des soirées de lecture, etc. Pour les Camerounais qui me liront, je ne sais combien de fois je vais leur répéter que je ne suis pas Douala, je suis Bassa. Mon village se situait avant dans la circonscription de la Sanaga-maritime, mais maintenant il est dans la Dibamba.

Vous avez eu un prix au mois de Janvier de l’année dernière, pouvez-vous nous parler de cette récompense?
Le roman des Romands, c’est à dire le roman en tant que livre, des Romands, habitants de la Suisse romande. C’est un prix qui est décerné par sept cent étudiants environs, âgés entre 16 et 20 ans, des jeunes qui se veulent assez indépendants et conscients des choix qu’ils font.

Qu’est-ce que ça fait quand on défend la littérature africaine dans un pays comme la Suisse?
Je ne peux pas encore dire que je suis l’ambassadeur de la littérature africaine en Suisse, mais je tends vers ça et ça me fait énormément plaisir. Je voudrais bien pouvoir représenter le Cameroun et l’Afrique en général, faire tomber certains clichés et certains murs, parce que finalement on se ressemble beaucoup. Nous sommes des êtres humains avec beaucoup de similitudes dans les sentiments: la jalousie, l’égoïsme, etc.

Chacun de nous à sa propre conception ou définition de la culture. Et vous, comment la définissez-vous?
La culture c’est un gros vase dans lequel de plus en plus on met de tout et du n’importe quoi. Dans la culture on parlera de la pointe de l’iceberg, c’est souvent ce qui est le plus vu. C’est ce qui est le plus visible. La langue par exemple : le Bassa, le Bamiléké, l’Ewondo, le Djoula, le Walof, etc. c’est aussi la danse, les chants, les contes, les façons de faire et de s’exprimer. Tout ceci sont les parties visibles, mais il y a aussi quelque chose de beaucoup plus profond dans la culture, c’est finalement ce que nous sommes profondément, notre façon de penser, vivre et concevoir la vie.

Un message pour Ama Tutu Muna, ministre de la culture du Cameroun?
Il faudrait davantage introduire des livres d’auteurs camerounais dans le cursus scolaire. C’est la meilleur façon de faire lire les écrivains camerounais par les Camerounais.

Max Lobe
Journalducameroun.com)/n