Par Thierry Amougou, président de la Fondation Moumié
Eto’o vient de lancer à tous les Camerounais un défi d’individuation comme preuve de notre liberté au sein de n’importe quelle dictature et de sa logique embrigadante Les soubresauts de l’histoire des Lions Indomptables du Cameroun ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux de notre vie politique nationale. Cette oscillation en phase ne peut être surprenante pour peu qu’on veuille accepter que le football camerounais n’est qu’une variable endogène des modèles politiques qui régulent notre pays depuis l’indépendance, et dont le football est un des arguments performants via l’exploitation politique des exploits sportifs des Lions Indomptables. Sans aller dans les détails, force est de constater que si dire non est ce qui fait défaut au peuple camerounais tout entier face à la dictature en place depuis trente ans, dire non est aussi ce qui a toujours mis de brillants Lions Indomptables (Joseph Antoine Bell en l’occurrence) de côté parce qu’ils osèrent dénoncer les travers organisationnels et institutionnels d’un football adulé de l’extérieur, mais dont la cuisine interne révèle une marmite footballistique pleine de corps étrangers et de virus en ébullition sous un feu d’intrigues, dont la précédente catalyse la suivante au lieu d’en être la digue. Autant la dictature, l’incurie, la malversation et la malhonnêteté de ceux qui gèrent le football camerounais montrent leurs outrances multiples sur les Lions Indomptables depuis des années, autant le peuple camerounais, seul habileté à légitimer un pouvoir politique, est malmener depuis trente ans par des pompiers-pyromanes au pouvoir. Dès lors, il va sans dire que les performances envieuses de notre football doivent plus à une éclosion de talents exceptionnels sur notre sol et au fait que le football est devenu un moyen efficace de sortir de la pauvreté, qu’au sérieux institutionnel et organisationnel du Cameroun. La dictature règne donc en maîtres sur le pays tout entier et sur les Lions Indomptables, une de ses variables endogènes, parce que dire non ensemble fait autant défaut au peuple camerounais qu’aux joueurs qui composent notre équipe nationale, échantillon dudit peuple.
ETO’O-Fils est le meilleur joueur africain en activité
La providence aime bien le Cameroun. Après Roger Milla, le Cameroun a Samuel Eto’o-Fils le meilleur joueur africain en activité. Le Cameroun a certes d’autres joueurs mais ce sont des joueurs moyens. Avec tout le respect que nous devons à tous ceux qui défendent nos couleurs, il est une lapalissade que de dire que parmi tous les joueurs camerounais en activité, seul Samuel Eto’o-fils est capable de faire basculer un match à lui tout seul sur un geste ou une action individuelle. C’est cela qui fait la différence entre un très grand joueur et un bon joueur. Les bons joueurs nous en avons beaucoup en ce moment surtout en défense. Nos milieux de terrain sont ce qu’on appelle dans le jargon footballistique des « porteurs d’eau ». Nous avons donc beaucoup de bons défenseurs et de milieux défensifs. Nous n’avons ni des joueurs de flanc rapides à l’instar de Salomon Olembé, ni des manieurs de ballons exceptionnels à l’instar de Mbida Grégoire ou Théophile Abéga, ni des gardiens exceptionnels à la Thomas Nkono et Joseph Antoine Bell. Dans ces conditions, le rôle d’un Coach n’est pas de faire coalition avec la Fecafoot pour chercher noise au meilleur joueur africain de l’équipe, mais de faire de la prospection pour essayer de combler ces manques, et surtout de construire une équipe qui rende ultraperformant notre meilleur joueur. Michel Hidalgo, du temps où il entraînait l’équipe de France, avoua, lors d’une interview, qu’il composait son équipe et calibrait son recrutement en équipe de France en fonction des joueurs et des tempéraments qui permettaient à Michel Platini, son meilleur joueur d’antan, d’être dans les meilleures conditions de jeu possibles. Tout grand club de football, toute grande équipe nationale à un leader technique à partir duquel tout s’organise. C’est Didier Drogba en Côte-d’Ivoire, Messi au Barça et en Argentine, Ronaldo au Real de Madrid et au Portugal et Samuel Eto’o au Cameroun. Il en est ainsi simplement parce que ces joueurs-là sont largement meilleurs que les autres et que le sort de l’équipe en dépend largement. Ceci ne veut pas dire que les Lions ne peuvent gagner sans Eto’o, mais qu’ils gagnent facilement avec Eto’o, et plus facilement encore avec une équipe montée pour qu’Eto’o soit encore plus performant.
L’invention de la double peine : une innovation régressive de la Fecafoot
Nous avons déjà signalé dans une autre analyse le fait que la sanction a pour but de remettre de l’ordre dans la société lorsque l’équilibre entre les droits et les devoirs est rompu par un acte. Nous avons également montré, lorsque que Samuel Eto’o écopa de plusieurs match (es) de suspension, que la sanction perdait de son sens stabilisateur et éducateur dans un univers comme la Fecafoot et un pays comme le Cameroun où la prospérité du vice est prégnante et la récidive dans la malversation la règle. Avoir décidé, après la suspension de Samuel Eto’o, de lui ôter le brassard de capitaine des Lions, correspond à l’invention de la double peine par la Fecafoot et tous ceux qui sont à l’origine de cette décision. Le problème n’est pas tant le capitanat que le fait d’infliger deux sanctions successives à un joueur pour une seule et même faute. Cette dérive punitive sur un joueur par des individus dont la prison est l’endroit le plus indiqué où ils auraient dû être en ce moment, est une preuve irréfutable du fait que seuls les joueurs qui se taisent, seuls les joueurs qui ne savent pas dire Non, seuls des joueurs transformés en automates programmés pour jouer au football, trouvent grâce auprès des instances dirigeantes du football camerounais. Ceux qui osent critiquer les instances dirigeantes comme Joseph Antoine Bell, Etame Mayer, Makoun, Assou Ekotto et Samuel Eto’o, sont à bannir de l’équipe nationale. Tout se passe comme si, autant les Camerounais sont « les créatures » de Paul Biya à qui ils doivent tout selon les évangiles selon Jacques Fame Ndongo, autant chaque Lion Indomptable est « une créature » d’Iya Mohammed et de ses équipes. En conséquence, autant le peuple camerounais subit la double peine d’un pouvoir qui pille l’Etat en même temps qu’il immobilise l’Etat pour se juger lui-même, autant Eto’o est victime d’une double peine qui ne peut obéir qu’au besoin viscéral de la mafia du football camerounais de se défaire de l’influence de ceux qui osent dire non à ce qu’elle fait dans les coulisses. Il ne chaque donc personne que la double peine soit en vigueur puisque l’opération Epervier en use et jusqu’à la lie. Si des prisonniers politiques sont déclarés innocents mais restent en prison Eto’o peut aussi se voir infliger pour la même faute une suspension et une perte du capitanat.
Dire non c’est comprendre et comprendre c’est commencer à désobéir
Il fut un temps ou Eto’o était en très bons termes avec la Fecafoot et ses différents dirigeants comme il fut aussi un temps ou Marafa était en très bons termes avec Paul Biya et tout le Renouveau. Autant, comme Eto’o nous l’a dit lui-même, le courroux de la Fecafoot envers lui n’a pour seule et unique base que l’argent et toujours l’argent, autant l’affaire Albatros montre que c’est aussi l’argent qui explique le différend entre le Président de la République et Marafa. Nous sommes donc dans un pays où, autant c’est l’argent qui fait et défait tout à la place d’autres valeurs fondamentales et utiles à la construction d’un Etat, autant c’est cet argent qui empêche à ceux qui ne l’ont pas de dire non, c’est assez. Mais, étant donné que plusieurs qui ont de l’argent continuent à dire oui à la Fecafoot et au pouvoir en place pour mieux protéger leur butin, il est important de reconnaître à Eto’o-Fils et à Marafa, même s’ils ont un moment fait équipe avec les systèmes mafieux en place, leur capacité de dire non c’est assez. Ils ont enfin compris la logique inique des deux systèmes. Or comprendre la logique d’un système inique est le début de la désobéissance à celui-ci. Puisse le peuple camerounais apprendre à dire non avec Samuel Eto’o même si le problème éternel est celui des passagers clandestins qui font grève pour ne pas jouer un match mais n’en assument pas la logique en bloc : il en existe au sein des Camerounais et aux seins des joueurs de l’équipe national. Eto’o vient de lancer à tous les Camerounais un défi d’individuation comme preuve de notre liberté au sein de n’importe quelle dictature et de sa logique embrigadante. Peut-être que sa décision est facile parce qu’il a tout ce qu’il lui faut dans la vie mais celle des petites gens n’est pas plus difficile car ils n’ont rien et rien à perdre. Dire non c’est être un homme révolté à la camus mais c’est aussi être capable de dire oui quand les choses vont mieux. C’est montrer que derrière le footballeur et la star il y a un homme et des valeurs.
