Par Dr. Thierry Amougou, président de la fondation Moumié
Face à un Nicolas Sarkozy qui ne tient pas ses promesses de rupture avec la FrançAfrique, le vent de l’Afrique démocratiquement émergente et d’une société civile participative, semble pouvoir se lever avec un Barack Obama dont les actes restent cohérents avec son discours d’Accra au Ghana.
Sarkozy ou des mots de rupture sans pratiques de rupture
En effet, après avoir annoncé, en grandes pompes, qu’il allait en finir avec la FrançAfrique, le président français est, ces derniers temps, revenu aux fondamentaux de celle-ci. Rien de surprenant si la rupture « sarkoziste » se mue en continuité par un renoncement progressif aux engagements de départ. Un regard rétrospectif met en évidence les signes avant-coureurs de cette incohérence entre les actes et les paroles de la politique française de l’Afrique.
En 2008, c’est Jean-Marie Bockel qui était débarqué pour avoir frustré Omar Bongo, alors qu’il fut nommé, quelques mois plutôt, par Sarkozy comme secrétaire d’Etat à la coopération chargé, entre autres, de mettre fin au réseau politico-économique mafieux FrançAfrique. Eviction qui rappelait déjà, un quart de siècle plus tôt, celle du tiers-mondiste Jean-Pierre Cot par François Mitterrand pour le même motif.
En conséquence, après le discours de Dakar où la rupture « sarkoziste » s’était transformée en dénigrement du Continent Noir accusé d’être hors de l’histoire, le président français est revenu sur les sentiers battus par ses prédécesseurs. Depuis lors, il y’a eu une forte réactivation des différents canaux d’action de la FrançAfrique comme la rencontre entre Sarkozy et les président africains pour préparer le sommet de Copenhague, le sommet Afrique-France de Nice et les invitations du 14 juillet 2010 dernier.
Ainsi, la France qui n’avait pas besoin de l’Afrique pour son développement économique dans la diatribe de Dakar, est redevenue un pays qui aime l’Afrique et dit défendre ses intérêts au Conseil de Sécurité et au G20. Il faut savoir que l’Afrique ne se porte pas très mal économiquement après une crise des subprimes qui a violemment frappé la France. Il faut aussi reconnaître que socio-économiquement et démographiquement parlant, le continent africain n’est plus loin du milliard d’habitants d’ici quelques années. Les enjeux du réchauffement climatique et du terrorisme international la remettent au centre des convoitises des grandes puissances au même titre que la course vers les matières premières et l’offensive chinoise qui en fait un nouvel enjeu géopolitique. Ce n’est pas pour rien que Sarkozy s’est montré très proche du président sud-africain et nigérian lors du sommet du dernier sommet France-Afrique. Ce sont des pays qui pèsent économiquement.
En conséquence, la France a désormais, non seulement un ministère des Affaires étrangères qui s’occupe des relations franco-africaines, mais aussi, une cellule spéciale à L’Elysée. Dans le même ordre d’idées, la commission des affaires étrangères du Sénat français à recommandé, fin juillet 2010, de replacer l’Afrique subsaharienne au premier rang des priorités de la politique française d’aide au développement, devant la Méditerranée. Le retour aux fondamentaux a donc repris ses droits sur le mythe de la rupture « sarkoziste ».

La rupture par les actes de Barack Obama
Contrairement à un Nicolas Sarkozy qui, croupissant sous le poids d’une histoire dense entre son pays et les Etats africains, revient sur les sentiers battus, Barack Obama reste fidèle, non seulement à certains aspects de la philosophie politique américaine, mais aussi, à sa propre vision de l’Afrique.
Sur le plan philosophique, les américains ont toujours été pour la libre initiative qui justifie elle-même la forte décentralisation des compétences au sein des différents Etats et entre eux. Choisir de fêter le cinquantenaire, non avec les chefs d’Etats africains, mais avec des membres de la société civile africaine, reste en phase avec une Amérique historiquement adepte d’une gouvernance décentralisée, tant sur le plan économique que politique. La liberté d’entreprise est autant débridée aux USA parce que, contrairement à la France jadis puissance coloniale et historiquement jacobine, les USA son le produit d’une colonisation anglaise pour fonder une nouvelle Angleterre, terre par excellence de toutes les libertés.
En dehors de cet aspect, c’est-à-dire, d’une histoire américaine spécifique dont Barack Obama assure la continuité, celui-ci reste aussi fidèle à sa ligne politique par rapport à l’Afrique. Cette ligne politique est assez claire dans le discours d’Accra. Le président américain y donne un véritable cours magistral sur la gouvernance, l’importance des institutions fortes en lieu et place des hommes forts dont raffole le Continent Noir. Il y fustige aussi, sans ménagements, les modifications constitutionnelles uniquement pour rester au pouvoir ainsi que la corruption endémique et le choix de l’enrichissement personnel en lieu et place des investissements en biens publics. D’où la cohérence de l’acte qu’il vient de poser en décidant d’inviter la société civile africaine après que la France ait invité les chefs d’Etats.
C’est une façon de redonner du pouvoir aux citoyens africains et de faire de la jeunesse africaine l’élément central de l’avenir d’une Afrique qu’il espère émerger dans l’avenir comme puissance politique et économique. C’est la matérialisation du YES WE CAN en politique américaine de l’Afrique. C’est-à-dire, de la promotion de la démocratie participative, dont la figure emblématique est le citoyen responsable, capable et expert de ses problèmes. C’est un acte fort pour le cinquantenaire des indépendances africaines.
ï ¼ Au-delà de Sarkozy et d’Obama : les habits neufs de la « mission civilisatrice »
Les actes et les discours de Barack Obama sur l’Afrique sont en concordance. Ce qui n’est pas le cas de Nicolas Sarkozy chez qui un grand fossé se creuse entre les annonces et la politique africaine effective de la France. Obama est ainsi plus crédible, non seulement parce qu’il est de père africain et applique le dicton qui « aime bien châtie bien », mais aussi, parce que les USA n’ont pas un passé colonial dont l’inertie influence toujours les relations franco-africaines au 21ème siècle. De ce fait, la nature conservatrice des rapports hégémoniques de la FrançAfrique, ne peut faire le poids dans l’opinion des peuples africains, face à une politique américaine qui réprimande les pouvoirs africains établis et leurs dérives totalitaires.
Obama est ainsi du côté de l’espoir, quand Sarkozy est du côté du statu quo avec ce que cela comporte comme frustrations pour les peuples africains réprimés et appauvris par des potentats. En conséquence, face à Nicolas Sarkozy, l’avantage comparatif penche du côté de Barack Obama lorsqu’on analyse les dynamiques exogènes capables d’encourager la naissance d’une Afrique démocratiquement émergente.
Un autre point qui peut donner un avantage effectif à Barack Obama est donné par des études scientifiques, notamment économiques. Lorsqu’on regarde une carte de l’Afrique, la géographie économique montre, en étudiant les effets de l’histoire sur les trajectoires de développement, que les anciennes colonies anglo-saxonnes s’en sortent nettement mieux que les anciennes colonies françaises sur le plan politique et économique. Les exemples qui reviennent sont, en Afrique Noire, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Kenya et l’Ouganda ou le Nigeria. Ceci implique que l’administration indirecte anglaise a, non seulement favorisé la participation des indigènes, mais aussi, construit des institutions favorables au développement économique. Mettre le destin de l’Afrique entre les mains des jeunes et de la société civile est du même ordre politique que la vision participative de l’histoire politique anglo-saxonne en général.
Si Obama a nettement un avantage dans l’opinion populaire africaine grâce à ses actes, il sera cependant face à un problème supplémentaire dans la sélection des membres de la société civile à inviter pour célébrer le cinquantenaire des indépendances africaines. Ce problème a plusieurs aspects. La société civile africaine est difficile à définir dans la mesure où elle est, non seulement une catégorie politique importée d’Occident, mais aussi très souvent de connivence avec les pouvoirs africains qu’Obama veut rendre vertueux. Si on trouve des ONG qui font un réel travail de développement, ce qu’on peut appeler « la société civile africaine performante », est la plupart du temps une excroissance des réseaux hégémoniques des classes dominantes elles-mêmes liées aux pouvoirs en place. C’est le cas des ONG et associations qui s’occupent du SIDA et dont la majorité appartient aux premières dames africaines. Il faudra ainsi beaucoup d’habileté à l’administration américaine, étant donné qu’elle peut se retrouver avec des membres de la société civile africaine qui ne sont que la reproduction civile des pouvoirs en place.
Une autre limite de l’initiative de Barack Obama vient du fait que ses discours et ceux de Sarkozy ont la même structure interne. Ce sont des regards occidentaux sur l’Afrique et son processus de développement politique et économique. Si, comme déjà signalé, Obama a un avantage lié au fait qu’il n’est pas conservateur dans ses actes par rapport à Sarkozy, il ne faut pas perdre de vue ici que le paradigme désignationnel est le même. Sarkozy donne une leçon méprisante aux Africains dans son Discours de Dakar. Barack Obama donne aussi le même genre de leçon dans son discours d’Accra. D’un côté comme de l’autre, la rupture devient un mythe infranchissable car la dominance et la dialectique maître/élève reste omniprésente dans le rapport Occident/Afrique. Les deux discours sont une variante moderne de la « Mission Civilisatrice ».
Il semble, au bout du compte, que ce dont a besoin l’Afrique dans son développement politique, est à la fois une dynamique exogène de la nature de celle de Barack Obama, et une dynamique endogène qui ferait naître une société civile et une culture démocratique issues des combats, luttes, aspirations et cultures des Africains eux-mêmes. Obama fait ce qu’il peut. Les Africains doivent achever eux-mêmes le chantier par des innovations et inventions endogènes s’ils veulent tirer du développement politique de ce qui vient d’ailleurs.
