De Kribi à la mairie de Bordeaux, l’ascension de Pierre de Gaétan Njikam

Parti de son Cameroun natal il y a plusieurs décennies pour suivre des études de droit, Pierre de Gaëtan Njikam est aujourd’hui 3ème adjoint au maire de Bordeaux, chargé des relations avec l’Afrique subsaharienne.

Pierre de Gaëtan Njikam fait partie de ces expatriés qui n’oublient pas leurs racines. Le temps d’un repos ou entre deux missions sur le continent africain, il  profite d’un détour pour se ressourcer au Cameroun, son pays d’origine.

Nous l’y avons rencontré en août au terme d’une tournée qu’il effectuait en Afrique pour promouvoir le sommet Afrique-France de juin 2020. C’est que Pierre de Gaëtan Njikam est l’homme derrière l’organisation de cet évènement politique. Lequel rassemble chaque année l’Afrique francophone autour du président français pour des questions de coopération. Il est le vice-président du comité de pilotage du Sommet.

Son sourire est large par cet après-midi d’été. Il vient de  nous apercevoir, de loin, et de son pas alerte, s’empresse de venir à notre rencontre. Le rendez-vous qui avait été calé sous d’autres cieux devient une réalité sous son impulsion ; tant il lui incombe de parler de sa propre expérience pour véhiculer un message positif aux jeunes de son pays.

La rencontre a lieu au Musée national de Yaoundé. Pierre de Gaétan Njikam y visite une exposition. Retrouvailles d’artistes déjà connus ou nouvelles découvertes, peu importe, le sourire de ce quinquagénaire affiche plein. Ses yeux pétillent devant des œuvres de Samuel Fosso et laissent deviner de nouvelles inspirations. Pierre de Gaétan Njikam ne tarit plus alors sur la portée de la coopération culturelle qui lie Bordeaux, sa ville française, et le Cameroun.

Rencontre avec des amis

Comme souvent lorsqu’il est au Cameroun, Pierre de Gaétan Njikam rencontre des amis et des membres de famille. Ce 27 août, il a rendez-vous dans un restaurant huppé avec des anciens camarades de lycée Leclerc de Yaoundé. Rires, blagues et chants d’antan meublent les échanges qui se font autour des produits brassicoles du Cameroun.

Sous les commentaires de ces amis, Pierre de Gaétan a perdu sa mine quelque peu contrite par une demi-heure d’attente dans le véhicule du fait des embouteillages. Il en a perdu l’habitude, mais ce contretemps n’entame pas sa bonne humeur.

Cela fait 35 ans environ qu’ils se sont, pour la plupart, perdus de vue. Il n’en semble pourtant rien. La dernière fois, c’était en classe de Première. Ils animaient alors un club qu’ils avaient créé ensemble au sein de leur établissement.  Le Club des amis de la culture. Aujourd’hui encore, leur rencontre a des allures de cénacle. « Le club Amis de la culture était une réaction par rapport à un club qui existait déjà, Unesco. On s’est rendu compte quand nous étions en classe de première que le club Unesco brillait beaucoup plus par l’aspect festif à savoir organisation des bals et autres. Nous qui étions très liés à la culture avions pensé qu’il fallait créer un club qui allait nous permettre de nous épanouir sur le plan des idées.

Passionné des débats d’idées, Pierre de Gaétan Njikam y joue un rôle important. «  Il était animé par l’esprit d’éthique dont il était le garant au sein du groupe. Qu’est-ce qu’on faisait, on organisait des exposés, des tables rondes et des excursions », raconte Albert Noa, ami du magistrat municipal.

Créer et animer des clubs, Pierre de Gaétan Njikam a fait cela toute sa vie, d’abord dans son Kribi natal, avec le club Unesco, puis à Yaoundé avec celui dénommé Allemand. Un hobby qu’il savoure au sein du club Bordeaux France Cameroun qu’il y a créé en 2011, dans le but de parrainer des entrepreneurs camerounais.

Un bond dans les relations avec le Cameroun

Pierre de Gaétan Njikam porte « sa part d’africanité » à Bordeaux, ville française dont il est l’un des élus locaux. Il y a d’ailleurs trouvé l’amour. « On s’est rencontré à la mairie de Bordeaux et on a beaucoup parlé de ses projets, de ce que la diaspora pouvait apporter en Afrique et c’était très nouveau parce que chez nous on avait toujours une vision assez passéiste des relations entre la France et l’Afrique. Il a enthousiasmé les  gens autour de lui, aussi bien les gens de la diaspora que les gens dans son équipe municipale, d’abord Alain Juppé puis Nicolas Florian », raconte sa compagne Sylvie Cazes.

Dans l’exercice de ses fonctions, PDG pour le nommer, a favorisé l’éclosion d’une coopération entre la France et son Cameroun natal. C’est ainsi qu’en 2016, les relations entre Bordeaux et Douala ont pris un nouveau tournant, se centrant autour des services urbains (amélioration de la mobilité urbaine au travers d’un appui technique à la Socatur, projet d’aménagement du quartier Maképè-Missoke), du renforcement des liens économiques, universitaires, culturels et artistiques et de l’appui médical (missions médicales humanitaires et construction d’infrastructures à l’Hôpital Laquintinie),

-Une histoire singulière-

L’histoire de Pierre de Gaétan Njikam est singulière. Du moins, elle éloigne l’esprit du népotisme, du favoritisme, et de la corruption, qui ont très souvent tâchées les success stories camerounaises. Amoureux du mieux, l’homme n’a pas résister à la tentation de franchir, en 1995, la porte du Rassemblement pour la République (RPR), un club dirigé par Alain Juppé. Cet homme politique français qui refuse de s’allier avec le Front national, parti politique réputé pour sa rigueur à l’encontre des étrangers, séduit PDG. Commence alors une longue aventure qui a pris un nouveau tournant en 2014 avec l’élection de Pierre de Gaétan Njikam.

« J’arrive à Bordeaux pour des études de droit, recommandé par les Professeurs Bipoun Woum et Maurice Kamto. Je marchais dans l’une de nos rues bordelaises et je me suis arrêté dans une permanence du parti, Je suis entré et j’ai demandé à m’informer et j’ai été invité à une manifestation culturelle du RPR. J’y ai posé une question, j’ai échangé pendant le débat qui avait lieu en ce moment-là. A la suite du débat, l’entourage d’Alain Juppé s’est rapproché de moi à sa demande pour me demander de m’impliquer dans la campagne municipale qui devait arriver. De fil en aiguille, entre propositions de sujets de réflexion, je me suis impliqué dans la campagne municipale à Bordeaux en 2001, après dans la campagne présidentielle pour Jacques Chirac à la demande d’Alain Juppé et, par la suite, j’ai intégré son cabinet », relate Pierre de Gaétan Njikam.

Ce Camerounais d’origine se voit très vite confier des responsabilités au sein du RPR vite dissout dans l’Union pour un mouvement populaire (UMP) [connu depuis 2015 sous la dénomination Les Républicains]. Pierre de Gaétan Njikam est désigné attaché du groupe UMP du conseil général de la Gironde. Fonction qu’il assumera de 2002 à 2008 ; Il passera ensuite chargé de mission au cabinet d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux (2008-2013), puis secrétaire départemental adjoint de l’UMP en Gironde en 2013.

Pierre de Gaétan Njikam tente l’aventure politique et se présente aux élections municipales de 2014. Il devient par la force des évènements, le premier maire noir dans cette ville qui fut jadis un important comptoir d’esclaves.

« L’Afrique s’invente là où elle se trouve »

Pierre  de Gaétan Njikam aurait pu se la couler douce à bordeaux. Que non ! Il lui faut de l’action. Alors, il a entrepris de poursuivre ce qu’il a toujours fait : fédérer des idées et des énergies avec pour but, cette fois-ci de développer l’Afrique. «Je crois que l’Afrique s’invente tous les jours là où elle se trouve. Une part de l’Afrique est sur le continent et l’autre est dans le monde. Cette part qui est dans le monde doit absolument prendre ses responsabilités dans sa relation avec le continent : d’abord une responsabilité individuelle, ce que j’ai essayé de faire, et une responsabilité collective. Donc il n’était pas question pour moi, dans le cheminement qui est le mien, de manquer de fédérer un certain nombre de talents, de compétence, de ressources, pour se demander ce que nous faisons pour le devenir du continent africain et des sociétés dans lesquelles nous vivons », explique-t-il

Pierre de Gaétan Njikam implémente discrètement sa vision en faveur d’une Afrique « qui se renouvelle ». Laquelle se matérialise à Bordeaux au travers des Journées africaines de la diaspora. Une plateforme qui met en vitrine l’expertise africaine.